Enigme n°11
Vacances menacées
- Anaïs ! Je compte sur toi pour trouver le voleur sinon, finie notre excursion, nous rentrons à Grenoble.
Voilà ! Parce que mon père est directeur de la Sécurité à Grenoble, on croit que moi sa fille, je suis aussi douée que lui et que je vais sortir le coupable de mon chapeau, comme un prestidigitateur vous sort une colombe du sien.
Nous sommes à Roybon, une jolie petite bourgade dauphinoise au cur de la forêt de Chambaran. Ce village prétend en être la capitale mais dautres villages ont la même prétention. Comme Brest, Nantes et Rennes en Bretagne, se disent la capitale de cette belle province.
Notre municipalité possède cette imposante bastide dans la banlieue de Roybon, à 70 kilomètres à lOuest de Grenoble, aménagée en centre de vacances. Le bâtiment principal en pierres rondes, comme toutes les vieilles demeures de la région abrite au rez-de-chaussée la cuisine, le réfectoire et plusieurs grandes salles de jeux. A létage une trentaine de chambres de part et dautres dun large couloir. Sur la gauche du corps principal du bâtiment, les écuries et sur la droite de vastes préaux aménagés. Les larges baies vitrées donnent sur un immense parc bordé de chênes énormes et derrière eux plusieurs étangs dont lun est réservé à la pêche, un autre au canotage et le plus petit à la baignade. Un endroit idéal pour passer un agréable séjour.
Il est 18 heures, nous avons fait une randonnée à cheval sur les poneys du centre. Nous rentrons tous enchantés à tel point que nous avons décidé den faire une autre demain où nous essayerons datteindre labbaye de Saint Antoine à une dizaine de kilomètres plus loin. La petite promenade daujourdhui semblait destinée à nous tester pour savoir si nous étions aptes à supporter un plus grand parcours.
Quelques minutes plus tard le drame éclatait. Mademoiselle Eloïse, notre institutrice dispose dune petite cagnotte remise en partie par le Sou des Ecoles et par la municipalité pour faire face aux petites dépenses lors de nos randonnées, comme par exemple, lachat de boissons fraîches ou lachat daccessoires pour nos veillées sans compter quon peut avoir besoin dun médecin, de produits pharmaceutiques autres que ceux prévus dans la trousse de secours, ou payer lintervention dun clown ou dun divertisseur occasionnel, comme il en passe souvent dans ces lieux.
Une petite pièce entre les deux salles de jeux est réservée à mademoiselle Eloïse et cest précisément là quelle gardait les 760 euros, un peu moins de 5000 fr, dans une petite boite en fer dans un placard. Cest aussi ici quelle y range la trousse de secours, son magnétophone, sa radio, les stocks de papiers, crayons, boites de couleurs, ficelles et tout larmada apporté pour nos veillées. Quelques vieux meubles sont entreposés dans cette salle autour dune cheminée monumentale laissant à penser quautrefois, avant le réaménagement de la bastide en centre de vacances cette cheminée était au centre dune grande pièce.
Mystère épais, pire que celui de la chambre jaune. La porte était verrouillée et seule mademoiselle Eloïse en possédait la clef. La fenêtre est protégée par de solides barreaux. Pendant que mes camarades dessinent en attendant 19 h 30 lheure du repas, je mène mon enquête désignée doffice par mes soi-disantes prédispositions congénitales. Jai beau inspecter la pièce, je ne vois pas par où le voleur aurait pu passer. Il y a bien cette cheminée très large mais les parois suffisamment lisses ne semblent pas offrir de saillies pour permettre dy descendre et dy remonter. Daccord, elle nest pas très haute, environ 8 mètres et du toit, il serait facile dy accéder à cause du voisinage des arbres dont les branches savancent sur le toit. Eloïse a pris 70 euros ce matin à 7 heures avant le petit déjeuner, remis la cagnotte à sa place et bien fermé la porte à clef. Comme dit mon père, réfléchissons un peu et notons les détails tels quils se présentent, ensuite on établira les différents arbres : larbre des causes, larbre des circonstances, lenvironnement. Bref, tout ça cest trop compliqué pour moi.
On se lève à 7h30, on déjeune à 8h30. Ceux qui ont fini avant, jouent au ballon sur la pelouse ou discutent ou se chamaillent, les garçons évidemment, nous les filles, on est plus calmes. A 9h30 nous avons formé 2 groupes. Lun le plus important est allé pêcher et lautre dont je faisais partie a fait du canotage sur létang réservé à ce sport. Déjeuner à midi. A 14 heures nous avons préparé les chevaux et sommes partis faire une petite randonnée jusquà 18 heures, heure où Eloïse a constaté la disparition de largent. Les 2 accompagnateurs de Grenoble étaient avec nous sur des chevaux ainsi que les deux garçons du centre : Jacques le fils du père Benoît et Michel le garçon de tâches.
Restaient au centre le père Benoît occupé à nettoyer les écuries des poneys et des chevaux, Léontine la cuisinière et son aide : Adèle sa fille. Difficile de soupçonner ces 3 personnes choisies pour leurs compétences, leur dévouement et leur honnêteté, bien que papa prétende que dans une enquête il ne faut exclure personne.
Le matin, Jacques animait le groupe pêche avec un des accompagnateurs de Grenoble. Michel et lautre accompagnateur animaient le groupe pratiquant le canotage, dont je faisais partie, sous lil vigilant de mademoiselle Eloïse.
A ce stade, je suis prête à abandonner. Je ne vois pas comment les choses ont pu se passer, comment sy est pris le voleur. Ah ! Si mon ami, linspecteur Marini était là. Lui il saurait. Moi, jabandonne. Pourtant, jaimerais tant faire cette randonnée à cheval demain et voir labbaye de Saint Antoine. Mon père men parle souvent, mais notre visite est toujours retardée, il lui tombe toujours quelque chose sur les bras à la dernière minute. Ma mère est repartie à Los Angeles pour un dernier reportage. Dieu que la vie est triste. Jai envie de pleurer.
Mes pas mont porté vers le grand préau où Jacques et Michel remettent un peu dordre. Jacques sest arrêté de travailler et reste le regard fixé sur la grande poutre.
- Michel, cest toi qui a enlevé la corde à nuds ? Celle à côté de la grande échelle en bois.
- Moi, pourquoi veux-tu que je lenlève ? Pour avoir le plaisir de la remettre. Cest sûrement les marmots. Satanés gosses, faut toujours quils touchent à tout.
- Faut la retrouver, elle est toute neuve, si elle reste dehors et quil pleut, elle va sabîmer. Ils annoncent un orage pour ce soir.
- Continue de ranger, je vais la chercher. Viens avec moi Anaïs, me fit Michel en minvitant dun geste de la tête.
Et nous voilà partis tous les deux à fureter partout, mais de corde à nuds, point de trouvé.
- Je crois quon ferait bien de chercher vers un gros arbre, ils ont certainement dû linstaller pour samuser.
- Tas raison Anaïs, viens on va voir vers le gros chêne derrière la maison, il nous est arrivé de linstaller sur cet arbre, les enfants adorent jouer là-bas.
Mon idée était bonne car cest dans un buisson près du gros chêne quon la retrouva. Mais une mauvaise surprise nous attendait. Michel grimaçait en regardant ses mains toutes noires.
- Quest-ce quils ont foutu avec, ces petits cochons. On peut pas la réinstaller comme ça, faut que je la lave.
- Quand ont-ils pu enlever la corde sans se faire voir ? demandais-je à Michel.
- Ca, ma petite Anaïs, jen sais rien.
Lheure du dîner approchait, jabandonnai les deux garçons pour rejoindre mes amis dans la grande salle. Ils faisaient cercle autour de la grande table ou mademoiselle Eloïse avait sélectionné et placé au centre de la table une dizaine de dessins.
- A votre avis, qui a réalisé le plus beau dessin ? demanda-t-elle à sa classe.
A la grande majorité ils désignèrent celui de Philippe, il représentait un enfant sur un poney, marchant dans un sentier entouré de beaux arbres. Plusieurs dessins ne manquaient pas de qualité artistique mais celui de Philippe était vraiment le plus beau.
- Je suis daccord avec vous en convint Eloïse mais je voudrais faire deux remarques. La première concerne la propreté du dessin il est tâché dauréoles sombres et de ce fait ne peut pas être exposé. Tout le monde va penser quil na pas été peint par un artiste mais par un petit souillon. Je dois aussi vous rappeler que Philippe ce matin a déjà gagné le concours de pêche en attrapant la plus grosse truite.
- Jy peux rien mademoiselle Eloïse si je suis le meilleur en tout, jai droit aux deux prix. Faut me les donner tous les deux.
- Daccord mais jaurais aimé que pour la peinture tu acceptes de toi même que le prix soit remis à un autre. Nous aurions tous apprécié ce geste sympathique de ta part.
- Pas question, je refuse, jy ai droit, je dois lavoir.
- Tu as vu la truite que Philippe a pêchée ce matin ? me fit Sylvie, ma meilleure copine.
- Non !
- Grosse nigaude, elle est dans le grand bassin sur la pelouse. Ceux qui attrapent des truites viennent de suite les mettre dans le grand bassin pour que tout le monde les voit. Ensuite, je crois quà la fin du séjour, ils les remettent dans létang.
Sur le côté du bâtiment une source captée jaillie du sommet dun gros rochers et alimente plusieurs bassins en cascades, avant de former à la sortie du dernier bassin un petit ruisseau qui va se jeter dans létang des truites. Cest paraît-il la coutume ici, comme me lexplique mon amie, celui qui attrape une truite, vient vite la déposer dans le bassin et retourne à la pêche pour essayer den attraper dautres.
- Bon, puisquil en est ainsi conclua, Eloïse nous décernerons deux prix, un pour Philipe puisquil refuse de se désister et un autre pour Eugénie. La prochaine fois je préciserai plus clairement quune même personne ne peut obtenir quun premier prix par jour. Comme de toutes façons, nous retournerons à Grenoble après demain, je naurai plus à envisager lachat et la distribution dautres prix. Demain, nous préparerons nos bagages.
Un concert de protestations séleva.
- Non mademoiselle Eloïse, on vient à peine darriver, on peut pas déjà partir des parents nont rien prévu pour garder leurs enfants . Cest pas juste .
- Je ny peux rien, il y a eu un vol et nous navons plus dargent pour continuer. Jai des comptes à rendre à la mairie et au Sou des Ecoles. Tant pis pour vous. Moi aussi je le regrette.
Le visage consterné de mes camarades me faisait beaucoup de peine et mon cerveau commençait à se réveiller.
- Attendez, mademoiselle Eloïse. Tout nest pas perdu. Je vous demande un peu de patience.
- Pourquoi ? Tu as retrouvé largent ? me fit-elle étonnée.
Un silence attentif retomba sur notre groupe et je poursuivai :
- Non ! Je ne lai pas encore trouvé, mais je crois savoir où il est. Un petit plaisantin la caché. Si vous me promettez de passer léponge sur cet incident, ce soir vous aurez largent.
- Cest toi qui la pris ?
- Certainement pas, mademoiselle Eloïse, mais jai tout compris. Alors, promis ? Vous passez léponge et moi je retrouve largent ?
Elle hochait la tête, ma proposition était tentante mais passer léponge sur un vol qui la traumatisait ne lenchantait guère. Finalement après quelques hésitations elle accepta.
- Promis ! Ce serait tout de même malheureux dabandonner un endroit aussi merveilleux, me répondit Eloïse qui très certainement en avait gros sur le cur dajourner notre séjour et davoir à affronter tous les problèmes que notre retour allaient soulever chez des parents.
Un hourra joyeux séleva. Sylvie me sauta au cou. Dautres vinrent mencourager.
Bien sûr, je savais quil ne sagissait pas dune plaisanterie, mais bien dun vol mais je me faisais fort de confondre le petit chenapan, javais tout ce qui fallait pour le faire avouer. Je suis sûre quaprès cet incident, il ne recommencerait plus. Comme une grande, en plus des preuves, javais fait le portrait psychologique du petit malfrat. Dans ce vol je crois quil sagissait plus dun défi quil sétait lancé de réussir ce superbe coup que tout simplement lappât du gain. Se savoir aussi vite démasqué lui qui se croyait supérieur aux autres le ramènerait à plus dhumilité et lui couperait lenvie de recommencer. Jen mettais ma main au feu . A condition quil soit éteint bien sûr.
Fin
Anaïs Blondel Echirolles le 5 juin 2002 Qui est le coupable ? Et surtout comment sy est-il pris ?
Salut ! A bientôt pour une autre énigme.