Enigme n°9

Manuscrit Vole

Certains critiquent mademoiselle Eloïse en lui reprochant son attachement aux vieilles traditions, aux vieilles coutumes, aux anciens principes. Moi je l’aime bien. D’origine paysanne elle s’évertue à nous faire découvrir la nature, à mieux la connaître, mieux la respecter et surtout mieux l’aimer. Elle a projeté de nous faire passer une journée au monastère de la Trappe en plein cœur de la forêt de Chambaran. Bien que quelques uns manifestèrent leur désaccord ou leur peu d’intérêt pour ce projet, je constate dans le car qui nous y conduit qu’il n’y a aucun absent. Plusieurs parents d’élèves nous accompagnent et tout le monde semble ravi. Après Roybon, le car s’engage sur une petite route et déjà la forêt nous entoure. Mademoiselle Eloïse a pris le micro et nous apporte quelques précisions sur le parcours.

- Sur notre gauche vous découvrez le bois de Gargamelle. Vous connaissez tous cette personne qui a donné son nom à cette forêt. Qui était elle ?

- La mère de Gargantua, répondit Sophie.

- Très bien Sophie. Dans ce bois se trouve un étang où elle prenait parfois son bain. La légende raconte que chaque fois qu’elle y pénétrait, l’étang débordait.

Déjà nous arrivions. Le chauffeur rangea son car dans la cour où d’autres voitures stationnaient. Sœur Marie, vint nous accueillir à la descente du car et nous souhaita la bienvenue. Elle était ronde et rose comme une pivoine bien épanouie. Son visage débonnaire inspirait la sympathie. De hauts bâtiments ceinturaient la cour et sur le côté le clocher de l’église pointait sa croix vers le ciel. Entre deux constructions on apercevait un étang bordé de sapins et d’autres essences à feuilles caduques s’allonger paisiblement jusqu’à la forêt. Tout en écoutant sœur Marie, je suivais Jean Descouges qui lui aussi, comme tout le monde d’ailleurs, observait le décor que nous offrait cette Trappe à la fois austère et paisible. Son sac à dos cachait mal la forme carrée qui s’y logeait ce qui ne manqua pas de m’intriguer.

- Qu’as-tu dans ton sac, lui demandai-je ?

- Une boite de biscuits. Et toi, qu’as-tu amené ?

- Deux belles Pizza, une au fromage, une au jambon.

Dans le grand hall d’entrée, sœur Marie, continuait la présentation de la Trappe. D’autres visiteurs s’étaient joints à notre groupe d’écoliers.

- Beaucoup de religieux chassés par la révolution des grandes villes et même de certains monastères isolés du monde comme celui de la Grande Chartreuse se réfugièrent dans la forêt de Chambaran. Ils y construisirent des refuges, abbayes ou monastères, y exploitèrent les terres, la forêt, les étangs, pour survivre. Nous avons conservés beaucoup d’outils qu’ils fabriquèrent eux-mêmes, des poteries, vases de toutes sortes, ferronneries et bien d’autres choses que nous avons regroupées dans un petit musée que je vais vous faire visiter. Grâce à ces objets, nous comprenons mieux, comment les hommes vivaient il y a 200 ans.

En fait, le musée comprenait deux salles. Une très grande et sombre et une petite mieux éclairée, plus gaie. Dans la grande, on y trouvait une lourde table en bois massif assez mal équarrie avec des évidements profonds creusés à même l’épais plateau qui étaient leurs écuelles. De lourds bancs rugueux la bordait. Une sombre cheminée et un four occupaient tout un pan du mur et d’énormes poêles, marmites, jarres, tonneaux étaient soit pendus soit rangés tout autour de la pièce.

La petite salle accueillait des éléments plus artistiques et plus précieux tels que de superbes vases, broderies, tableaux, ainsi qu’une vitrine où étaient rangés des manuscrits et des livres d’art.

- Nous possédons plusieurs manuscrits et livres de grande valeur, souligna sœur Marie, dont certains datent du moyen âge, sauvés des soudards de la révolution par les religieux des lieux d’où ils venaient.

Je vis mademoiselle Eloïse froncer le sourcil lorsque sœur Marie traita de soudards les révolutionnaires. Ce n’était pas exactement ainsi que les livres d’histoire, désignaient ces valeureux sans culottes. Mais comme dans tous les événements historiques, il y a toujours des gens malveillants qui ternissent la gloire des méritants. Elle présenta plusieurs ouvrages en insistant sur leur grande valeur historique. Des ouvrages écrits et décorés avec art par des moines talentueux. Le grand Lucien ainsi que plusieurs autres visiteurs posaient beaucoup de questions auxquelles notre guide répondait avec beaucoup de gentillesse. D’autres élèves aussi. Le temps passa très vite et nous eûmes à peine le temps de visiter la fromagerie que déjà midi nous surprenait. Sœur Marie nous conduisit dans un réfectoire en nous souhaitant bon appétit. Chacun déposa sur la table ce qu’il avait apporté et comme cela se produit chaque fois, nous ne pûmes tout manger. Au dessert, les religieuses nous offrirent un fromage blanc. Quel délice ! Le fromage nous était servi dans une coupe, bien arrosé d’une crème fraîche moelleuse sucrée. Jean Descourges offrait les biscuits, qui, quoique très délicieux, n’eurent pas beaucoup de succès. Nos petits ventres rassasiés n’en voulaient plus. Heureusement un petit exercice nous attendait propice à faciliter notre digestion. Mademoiselle Eloïse demanda à chacun de rapporter soit des feuilles, des fleurs ou tout autres végétaux afin de procéder ensuite à une identification. Nous devions rester dans les espaces clôturés réservés aux chèvres et ne pas essayer de pénétrer dans cette immense forêt où l’on s’y perd dès qu’on y pose un pied. Nous partirent par groupe de 3. Daniel et André m’accompagnaient.

- Allons vers l’étang, leur proposais-je.

Ils acceptèrent. C’étaient deux gentils copains dont la principale qualité n’était pas la vaillance au travail. Ils partirent en courant le long de l’étang en jouant à affoler les canards et les poules d’eau qui jaillissaient des taillis pour se précipiter dans l’eau. Moi, je recherchais une plante intéressante à identifier dont le nom m’était inconnu afin d’enrichir mes connaissances. Bien vite mes deux camarades disparurent de ma vue.

Mademoiselle Eloïse avait étendu un grand drap sur l’herbe et posé plusieurs livres. Chacun devait identifier sa plante en effectuant des recherches sur un livre. Mes deux compagnons n’eurent pas cette peine car l’un se présenta avec une feuille de chêne et l’autre avec une pomme de pin. Quant à moi, l’identification de ma plante ne me posa pas trop de problème. Il s’agissait d’un Anis vert :" Pimpinella ansium " précisa notre institutrice, "utilisé comme plante médicinale, excellent stimulant digestif  et bon antispasmodique". L’identification des plantes intéressait aussi les parents accompagnateurs. Lorsque nous eûmes à peu près terminé, mademoiselle Eloïse nous dit :

- Maintenant nous allons faire notre petit quatre heures.

Les bonnes sœurs nous offrirent du pain et du chocolat et chacun déposa sur le drap ce qui lui restait. Jean sortit de son sac une feuille de papier dans laquelle il avait enveloppé les biscuits restants de midi.

- Mon Dieu, que tu as les ongles noirs, protesta mademoiselle Eloïse. Tu pourrais te laver les mains.

- Mais je me suis lavé les mains, répondit Jean en les remuant devant lui.

- Regarde comme tes ongles sont noirs. C’est dégoûtant.

- Où êtes vous passés cet après midi ? demandais-je à André et Daniel qui venaient vers moi.

- On a fait le tour de l’étang, c’était super.

- Vous n’aviez pas l’autorisation de passer de l’autre côté, leur fis-je remarquer.

- L’autorisation ? On se l’ai délivrée nous mêmes, répondit André en riant. Si on te demande, tu diras qu’on est resté avec toi.

- D’accord, sauf si vous avez fait des sottises.

- Des sottises ? Nous jamais ! affirma Daniel en riant.

Nous passions une journée superbe. J’étais contente d’avoir visité ce prieuré où les nones fabriquaient et commercialisaient un délicieux fromage, malheureusement les nuages arrivent vite. Sœur Marie courrait, ou plutôt s’efforçait de courir vers nous en gesticulant. Derrière elle, la mère supérieure et une autre sœur suivaient.

- On nous a volé un livre rare, les mémoires de l’abbé Saléon. Un livre d’une inestimable valeur. Nous avons téléphoné à la police qui demande à ce que personne ne sorte du prieuré avant leur arrivée. Si quelqu’un parmi vous sait où il est qu’il nous le dise vite avant l’arrivée des gendarmes de Roybon.

- Quand a eu lieu le vol ? demanda Eloïse.

- Dans l’après midi, entre 12 heures et 16 heures.

- Videz tous vos sacs et vos poches, ordonna Eloïse.

Chacun s’exécuta sans rouspéter conscient qu’il " urgeait " de retrouver ce livre. Beaucoup d’objets hétéroclites s’accumulaient sur le drap, mais toujours pas de livre.

- Je vais être dans l’obligation de fouiller tout le monde, déclara Eloïse très fâchée par cet incident déplorable.

De mon côté, je réfléchissais, je me demandais ce qu’aurait fait mon père ou mon ami l’inspecteur Marini. " Il y a toujours un petit détail qui trahit le coupable affirmait Marini ". Je me creusais les méninges et soudain. Pan ! le petit détail me frappa. Je tenais le voleur.

- Ne vous fatiguez pas mademoiselle Eloïse, vous ne trouverez pas le livre en fouillant tout le monde. Je sais qui est le voleur.

Comme par enchantement la colère s’envola du visage d’Eloïse qui se reprit à sourire, elle s’approcha de moi.

- Vrai Anaïs ? Tu sais qui c’est ?

- Facile. Le voleur a commis une grosse erreur ou plus précisément, deux petites.

Fin.

Anaïs Blondel Echirolles le 25 avril 2001

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Salut ! A bientôt pour une autre énigme.