Enigme n°5

Le lac Fourchu.

L’année scolaire se terminait en beauté. Les professeurs avaient organisé une super ballade avec l’accord et en coopération avec les parents. A Grenoble, on ne fait pas grand chose, mais quand on le fait, on le fait bien …surtout si ce sont les autres qui s’en occupent.

Trois jours de ballades en montagne, si vous trouvez mieux, je vous indiquerai où est ma tombe pour qu’on en parle, à tête reposée. A cette occasion, on avait loué un chalet au lac du Poursollet, un lac de montagne situé à 1650 mètres d’altitude, pas très loin de Grenoble, à moins de 50 kilomètres. Dès que l’on quitte la nationale à Séchilienne, en direction de la Morte, on commence à grimper dans une route très sinueuse qui offre des paysages splendides. Mais tous les enfants, trop gâtés par une nature généreuse dans cette région et très excités par la fin des classes et surtout cette sortie, avaient autre chose à faire que d’admirer ce magnifique décor. Comme disent les vieux : "  Quand on a, on n’en profite pas et quand on n’a plus, on regrette ". La route s’arrête au Poursollet où un grand parking accueille les voitures. Plusieurs chalets bénéficient d’une vue splendide sur la montagne ceinturant dans une majestueuse rocaille colorée, le lac aux eaux paisibles.

Ma classe occupait les 20 lits du gîte réservé par les organisateurs. Des tentes étaient prévues pour les classes des grands et sitôt arrivés ils se mirent à l’œuvre dans le pré qui s’en vient lécher l’eau claire, presque cristalline du lac. Nous les petits, ainsi qu’ils nous appellent, ce qui ne me plaît pas, oh ! Mais pas du tout ! Dès que nous eûmes déposés nos sacs, nous sommes venus les aider en les raillant chaque fois qu’un d’eux commettait une erreur dans le montage des tentes. C’est normal, faut bien s’entraider. On savait quand une erreur survenait, en entendant les autres critiquer ou à l’air ahuri du copain tenant un piquet à la main, comme une poule tenant un couteau. L’après-midi avec ma classe, on fit le tour du lac pour regarder les pêcheurs à la mouche, traquer les quelques truites qui somnolaient au fond de l’eau et que l’on pouvait apercevoir car l’eau n’est pas profonde. Heureusement que mon ami Marini m’avait donné un tube de pommade à la citronnelle, sinon, je crois que les moustiques m’auraient entièrement dévorée, tant ils sont voraces dans ce coin. Au lieu de les appeler moustiques qui somme toute est un joli nom, on aurait dû les appeler " fisc ".

Mais ce qui m’intéressait le plus, c’était la ballade prévue pour le lendemain. Nous avions au programme la randonnée au lac Fourchu situé plus haut dans la montagne à 2068 mètres, que l’on atteint par un petit sentier. Bien que réservée aux deux classes des " grands ", un camarade de ma classe et moi y participions à titre exceptionnel . En contrepartie, plusieurs grands, peu doués pour la marche où souffrant de quelque contrariété physique restaient au camp de base. Vers 16 heures nous fîmes halte au bord du plan d’eau, à l’opposé du refuge. Plusieurs grandes personnes vinrent au devant de nous avec un petit casse croûte et des boissons fraîches. On s’installa en petits groupes. Tout le monde était heureux, on succombait au charme de la montagne, son calme, son imposante majesté et sa beauté raffinée sans cesse renouvelée. Juste derrière nous, la forêt de sapin partait à l’assaut des cimes. On respirait un air pur, vivifiant. Dommage que le père Rolland polluait l’atmosphère avec sa pipe. Non pas que la fumée sentait mauvais, au contraire, le Prince Albert, son tabac blond, dégageait un parfum agréable. Toujours est-il que c’était quand même une forme de pollution, alors qu’on était ici pour respirer du bon air. Heureusement un léger vent dissipait les volutes de fumées. On aurait pu lui faire la remarque mais c’était un homme charmant, un bon pépé. Il participait à toutes les manifestations et n’était jamais le dernier pour mettre la main à la pâte. Sa fille était prof de musique dans notre école. Une jolie et gentille fille. Un jour le père Rolland avait eu des mots avec André Froment qu’il soupçonnait tourner autour de sa fille, alors qu’il était marié. Trop vieux, comme il le disait, bien qu’il paraissait encore vert, il ne participerait pas le lendemain à la randonnée vers le lac Fourchu.

Le temps était chaud et sec, le soir une lune éclatante illuminait le paysage. Nous avons fait une longue veillée et nous avons bien ri. On a chanté, dansé autour d’un feu surveillé de près par plusieurs accompagnateurs et puis le matin au lever du jour, on est parti, sac au dos. Plusieurs grands, déjà aguerris et deux accompagnateurs ouvraient la marche. Je me suis placée juste derrière eux. S’ils comptaient m’en foutre plein la vue parce que je suis une fille, ils tombaient mal, car je suis aussi une bonne marcheuse. Mon père adore la montagne et nous partons souvent le week-end, quand son commissariat lui fout un peu la paix. Très vite, la colonne s’est effilochée. Les accompagnateurs et les professeurs se répartissaient en fonction des groupes pour que tout le monde reste bien encadré. La randonnée ne présentait aucun problème majeur mais la montagne, c’est comme la mer, il est des lois auxquelles on ne peut déroger. Un minimum de prudence s’impose, être bien chaussé, avoir une petite laine, même s’il fait chaud et surtout ne pas sortir des sentiers près des profondes ravines. Avec Pierrot, mon copain, on se serait bien arrêté de temps en temps pour admirer le paysage, mais on pouvait pas, sinon, l’équipe de tête nous aurait semés et on aurait pas pu les rattraper. A ce rythme, nous sommes vite arrivés, à peine plus d’une heure de marche. J’étais morte, mais je voulais pas le faire voir, comme tous les autres du groupe d’ailleurs. Monsieur Froment m’a adressé un grand sourire.

- Félicitations Anaïs. Je ne te savais pas aussi bonne marcheuse.

Gonflé celui-là. Alors, parcequ’on est la fille d’un flic, on peut pas être une bonne marcheuse !

- Pas fatiguée ? ajouta-t-il .

- J’allais répondre : " Non ! Absolument pas ! " mais je me suis ressaisie. Pourquoi mentir pour rester dans le jeu des vaniteux ?

- Un peu, répondis-je, mais ça va.

Le deuxième groupe était loin derrière. Enfin, on allait pouvoir admirer le paysage. Malgré la faible dénivellation, à peine 500 mètres au dessus du Poursollet, la forêt s’était éclaircie. Elle venait mourir sur la gauche du lac, alors que sur la droite les rochers dominaient. Un troupeau de vaches ruminait dans l’immense prairie.

Après une petite halte, nous partîmes vers le refuge. Le deuxième groupe nous rattrapait. Les arrivées s’échelonnaient. Les retardataires arrivèrent plus d’une demi-heure après nous.

A midi, nous avons déjeuné dehors sur les grosses tables en bois. On était vraiment bien. Nous étions une trentaine d’enfants. Cinq professeurs et cinq parents d’élèves nous encadraient, dont la maman de Pierrot. Il y avait un couple assez jeune et un autre plus âgé, certainement des retraités, tous charmants et très gentils avec nous. L’après midi un groupe est parti faire le tour de la prairie suivi d’une petite excursion dans les rochers, les autres, dont je faisais partie, sommes restés pour jouer où flâner autour du lac.

Le soir, nous ne nous sommes pas fait prier pour dormir. Nous avions projeté d’admirer le lac au clair de lune, mais nous avons remis ce plaisir au soir prochain. Nous étions tous vannés. Le gîte était trop petit pour abriter tout le monde pour dormir mais toutes les dispositions avaient été prises et plusieurs dormaient dehors sous des tentes de montagne, très légères.

C’est un bruit insolite qui me réveilla le matin. Il semblait régner une certaine agitation. Je sautai de mon lit et rejoignit le groupe de personnes dehors. Ils semblaient atterrés. Leurs mines allongées annonçaient quelque chose de grave. De terrible.

- Que se passe-t-il ? demandais-je.

- Oh ! Ce n’est pas un spectacle pour un enfant, entre ma petite, me fit la dame âgée.

- Laissez-là ! rétorqua mademoiselle Artigues, notre professeur de géographie. C’est la fille du commissaire Blondel, elle saura mieux que nous ce qu’il faut faire. Le professeur Froment est mort. Ajouta-t-elle. Il est là dans la petite tente, un peu à l’écart.

Je pénétrai dans la tente. Froment gisait allongé sur le dos, la langue pendante. La petite tente était en désordre. Le jeune homme s’était certainement débattu. Plusieurs bouteilles étaient renversées, les odeurs se mélangeaient, celle de la bière, du lait aigri, du tabac à pipe blond, du déodorant, de la transpiration et surtout des chaussettes imprégnées de sueur.

Bouleversée par ce spectacle, je me précipitai dehors. Je fis quelques pas dans l’herbe, puis fus prise de vomissements.

- Je vous avais bien dit qu’il ne fallait pas mettre cette petite dans le coup, protesta la dame âgée en se précipitant vers moi et en m’enveloppant affectueusement de ses bras. Donnez lui un remontant.

- Ma pauvre Anaïs, fit mademoiselle Artigues compatissante en me tendant un verre d’eau fraîche.

- Ce n’est rien, ça va aller. Le professeur Froment a été assassiné. Je dois avertir mon père.

Le mari de la dame âgée me tendit son portable. J’appelai papa. J’entendais les gens protester autour de moi. " Un assassinat, ce n’est pas possible ! Elle se trompe. Un assassin parmi nous ? Impossible ! C’est insensé. Pourquoi tuer un homme aussi gentil, sportif pondéré. Qui ne boit pas … ne fume pas … Qui sait ! Peut-être un rôdeur, suggéra un autre. Il a fait chaud aujourd’hui, peut-être un serpent, proposa un autre".

- Non ! fis-je. Et je sais qui est le coupable.

Fin.

Anaïs Blondel Echirolles le 29 juin 2000

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Salut ! A bientôt pour une autre énigme.