Commissaire BLONDEL
Enigme numéro 1 : Laffaire Flambart (samedi 9 janvier 1999 )
Vous avez 15 minutes pour trouver le coupable.
Blondel regardait lIsère rouler à ses pieds ses eaux boueuses. Une teinte en parfaite harmonie avec celle des dialogues échangés dans la salle daudience quil venait de quitter. Depuis longtemps, il nadmirait plus la magnifique façade du XVième, donnant sur la rue, contradiction hypocrite de la sinistrose des couloirs et des pièces, sans oublier certains habitués, pontifes dopérettes, dans leurs robes et costumes de scènes. Le juge ne comprenait pas pourquoi il sétait lui-même présenté à la place de son officier de police, déclaré « souffrant ». Quun flic se fasse injurier, souiller de crachats, nétait pour la justice quune simple péripétie sans conséquence et lissue de la séance ne laissait planer aucun doute. Quimporte, il nétait pas venu pour ça. Lesquisse dun sourire effleura son visage. Deux vaguelettes aux reflets huileux sunirent contre un rocher émergeant des eaux basses à cette époque, avant dêtre happées par le courant. Un discret coup de Klaxon le sortit de sa rêverie - Voulez-vous profiter de ma voiture, monsieur le principal, lui cria Barrière?
- Non ! Merci ! Je rentre à pieds.
Barrière haussa les épaules et séloigna sans comprendre.Le parc de lIle verte se situait à mi-distance entre le palais de justice et le commissariat central. Bien que ce mois de janvier fut relativement doux, les bancs étaient libres. Assis sur lun deux, jambes et bras croisés, son esprit vagabondait dans ses réflexions. Ce nétait pas par innocence quil avait remplacé le policier, témoin dans cette affaire. Il désirait conforter son jugement sur elle, sonder ses réactions, souvent révélatrices de lhonnêteté de la personne, à chacune de ses déclarations, même si elles nétaient pas toujours appropriées. Cétait une femme brillante, sûre delle. Elle savait se servir de son charme, de ses effets de manche, de ses longs cheveux noirs quelle balançait pour mieux exprimer ses convictions et convaincre son auditoire. Il avait affaire à forte partie. Cest à peine si quelques chuchotements étouffés, quelques bruits de couloir, venaient troubler, sa notoriété et lemprise quelle semblait exercer sur tout le parquet. Nous vivons le siècle des catalogues. Les gens sont catalogués. Il serait vain dessayer den modifier les paramètres. Mais dans laffaire Flambart il navait que des présomptions. Il lui manquait la preuve. Et dans ce cas, une preuve en béton simposait.
Son regard suivit une jeune femme accompagnée dun petit garçon accroché à la poussette du bébé. Je suis encore jeune, mais peut-être devrais-je penser, moi aussi à fonder un jour un foyer. Les années passent vite. Déjà 5 ans ! Mon boulot de principal dévore ma vie. Je devrais déléguer un peu plus. Jai la chance davoir 5 bons commissaires. Barrière manque un peu dexpérience, mais il est très dévoué. Duranti, lui nen manque pas, mais il commence à se faire vieux
Il se leva. Une visite simposait avant de regagner le commissariat.
Quelques instants plus tard, il frappait à la porte de la famille Flambart.
- Monsieur le commissaire ? Entrez donc, fit madame Flambart, les yeux rouges en écrasant une larme dun coin de son mouchoir. Asseyez-vous, je vous prie.
Blondel sexécuta, Le visage allongé par la tristesse il ajouta après avoir salué :
- Je suis très peiné par ce qui vous arrive et je puis vous assurer que je ferai tout pour que ce crime ne reste pas impuni.
- Vous tenez le criminel ! Cest à la justice de le sanctionner comme il convient. La reconstitution a bien lieu cet après-midi ?
- En effet. Vous pouvez y assister si vous le désirez.
- Mon Dieu ! Jai peur ! Mon mari est fou furieux. Il veut tuer le meurtrier de notre fille. Jai perdu ma fille, je ne voudrais pas que mon mari fasse une bétise et aille en prison.
- Je sais. Nayez crainte. Barrière soccupera personnellement de votre mari. Il ny aura pas de problème.
- Ah ! Tant mieux . Je peux vous offrir quelque chose ?
- Un café, si vous le voulez bien.
- Oh ! Je suis désolée. Nous ne buvons pas de café. Par contre, jai du thé Il est bientôt 11 heures, jai un bon petit blanc au frigidaire. Ca vous tente ?
- Je vais me laisser faire. Daccord pour un blanc.
Blondel dégusta son verre tout en posant quelques questions sur les habitudes de sa fille, son travail, ses ambitions. La détresse de la femme lui oppressait le cur.
- Vous savez, son employeur, maître Cappellara lestimait beaucoup. Vous la connaissez ? Blondel acquiesça dans un sourire, alors que la femme marmonnait :
- Dieu que je suis sotte, un commissaire connaît forcément tous les avocats. Elle nous a présenté son collègue. Un jeune homme charmant. Je crois bien que Vous comprenez ?
Le policier se leva, prit dans ses mains la main de la mère.
- Sachez madame Flambart que je compatis sincèrement à votre douleur. Je vous souhaite beaucoup de courage. A cet après-midi.Barrière avait réussi à calmer le père Flambard. Dun bras à la fois affectueux et ferme posé sur ses épaules, il le tenait un peu en retrait de la scène.
- Otez-lui les menottes, ordonna le juge.
Lassassin présumé restait calme.
- Maître Capparella voulez-vous jouer le rôle de la victime ? Prenez le téléphone et commandez un café. La jeune femme sexécuta.
Un policier mit dans les mains du garçon de café, le prévenu, un plateau supportant une tasse et un croissant.
- Refaites exactement les mêmes gestes. Allez ! Commencez ! Ordonna le juge
- Encore une fois, je vous répète que je ne suis pas lassassin. Lorsque je suis arrivé, elle était par terre, dans une marre de sang, le couteau planté dans la poitrine. Je me suis affolé, jai renversé le plateau jai retiré le poignard. Jallais appeler une ambulance, lorsque la dame est arrivée, du doigt il désigna Maître Capparella.
- Elle venait doù ? De son bureau, ou de la porte dentrée ?
Il désigna la porte d'entrée.
Le procureur, un homme aussi grand que sec, vêtu dun costume gris de bonne coupe, tapota la liasse de papiers que son substitut tenait en mains et lui murmura.
- Soulignez le fait quil ny avait personne dautre dans létude. Maître Capparella était sortie et lautre avocat, maître Person, était à la prison de Varces avec un de ses clients.
Le regard haineux, lavocate invectiva lhomme.
- Noubliez pas monsieur le juge que cet homme a déjà été condamné pour tentative de viol. Le scénario est dune limpidité éclatante. Il a vu quil ny avait personne dautre dans létude et a voulu récidiver ; mais la petite Flambart ne sest pas laissée faire. Peut-être a-t-elle crié . Alors, il sest affolé. Pour la faire taire il a saisi, sur le bureau, le stylet qui servait de coupe papier et la frappée. Quand je pense que sest moi qui lait recommandé au café den face, pour favoriser sa réinsertion à sa sortie de prison . et pour me remercier, il tue mon employée.
Elle termina dans un sanglot étouffé qui semblait émouvoir le juge.
- Je vous en prie maître. Je comprends votre émotion, mais nous sommes ici, uniquement pour reconstituer les faits et gestes de monsieur Perrino afin de comprendre ce qui la amené à tuer mademoiselle Flambart.
Lavocate essuya une larme sur sa joue, en sécroulant sur la chaise. Perrino lança un regard désespéré à Blondel qui restait de marbre.
Le juge et le procureur se relayèrent pour retracer dans le détail les faits, tels quils sétaient vraisemblablement déroulés.
- Je crois que nous en resterons là. Tout me semble clair, déclara le juge quelques instants plus tard. Il se tourna vers Blondel. Vous navez rien à ajouter monsieur le divisionnaire ?
Le jeune divisionnaire savança, sadossa à la table, se caressa le menton, fixa un instant le plafond, comme pour chercher une inspiration puis sadressa au juge.
- Tout dabord, je vous rappelle que la condamnation pour viol de M. Perrino na jamais été formellement prouvée. Pour cette affaire présente, jai une autre version des faits, monsieur le juge. Si comme vous, je pense quil sagit dun crime passionnel, jai une toute autre approche des motivations et des circonstances qui ont abouties à ce crime. A mon avis les choses ne se sont passées comme ça.
- Ah ! sexclama le juge étonné. Je suis curieux de connaître votre version. Parlez !
Les traits du divisionnaire se durcirent, puis son regard séclaira dun sourire.
- Mademoiselle Flambart était une jeune femme superbe, intelligente, aimable Elle possédait tout pour réussir et plaire. Son arrivée ici, il y a seulement quelques mois, ne passa pas inaperçue. Surtout aux yeux de son collègue : maître Person, lui aussi charmant jeune homme.
- Et alors ? Quest-ce que ça change ? Claironna le juge.
- Beaucoup de choses, monsieur le juge. Maître Capparella nest pas femme à se faire débouter par une jeune débutante, surtout chez elle, ici même. Une haine viscérale ..
- Vous affabulez Blondel ! Interrompit le juge agacé.
- Il est fou ce type, hurla lavocate hors delle. Parce que je nai jamais répondu à ses avances, il profite dun drame qui sest déroulé chez moi, à mon insu, pour me traîner dans la boue. Je nai pas lintention de me laisser salir. Je
- Du calme ! Intervint le procureur. Il savança vers Blondel. Attention, monsieur le divisionnaire, vos propos prennent mauvaise tournure, vous oubliez que vous vous adressez à un auxiliaire de justice et si vos insinuations savèrent calomnieuses ou entachées dun certain parti-pris, vous risquez de graves sanctions. Je vous ai mis en garde, maintenant dites-nous ce que vous avez à déclarer, sans broder, sans fioritures. Des faits tout simplement.
Blondel ne manifesta aucune émotion et poursuivit :
- Je nai aucun parti-pris contre maître Capparella, par contre je nai pas encore succombé à ses charmes. Il lança une illade au juge qui ne sembla pas apprécier lallusion. Je continue. Tout dabord, laisser moi vous dire que le coup de téléphone au café den face ne sest pas fait de ce poste, mais de celui du bureau de maître Capparella.
- Et alors ? quest-ce que ça prouve ? Je nétais pas là, elle a pu téléphoner doù elle a voulu, mon bureau nest pas fermé à clef. Cest un détail dénué dintérêt.
De marbre, Blondel poursuivit :
- Ce nest pas Liliane Flambart qui a téléphoné, mais vous, fit-il, un doigt accusateur pointé sur elle.
- Continuez Blondel. Dès que cette plaisanterie sera terminée je vous poursuivrai . Ponctua Capparella, la voix acide.
- Vous avez téléphoné après avoir tué Liliane. Profitant de labsence de Person, vous êtes venue la trouver pour lui dire que vous ne toléreriez pas quelle ait une liaison avec lui
- Complètement idiot ! Il me suffisait de la virer.
- Virer Liliane naurait pas empêché les jeunes gens de se voir. Et ça, vous le saviez. Vous avez insisté. Liliane très amoureuse de Person na pas cédé. Vous avez vu rouge. Habituée à voir les gens ramper devant vous, vous navez pas supporté que votre jeune employée vous défie et dans un accès de rage, vous vous êtes saisi du couperet et lavez violemment frappée. Nous allons reconstituer le crime, tel quil sest passé. Blondel fit signe aux deux jeunes auxiliaires dintervenir. Lune pris la place de Liliane, lautre pénétra dans le bureau de Capparella et réapparut pour jouer à la perfection la scène que venait de décrire Blondel. Après que lauxiliaire eut téléphoné du bureau de Capparella, elle sortit et revint dans la pièce, après que le gendarme chargé dun plateau sur lequel la boisson débordait de la tasse, fit son entrée.
- Bien joué fit le procureur le visage fendu dun large sourire. Votre personnel joue parfaitement la comédie. Cette version serait plausible si nous ne connaissions pas lintégrité de maître Capparella et si, et cest là que le bas blesse, vous nous fournissiez une preuve tangible . Et vous ne possédez pas la moindre preuve.
- Je suis innocente. Je vous lai dit, Blondel veut se venger de moi. Il na pas la moindre preuve. Ses yeux brillants lançaient des éclairs et rehaussaient sa beauté.
Le visage dur, avec un reflet ironique dans le regard Blondel répliqua:
- Dommage pour vous jai une preuve !Fin
Alors, vous avez trouvé ?
Salut ! A bientôt pour une autre énigme. André Blondel.