Série Parménie

Légende n°4 : Sauver Mélusine.

1.

La famille Legonnec savourait le bonheur du retour dans leur petit domaine de Parménie, après l’angoissante aventure qui les avait entraînés sur les terres de l’Empereur des loups. L’automne s’annonçait magnifique et la famille avait décidé de prendre un peu de repos pour en profiter. Après cette dernière expédition, le directoire de la confrérie des anges très impressionné par le courage dont avait fait preuve Nolwenn, l’avait fait chevalier et intégrée dans la communauté. Considération faite de son jeune âge, il fut décidé qu’elle ne serait pas employée dans des missions dangereuses avant plusieurs années. Par la même occasion, la confrérie accordait un repos bien méritée à la famille Legonnce. Oncle Jacques accepta de passer quelques jours parmi eux. Quant à Merlin, séduit par la beauté des paysages il partit à la découverte des montagnes avant l’arrivée de la neige. Il semblait avoir oublié Viviane qui l’attendait impatiemment dans la forêt de Brocéliande bien décidée à lui faire passer l’envie de s’évader de nouveau. La rubrique hebdomadaire des fées prenait plaisir à rapporter ses coups de colères et la fureur qu’elle ressentait envers le vieil enchanteur qu’elle considérait plus comme sa chose que son ami à part entière.

Les deux frères Logonnec, Jacques et Yann travaillaient dans le laboratoire à de menues tâches d’entretien, quand ils furent attirés par un petit grésillement et le clignotement d’une diode sur le boîtier de contrôle des écrans du transmetteur. Yann enclencha l’écran de visualisation et eut la bonne surprise de découvrir le visage souriant de Charmante la petite fée du royaume d’Effray.

- Bonjour monsieur Logonnec. Vous allez bien, vous et votre famille ?

- Très bien Charmante. Quel bon vent t’amène ?

- J’aurais aimé parler à Nolwenn. Je pars en mission dans votre région et j’aimerais tant pouvoir profiter de l’occasion pour la revoir.

- Si ce n’est pas indiscret, peux-tu me dire de quel type de mission il s’agit. Est-ce dangereux ?

- Oh ! Oui ! Très dangereux. Il s’agit de Mélusine. Elle est prisonnière dans son palais des grottes de Sassenage, sous la garde d’horribles dragons, et je dois essayer de la délivrer. Je me suis portée volontaire pour cette mission car je sais que c’est près de chez vous. Je voulais profiter de l’occasion pour revoir Nolwenn.

- Mélusine ? La fée ?

- Oui ! Monsieur Logonnec.

- Ah ! fit Yann dépité. Tu sais que je suis chrétien et mon rôle est d’intervenir pour sauver des humains. Par contre ma religion m’interdit d’approcher tout être paranormal, démoniaque, ou faisant parti d’entités occultes ou autres, y compris les fées.

- Oui, je sais monsieur Logonnec. Nous aussi nous avons un règlement et il m’impose de me débrouiller seule. Mon désir le plus cher est de revoir ma petite amie avant de me lancer dans cette aventure. Le char des fées doit me transporter chez vous dans trois jours, si vous pouviez me faire venir de suite par votre transmetteur, je pourrais ainsi passer ces trois jours avec elle. Si vous êtes d’accord, je décommande le char des fées.

Yann et Jacques échangèrent un regard contrit.

- Je crois que tu t’es lancée dans une mission au dessus de tes forces, protesta Yann. Comment penses-tu, seule, avec tes petits pouvoirs de fée venir à bout de dangereux dragons. C’est insensé. Nous tous ici serions heureux de te revoir, mais je crois qu’il serait plus raisonnable d’abandonner cette mission.

- Il est impossible de revenir en arrière. Notre comité a entériné ma candidature. Jusqu’à ce jour, j’ai réussi mes missions grâce à votre aide, maintenant je dois faire mes preuves et je suis fermement décidée à subir cette épreuve quelles qu’en soient les conséquences.

- Puisqu’il en est ainsi, je fais le nécessaire Charmante. Es-tu prête ?

- Oh, oui ! Merci monsieur Logonnec, explosa la petite fée en tapant dans ses mains.

Yann et Jacques mirent en service le transmetteur et quelques instants plus tard, la gracieuse silhouette de Charmante prenait corps devant eux. La petite fée sauta au cou des deux hommes et ensemble partirent à la rencontre de Nolwenn. Les deux amies, folles de joie partirent gambader sur la pelouse. Leur bonheur faisait plaisir à voir. Les deux hommes assistaient à leur bonheur, envahis de sentiments contradictoires faits d’un mélange de joie et de grande tristesse.

En l’honneur de la visiteuse, madame Legonnec améliora le menu du soir d’ordinaire très frugal. Par principe la famille était végétarienne, refusant de consommer des animaux. En général, ils se contentaient d’un potage et d’un peu de légumes, bien souvent de la purée avec du lait. Mais ce soir là, elle y ajouta une entrée de légumes variés accompagnés d’une mayonnaise et pour terminer, tarte, glaces, yaourts aux fruits. Les deux filles très excitées emplissaient l’air de leurs bavardages ininterrompus. Leurs aventures personnelles se mêlaient aux différents souvenirs de leurs épopées communes dans un désordre indescriptible. Il est vrai que Charmante en avait vu des choses en quelques centaines d’années, des événements pas toujours gais, mais elle parvenait à en extraire quelques anecdotes insolites.

A la fin du repas, Yann et Jacques se retirèrent dans le laboratoire. La voix teintée de tristesse, Jacques s’approcha de son frère

- On ne peut pas l’abandonner, nous devons l’aider. La pauvre fille va se faire pulvériser.

- Non ! Tout comme toi, j’en suis tout retourné, mais si nous le faisions, ce serait renier notre foi.

Jacques balançait la tête comme si elle se fut désarticulée.

- Moi, je ne fais plus partie du personnel actif de la confrérie, je peux peut-être.

- Non ! Jacques ! Tu n’as pas le droit. Je te l’interdis.

Le lendemain, la journée s’annonçait splendide. Les belles journées d’automne dans le Dauphiné sont un délice car nulle autre région ne peut offrir une telle diversité de paysages. Un paysage maritime, aussi beau fut-il, reste un paysage maritime. Ici, la montagne, les lacs, les plaines, les coteaux boisés ont été regroupés dans une seule région pour servir de référence à l’inventaire des splendeurs. La ballade commença par la route des Ecouges et l’ascension du col de Romeyère, une merveille presque inconnue où la route après quelques kilomètres passe exactement 300 mètre au dessus, à l’a pic des premiers lacets grâce au chemin qu’elle s’est frayé dans le roc. Ils restèrent un long moment à admirer la cascade qui sautait allègrement l’à pic, dans un scintillement féerique. Puis se furent les gorges de la Bourne avant d’atteindre Villard-de-Lans. Ils plongèrent ensuite sur Grenoble, tout en prenant soin de s’arrêter aux meilleurs postes d’où l’on pouvait admirer la ville et la vallée du Grésivaudan. Un peu avant d’arriver dans la plaine, Yann gara la voiture sur un grand parking.

- C’est ici, fit-il en se retournant vers Charmante. Les grottes sont un peu plus haut. Veux-tu que nous les visitions maintenant.

Sa voix avait des intonations désespérées, presque lugubres.

- Oui je veux bien, répondit-elle, d’une voix mal assurée.

Tous les cinq prirent le sentier qui longeait le petit torrent. Malgré l’angoisse qui l’étreignait, Charmante s’extasiait à la vue de cette multitude de plantes et de fleurs qui tapissaient les lieux.

- C’est un endroit protégé, lui expliqua Nolwenn. Il est interdit de cueillir les fleurs.

Ils arrivaient à l’entrée de la grotte.

- Il est un peu tard pour une visite leur expliqua le guide, la dernière est partie depuis plus d’un quart d’heure. Mais devant l’insistance d’André, il accepta de leur montrer une petite partie des prestigieuses cuves.

- Dans deux jours, elles seront fermées pour tout l’hiver. A cette époque, avec la montée des eaux, elles deviennent très dangereuses.

Le cœur de Charmante battait à tout rompre lorsqu’elle en franchit le seuil. Nolwenn prit sa main et la serra très fort. Charmante avait déjà vu bien des grottes, mais ici, la beauté du site, les jeux de lumière, les ombres qui dansaient contre les parois, la musique, l’émerveillaient à un tel point qu’elle en restait paralysée la gorge nouée par l’intense émotion qui envahissait tout son être. La musique y contribuait en grande partie car même chez les fées, ces mélodieux accords n’existaient pas.

- C’est beau, n’est-ce pas ? murmura Nolwenn à son oreille, en la tirant par la main.

En marchant sur la passerelle, elle croyait vivre un enchantement. Elle n’entendait pas le guide commenter la visite, seule la musique la pénétrait jusqu’au fond d’elle même. Ils atteignaient le lac dont la pureté de l’eau interdisait l’appréciation exacte de la profondeur. Où l’on estime la profondeur à 1 mètre, il peut y en avoir, 6 ou 8 ou même 10. Comme dans un rêve elle entendit le guide dire.

- Ce magnifique lac n’est autre que la baignoire de Mélusine.

Un choc se produisait en elle. Il lui devenait impossible de faire un pas. Attentifs aux explications du guide, les autres continuaient leur chemin, déjà, ils disparaissaient derrière des stalactites étincelants sous les feux des projecteurs et des lasers. Nolwenn restait à ses côtés, sans rien dire. Au bout d’un instant, Charmante se baissa et ramassa une petite pierre. Elle brillait de mille feux comme une pierre précieuse. De grosses larmes coulaient sur les joues de la petite fée.

- C’est une larme de Mélusine, dit-elle tout bas. En les suivant, je trouverai l’entrée de son palais.

Les deux filles suivaient la trace des petites pierres. Piste facile tant elles brillaient.

- Elles sont tellement polies que si on en place une sous la paupière, elle chasse toutes les impuretés qui pourraient s’y glisser, expliqua-t-elle à sa jeune amie.

Une cascade alimentait le lac et son bruit couvrait le haut-parleur. Charmante passa derrière la cascade en se collant à la muraille pour ne pas être entraînée. Soudain, sa main disparue dans le rocher. Elle revint vers Nolwenn, exécuta quelques gestes magiques pour se sécher et lui murmura à l’oreille.

- Ca y est, j’ai trouvé le passage, il est derrière la cascade.

Cette découverte faite, elles se précipitèrent pour rejoindre le groupe.

Le soir, ils se retrouvèrent autour de la table du salon, à déguster du sirop de framboises fait par Anne, la maman de Nolwenn. Il y régnait une ambiance insolite. A la fois, la joie d’être ensemble et d’avoir passé une merveilleuse journée et aussi une certaine inquiétude car planait sur eux l’ombre du prochain départ de Charmante pour son expédition insensée.

- Parle-nous de Mélusine lui demanda Nolwenn, pourquoi y a-t-il tant de larmes sur le sol ?

- Oui. Votre guide a commis quelques petites erreurs en précisant que Mélusine était née ici. En réalité elle était reine de Chypre et des mers environnantes. C’est pour cela que la partie inférieure de son corps ressemble à celui d’un poisson. Bien sûr, elle peut prendre l’apparence d’une femme entière, mais cette apparence ne peut durer que 6 jours sur 7. Un jour elle sauva de la noyade un croisé, dont le bateau coulait. Il s’agissait du chevalier de Lésignan. Et ce fut le coup de foudre. Sa campagne terminée, le chevalier ramena Mélusine dans le Poitou et l’épousa après lui avoir promis qu’un jour par semaine, il accepterait de ne pas la voir.

Les deux époux vécurent dans un bonheur sans nuages. Le chevalier respectait sa promesse et laissait son épouse disparaître un jour par semaine sans lui poser de question ou lui en demander la raison. Grâce à Mélusine, le château de Lésignan prospéra ce dont en bénéficia toute la région. Puis, insidieusement, la curiosité rongea le chevalier et un jour il succomba au besoin de savoir. Alors, oubliant sa promesse il espionna son épouse. Mélusine le surprit la guettant. A la fois affolée et furieuse, elle s’enfuit loin, le plus loin possible pour préserver son secret. C’est ainsi que sa fuite l’entraîna dans les cuves de Sassenage. L’endroit lui convenant pour sa beauté et son isolement elle y construisit son nouveau palais. Mais elle resta inconsolable et pleure toujours son amour détruit. Les fées sont toujours très possessives quand elles aiment. Ses larmes lorsqu’elles touchent le sol se transforment en pierres. Ce sont les splendides pierres que nous avons trouvé sur notre parcours.

- Les fameuses Pierres Ophtalmiques ? interrogea Jacques.

- Oui, c’est bien ça, approuva Charmante.

- De nombreux témoignages anciens, parlent d’elle. Une femme habillée de blanc, qui la nuit venue se promène le long du Furon, fit Anne. Mais depuis longtemps, il n’y a plus de témoignages.

- Oui ! Depuis qu’elle est retenue prisonnière. Un démon a profité de sa faiblesse et de son désarroi, suite à son immense chagrin pour la neutraliser.

- C’est donc la seule fée dans notre région ? demanda Yann.

- Non, il y en a d’autres, mais sans leur reine, elles ont peur et se terrent, c’est aussi pour cela que je dois à tout prix la délivrer.

2.

La soirée suivante fut bien différente. La tristesse, l’angoisse, la peine se lisaient sur tous les visages. Mais la détermination de Charmante restait ferme. Oncle Jacques lui avait préparé tout un arsenal pour partir en guerre contre les dragons, de quoi alimenter une future guerre des étoiles. Mais tout ceci risquait d’être bien inutile lorsque la petite fée franchira la porte qui la transportera dans le royaume de Mélusine. Là-bas, le combat sera plus psychique que matériel et les armes seront reléguées au rôle de jouets, comme de simples accessoires servant éventuellement de supports. Et puis, ses dons de fée la dispensaient de beaucoup de choses matérielles. En tout premier ressort, elle redoutait d’être rapidement détectée. Il lui était indispensable de disposer d’un peu de temps pour se préparer à l’affrontement et s’adapter aux différents dangers auxquels elle serait confrontée.

Mais comment retarder cette détection ? Aucune solution n’apparaissait. La famille Logonnec possédait un outil phénoménal avec le " Virtual.Transmet.Corps ", mais si cette fabuleuse machine fonctionnait dans tous les mondes matérialisés, par contre elle n’avait pas été prévue pour les mondes chimériques, dématérialisés. Ses écrans montraient bien les moindres recoins des cuves de Sassenage, mais rien du monde de Mélusine. L’idée première fut d’envoyer dans le palais une cage protégée par un important champ magnétique où la petite fée et éventuellement Mélusine auraient pu s’y réfugier en cas de danger. Les ondes psychiques des démons étant aussi des champs électriques, cette protection pouvait présenter un certain intérêt. Malheureusement le Transmetteur s’avérait incapable de trouver le royaume souterrain. Et puis aussi, on ne savait pas à quel type de démons on avait à faire. Enfin, en tout état de cause, Charmante accepta de revêtir la combinaison spéciale de Nolwenn, bien qu’elle était fermement convaincue qu’elle ne lui servirait à rien. L’avantage de la combinaison résidait dans le fait qu’elle possédait de nombreuses poches équipées d’accessoires spéciaux ainsi que des détecteurs d’images que l’on pouvaient suivre sur l’écran du laboratoire de Parménie. Il suffirait de placer une petite boite émettrice avant la porte et de la relier à une autre, placée dans l’autre monde, de l’autre côté de la porte.

A une heure du matin tout était prêt. La petite fée s’installa sur le fauteuil du transmetteur et quelques minutes plus tard, elle apparaissait dans les grottes à côté de la cascade. Nolwenn angoissée suivait tous ses mouvements. Charmante refit les mêmes gestes que la veille en se faufilant derrière la cascade. Les mains plaquées contre la paroi elle tâtait les rochers. Puis, ses mains disparurent, puis sa tête, puis tout son corps. Là-bas, à Parménie, des yeux angoissés fixaient l’écran ne reflétant plus qu’une belle cascade qui scintillait de mille feux sous les projecteurs. Les cœurs battaient à faire exploser les poitrines. Quelques instants plus tard, de petites zébrures sillonnèrent l’écran comme des insectes affolés, puis des débris d’image et oh, miracle, Charmante apparut. Le système fonctionnait. La petite fée contemplait le spectacle qui s’offrait à ses yeux, en même temps que la famille Logonnec découvrait ce merveilleux enchantement. Un magnifique palais fait de verre et de cristal teintés de vives couleurs apparaissait en fond d’écran. Devant lui, de multiples parterres fleuris dans un foisonnement de couleurs féeriques, bordaient un sentier lumineux qui conduisait à la demeure. Quelques arbres aux feuilles dorées, mêlées d’argent, miroitaient sous l’effet d’un zéphyr doux comme une caresse. Sous les arbres des tables de nacre bordées de fauteuils en forme de coquillages attendaient les visiteurs. Après quelques hésitations la petite fée progressa dans le sentier, à la fois émue et craintive. Mélusine se trouvait certainement quelque part dans le palais. La clarté au début un peu aveuglante se fit plus douce. Quelques oiseaux se mirent à voleter autour d’elle.

- Qui es-tu ? demanda l’un d’eux.

- Je suis Charmante, une fée venue d’un autre monde.

- Que viens-tu faire ici ? lui demanda un autre oiseau.

- Je viens délivrer Mélusine. Où est-elle ?

- Prends garde, intervint un troisième oiseau ! Elle est dans le château, prisonnière d’un horrible monstre.

La lumière déclinait régulièrement. Une épaisse pénombre tomba sur ce petit monde. Puis la nuit devint épaisse. De sourds grondements se firent entendre et soudain un terrible éclair illumina la caverne. Un bruit épouvantable secoua les roches environnantes et un vent vite violent se leva. Il soufflait de plus en plus fort, devenait tempétueux. Charmante, invoqua la déesse des fées pour calmer les éléments qui se déchaînaient. Elle fit jaillir sa baguette et l’agita dans l’air autour d’elle. Un peu de lumière sortit des ténèbres, le vent s’essoufflait, tombait légèrement. Un nouvel éclair encore plus puissant que le premier fendit l’air dans un roulement terrible. Un tourbillon se formait plus loin sur le côté du palais et commença à s’avancer dans la direction de la petite fée. Le souffle puissant lui arracha sa baguette magique des mains. Elle essaya de se précipiter pour la récupérer mais malheureusement, elle constata qu’elle était dans l’incapacité de bouger, ses pieds restant collés au sol. A force de concentration, elle réussit à arrêter la course de la baguette. Le vent la couchait. Elle tendait désespérément sa main vers elle sachant que sans sa baguette, elle était perdue. La baguette se planta sur le sol alors que le vent la pliait à l’opposé d’elle la maintenant hors de portée. Elle lui ordonnait de se redresser. Alors la baguette se soulevait légèrement mais le vent la rabattait vers le sol.

Nolwenn atterrée se réfugia dans les bras de sa mère. De grosses larmes coulaient de ses yeux. Les hommes oppressés suivaient le dernier combat de Charmante. Que pouvaient-ils faire ? Rien !

Beauté, palais, splendeurs avaient disparus, cachés par la poussière maléfique que soulevait la tornade qui continuait à avancer sur la petite fée dont les forces s’épuisaient. La baguette ne se soulevait plus, restait plaquée au sol et s’éloignait sensiblement, glissait inexorablement loin d’elle.

Et derrière la tornade, une forme hideuse, gigantesque se profilait. La tornade sortait de la bouche du monstre qui faisait trembler la terre en avançant. Nolwenn enfonça sa tête dans la poitrine de sa mère incapable d’en supporter plus.

Effondrés dans leur désespoir, ils n’entendirent pas la porte du laboratoire s’ouvrir. Une grande ombre noire se dessinait sur le seuil. Une ombre surmontée d’un chapeau pointu. L’ombre s’approcha des écrans et contempla la scène. Les hommes ne virent pas l’ombre. Anne la tête contre celle de sa fille pleurait. Personne ne vit l’étrange personnage. Et quand Jacques eut le sentiment que quelqu’un avait pénétré dans la pièce et qu’il se retourna, l’ombre avait disparue, mais la porte restait grande ouverte.

Les écrans s’assombrissaient tant le vent chargé de poussière épaississait l’atmosphère. Le tourbillon n’était plus qu’à quelques pas de Charmante. Une fée pitoyable, battue, paralysée, droite dans sa défaite face au monstre qui avançait toujours sur elle.

Une ombre se formait près du tourbillon. Une ombre qui grandissait, une ombre semblant tendre des bras démesurés vers le ciel. La cape de l’ombre suivait, les gestes impérieux de ses bras qui se baissaient et ensuite se projetaient vigoureusement vers les cieux, dans une frénésie ahurissante.

Les écrans commençaient à s’éclaircir, le vent semblait diminuer d’intensité. Les effets de la bataille évoluaient, se modifiaient, changeaient d’aspect. Peut-être que le monstre victorieux, baissait-il l’intensité de son action, après la cuisante défaite de la petite fée. Pourtant, l’ombre collée à la tornade ne cessait de gesticuler, prenait des formes plus précises alors que le vent continuait à faiblir. Les rugissements du monstre s’amplifiaient tout en changeant de tonalité. Yann et Jacques les yeux écarquillés fixés sur l’ombre, restaient comme pétrifiés. Anne ouvrit les yeux et secoua sa fille. Maintenant ils assistaient à un combat sans merci entre le monstre et Merlin. L’air s’était chargé d’électricité et des éclairs jaillissaient de toutes parts. Le tourbillon perdait de sa puissance, semblait s’affaisser sur lui-même. Puis il disparut, s’enfonça dans la poussière. Déjà les dimensions du monstre rétrogradaient, s’amenuisaient. Allait-il resurgir sous une autre apparence ? Nolwenn sauta à terre et bondit vers l’écran pour voir le monstre se tasser sur lui même comme une baudruche qui se dégonfle. Ses dimensions diminuaient, diminuaient sans cesse. Il devint tout petit, de la taille d’une souris et soudain prit le parti de s’enfuir. Nolwenn ne put s’empêcher de laisser exploser sa joie. Elle se mit à courir dans tous les sens en applaudissant. Yann et Jacques se serrèrent la main puis le chef de famille prit son épouse dans ses bras. De son côté, Charmante reprenait vie, appuyée contre Merlin qui avait posé sa main sur son épaule.

Les choses reprenait leurs places. Dans le fond, le palais scintillait de nouveau, les oiseaux vinrent tourner autour de Merlin, qui tenait Charmante en pleurs dans ses bras. Le palais s’embrasa soudain, illuminé par une lueur éblouissante. Le sentier et les parterres reprirent leur splendeur. Les portes du palais s’ouvrirent toutes grandes. Une silhouette apparut sur le seuil. Une silhouette rayonnante entourée d’un halo de lumière. Les tulles de sa robe dansaient autour d’elle. Une femme merveilleusement belle venait au devant de Merlin et de Charmante.

- Dieu qu’elle est belle, lâcha Jacques.

- Splendide, renchérit Yann.

- Allez donc lui présenter vos félicitations de vive voix, fit Anne d’un ton sévère.

- Tu m’autorises ? demanda son mari malicieux.

- Sûr qu’elle t’autorise, reprit Jacques en riant, elle sait très bien que jamais tu ne la tromperas.

Une voix familière se fit entendre.

- Inutile de vous déplacer. Nous arrivons tous les trois. J’espère qu’Anne et Nolwenn nous prépareront un bon repas afin de fêter comme il se doit la délivrance de Mélusine.

Les deux femmes suivies des deux hommes se précipitèrent à la cuisine décidés à préparer le repas du siècle. Mais déjà les trois invités apparaissaient. Nolwenn et Charmante tombèrent dans les bras l’une de l’autre. La beauté de Mélusine éblouissait toute la maison. D’un geste, elle transforma la pièce en superbe salon. Le bonheur surgissait de nouveau à Parménie après ces terribles heures d’angoisse.

- Laissez moi vous reprocher de m’avoir tenu à l’écart de cette aventure suicidaire dans laquelle vous vous êtes lancés, reprocha Merlin d’un ton de maître.

- Ah ! Celle-là est bien bonne, répliqua Yann. Monsieur disparaît quand on a besoin de lui et il réapparaît pour nous faire des reproches.

- Oh ! Oui ! Je sais, répondit Merlin confus. Je plaisantais et pour me faire pardonner, je vais préparer moi-même le repas.

Il fit un geste et la table se couvrit de mets succulents aux senteurs alléchantes, entourés de vaisselles somptueuses ornées de pierreries qui scintillaient sous les rayons lumineux venant dont ne sait où. Puis malicieux, il s’adressa à Anne.

- J’ai entendu Yann avouer son admiration pour Mélusine ce qui est fort compréhensible tant elle est belle et adorable. Aussi, comme je suis pour la paix des ménages et que moi aussi, je suis amoureux de cette merveilleuse créature je vais me transformer et essayer de lui plaire.

Sur le champ, il prit les traits du chevalier de Lésignan. Mélusine tout d’abord surprise, le regardait les yeux pleins de tendresse.

- Est-ce bien vous messire ? demanda-t-elle.

Il ouvrit tout grand ses bras où elle vint s’y réfugier. Puis le beau chevalier se dégagea et s’adressa à la petite fée.

- Je ne sais si vous l’ignorez, mais je tiens à vous rappeler que je suis aussi le patron des fées. J’ai donc décidé de conserver ici Charmante, puisque Nolwenn et elle sont inséparables. Elle a fait preuve d’un courage et d’une abnégation extraordinaires, prête à donner sa vie pour sauver Mélusine. Sans la moindre hésitation aussi, bien que j’eusse aimé qu’elle s’entourât de plus de précautions et de réflexions. Mais je lui pardonne car seul compte à mes yeux sa détermination. Quant à moi, j’abandonne définitivement Brocéliande pour Parménie qui deviendra notre nouvelle demeure.

Anne et Yann regardaient d’un œil amusé, les serviteurs apparaître, les fleurs pousser, les parterres se dessiner. Ils savaient que tout ceci ne durerait pas car ils avaient fait vœu de vivre dans la sobriété. Mais, une fois n’est pas coutume et après toutes ces émotions, un instant de répit s’accepte volontiers.

Fin.

Vincent Patria Echirolles le 12 novembre 2000

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