Enigme n°10
Sacré Gutenberg.
Ciel, je viens de faire une découverte : je suis une adolescente anormale. Bien que cette découverte ne me soit pas particulièrement valorisante elle a néanmoins le mérite de mapprendre quelque chose et cest toujours intéressant de découvrir qui lon est. Je ne sais qui a dit : " connais-toi toi même " ce qui daprès les adultes est un axiome incontournable, eh bien, moi, maintenant, je crois me connaître. Il ne semble pas que mes camarades de classe soient des enfants particulièrement chahuteurs, loin sen faut, pourtant, malgré lintérêt des choses qui nous sont présentées, la compétence et la gentillesse dont fait preuve Julia notre charmante hôtesse, jentends autour de moi, des exclamations des poufs, des pafs, des rires parfois déplacés, sans parler des nombreuses allées et venues tapageuses hors du cercle de notre classe. Les autres visiteurs font preuve dune infinie patiente, car moi, à leur place, il y a longtemps que jaurais distribué quelques soufflets retentissants à ces garnements.
Julia sarrête près dune lourde table surmontée dun cadre de bois avec en son centre une pièce de bois filetée comme un pressoir recevant à sa base un gros cylindre de bois prolongé dun long manche.
- Voici la reproduction presque parfaite de la première presse inventée par Gutenberg. Vous savez certainement qui était Gutenberg poursuivait Julia, vous le connaissez ?
- Oui, répliqua Pierrot en pouffant de rire, cétait un Martien. Il a fait les 24 heures du Mans dans une soucoupe violente.
Son intervention déclencha les rires et les quolibets de toute la classe au grand désespoir de notre guide. A cet instant, Pierrot se tenait à côté de moi sur ma droite et sa plaisanterie déplacée mirrita au plus haut point. Agacée par son comportement je ne pus mempêcher de lui asséner un énergique coup de coude qui malencontreusement percuta son estomac générant en lui de violentes douleurs. Il se plia en deux et commença à gémir. Mademoiselle Eloïse notre institutrice se précipita sur lui après mavoir lancé un regard plein de reproches malgré toute la sympathie quelle me portait. Elle lentraîna dans une autre salle afin que Julia puisse poursuivre son exposé sur Gutenberg et sa presse. Elle revint quelques instants plus tard en prononçant à voix basse quelques paroles.
- Ce nest rien, il reprend son souffle, il réintégrera le groupe un peu plus tard, puis se tournant vers moi, elle ajouta : quant à toi, Anaïs, fais attention à tes gestes tu aurais pu lui faire très mal.
- Excusez-moi mademoiselle Eloïse, fis-je contrite, je ne voulais pas lui faire mal. Je voulais seulement quil se taise.
Julia continuait.
- Gutenberg na pas inventé limprimerie mais il la perfectionnée. Avant lui, il fallait graver des pièces de bois pour imprimer un texte, graver lettre par lettre, page par page. Vous imaginez le travail colossal que représentait limpression dun ouvrage. Lui a inventé les caractères mobiles qui peuvent être réutilisés ce qui fait gagner énormément de temps et permet dimprimer beaucoup plus vite. Beaucoup plus vite, beaucoup moins cher à tel point que cette invention fut une véritable révolution. Il a aussi amélioré la presse ce qui fit dire de lui quil fut linventeur de limprimerie, alors quil na fait que laméliorer.
- Possède-t-on des pages imprimées de cette époque ? interrogea notre institutrice.
- Oui bien sûr. Dans une de nos salles nous avons un parchemin imprimé datant de cette époque. Je vous le montrerai tout à lheure. Cest évidemment une pièce rare dune très grande valeur.
Etait-ce labsence de Pierrot, mais de toute évidence le climat avait changé dans notre groupe ? Le chahut avait disparu et mes camarades semblaient prêter une plus grande attention aux paroles de la gentille Julia. Il faut aussi dire quelle nous faisait découvrir une foule de choses intéressantes . Nous qui sommes inondés chaque jour de nouveautés technologiques, ce petit retour dans un lointain passé ne manquait pas de charmes. Il faut dire que lorganisation de cette manifestation avait bénéficié du soin tout particulier de diverses associations. Le musée de Grenoble y participait et avait prêté pour loccasion plusieurs documents extrêmement rares et la ville dAttignat dans lAin, sa presse Gutenberg ainsi que sa collection de pages enluminées de la Bible de Gutenberg. La manifestation se déroulait dans plusieurs salles de la bibliothèque.
Plusieurs groupes dirigés par des hôtesses se succédaient dans les salles réservées à lexposition et quelques visiteurs déambulaient au gré de leur curiosité.
Il nous était réservé pour la fin de la visite, la petite salle renfermant le parchemin de lépoque et les pages de la bible. Lhôtesse nous fit prendre patiente dans la salle dexposition des livres car nous ne pouvions tous pénétrer dans la salle abritant les précieux trésors, nous devions attendre que le groupe précédent en eut terminé. Mes camarades ne semblaient pas le moins du monde offusqué de cette attente car dans cette salle le rayon des bandes dessinées abritait lui aussi de nombreux trésors, trésors à nos yeux denfants évidemment, car ces bandes, elles aussi affichaient souvent un certain talent. Notre attroupement dans ce rayon gênait un peu la circulation des visiteurs car cette allée conduisait à la salle des documents anciens mais aucun de nous ne sen souciait.
Enfin, le groupe qui nous précédait sortit ainsi que Pierrot qui avait repris ses esprits. Lhôtesse, une grande blonde portant de fines lunettes vint au devant de Julia.
- Je prends ton groupe dans un instant mais avant je dois me rendre à la réception où lon me demande. Jen ai pour quelques minutes. Jai fermé la porte à clef mais surveille quand même. Merci.
Je mexcusai auprès de Pierrot pour le mauvais coup que je lui avais porté.
- Ce nest rien Anaïs, je ne ten veux pas. Je sais bien que tu ne voulais pas me faire mal. Quand le groupe est arrivé, jen ai profité pour écouter les commentaires de lhôtesse et regarder les manuscrits. Ils sont chouettes.
Quelques minutes plus tard mademoiselle Grandet revint et nous invita à la suivre. Avant douvrir la porte elle nous donna quelques recommandations.
- Les documents que vous allez voir sont précieux et je vous demande donc de rester sages, de ne pas chahuter, de ne rien toucher. Daccord il sont protégés par des vitrines mais si malencontreusement on casse une vitre on peut par la même occasion abîmer le document. Daccord les enfants ?
Nous répondîmes oui, dune seule voix et gentiment nous investîmes la petite salle. Le milieu de la salle était occupé par des panneaux supportant de vieilles affiches, des reproductions de vieux documents, alors que les parchemins étaient dans des vitrines accolées sur les murs latéraux. Des tables et des caisses encombraient le centre de la pièce encadrés par les panneaux porte-affiches.
Nous avions du mal à entendre les commentaires de mademoiselle Grandet à cause du bruit qui venait des autres salles. La porte étant restée ouverte, je décidai donc de la fermer. Un grand escogriffe en imperméable gris, genre professeur pète-sec qui sortait, me bouscula alors que je mapprêtais à la fermer, sans prononcer un seul mot dexcuses. Ah oui! Les grandes personnes peuvent parler de lincorrection des adolescents mais eux, ils se croient tout permis.
Nous étions tous en admiration devant les pages dun manuscrit.
- Cest fait avec limprimerie ? demanda Jeannette.
- Non ! Ces documents ont été faits à la main par des moines. Ce sont de véritables chefs duvres. Ces moines étaient des artistes talentueux. Ils ne possédaient pas les logiciels actuels qui nous facilitent bien la tâche lorsquon veut décorer un document. Maintenant je vais vous montrer les pages enluminées de la bible. Elles sont sur lautre pan de mur .
Cest à peine si ses derniers mots furent audibles. Elle restait figée le bras tendu.
- Mon Dieu ! Ils ont disparu ! Cest pas vrai.
Son visage pâlissait, ses traits se creusaient. Je ne sais ce quelle balbutiait car ses paroles semblaient sétouffer dans sa gorge. Son émotion était si forte quelle nous envahissait nous aussi. Tout comme elle, nous restions stupéfiés, immobiles et sans voix. Puis soudain elle partit en courant et criant. Quelques instants après, on entendit des pas précipités et plusieurs personnes arrivèrent la mine défaite. Deux policiers suivaient.
- Appelle des renforts et fait fermer les portes cria un policier à son collègue. Que personne ne sorte.
Monsieur Deschamp, le responsable de lexposition, le visage vert, les yeux jaunes agonisait lentement la bouche ouverte, face aux vitrines vides. On aurait dit une statue de cire à leffigie de Frankenstein. Des palabres entrecoupés dexclamations se succédaient sans fin dans lattente dune amorce de procédure ordonnée.
- Faudrait savoir qui a pénétré dans cette pièce ? hasarda Deschamps le policier.
- Je ne comprends pas. Si quelquun avait ouvert la vitre dailleurs fermée à clef je laurais vu, balbutia mademoiselle Grandet.
- Je sais pas moi, peut-être vous êtes-vous absentée, quelquun en a alors profité pour pénétrer dans la pièce pendant que vous nétiez pas là.
- Non ! Je ne vois pas. Ah ! si, quand je suis arrivé avec le premier groupe il y avait un jeune garçon dans la salle. Il est entré pendant que jallais au devant de mon groupe. Jai discuté avec le groupe pour leur souhaiter la bienvenue et leur exposer le programme cela na pas été très long, je suis restée hors de la salle 5 ou 6 minutes. Cest en pénétrant dans la salle que jai vu le jeune garçon, il avait lair de souffrir et il est resté dans un coin. Cest lui, fit-elle en désignant Pierrot.
Fronçant le sourcil le gendarme sapprocha de mon camarade.
- Dis-moi, mon garçon, pourquoi es tu venu ici au lieu de rester dans ton groupe ?
- Il avait reçu un coup de coude dans lestomac et il avait très mal, expliqua mademoiselle Eloïse.
- Bien, je comprends. Alors tu as entendu les visiteurs dire que ces enluminures valaient chères et tu les as volées.
- Non, monsieur lagent. Jai rien volé. Dailleurs fouillez moi, jai rien.
- Oui, bien sûr, tu nas rien sur toi, mais tu me parais sacrément futé, hein ?
- Non ! pas plus que les autres. Jsuis pas un voleur !
- Tu les as cachées dans un coin et tu penses revenir les chercher plus tard. Ou bien tu as simplement voulu faire une farce. On ne te fera rien si tu nous dis où elles sont.
Pierrot devenait rouge de colère. Soudain il éclata.
- Je vous dis que cest pas moi, dailleurs quand je suis sorti avec le groupe elles étaient encore là. Moi jétais à côté alors que le groupe était à lautre bout de la pièce autour du parchemin. Les enluminures étaient encore là.
- Eh bien, puisque tu ne veux pas nous dire où tu les as cachées, on va temmener au commissariat. Crois moi, là-bas on va te faire parler et tu iras en prison. Cest très vilain de voler. Dailleurs tu naurais jamais réussi à les revendre.
Pierrot éclata en sanglots. Il était temps que jintervienne. Pierrot est un garnement chahuteur mais cest pas un voleur. Il est parfois très gentil quand il veut. Pour moi les choses devenaient très claires. Javais une petite idée sur lidentité du voleur et sur la façon dont il sy était pris pour subtiliser les précieux documents.
- Non ! Monsieur Deschamp, Pierrot nest pas le voleur.
Surpris, le policier se retourna vers moi.
- Ah ! Cest toi Anaïs. Tu sais quelque chose ?
- Oui monsieur Deschamp. Vous pouvez laisser Pierrot.
- Puisque tu le dis.
Fin.
Anaïs Blondel Echirolles le 27 novembre 2001 Alors, vous avez trouvé ?
Salut ! A bientôt pour une autre énigme.