Conte n°4 :

Bon Repos (Suite)

 

1.

Une belle journée s’annonçait aujourd’hui. Un dimanche ensoleillé, sans vent, où les jonquilles impatiences se dressent déjà vers le ciel. Un pied de nez à l’hiver. Claire et moi avions décidés de déjeuner dans notre petite véranda, donnant sur le jardin afin de mieux profiter des prémices du réveil de la nature.

Quelle ne fut pas ma surprise de voir apparaître, de si bon matin, mon ami Christian. Il nous rejoignit dans la véranda, fit la bise à Claire et accepta de prendre une tasse de café. Cette visite de si bon matin, bien que courante l’été lorsque nous partions faire des balades, devenait exceptionnelle l’hiver, quand nous n’avions fixé aucun but à l’avance. Puis Claire prétexta avoir du linge à trier et lancer la machine à laver pour nous laisser seuls.

Christian se pencha vers moi, comme pour me murmurer quelque chose de très confidentiel. Il avait un drôle d’air, son regard scrutateur me fit, je ne sais pourquoi, penser à un artichaut qu’on effeuille pour atteindre le cœur.

- Ca va Sébastien ? me demanda-t-il le visage trahissant une certaine inquiétude.

- Bien sûr que ça va, pourquoi une telle question alors que tu me vois en pleine forme en face de toi ?

Il secoua la tête d’un air peu convaincu.

- Ecoute Sébastien, nous sommes de vieux amis et jamais n’avons eu de secrets l’un pour l’autre, alors, je t’en prie, réponds à ma question. Je te la pose sans détours, réponds moi de même.

- Je ne vois vraiment pas ce qui t’inquiète, je vais très bien.

- Si tu le veux bien, parlons en toute confiance, comme nous l’avons toujours fait. Voilà, hier à l’épicerie des Quatre Croix, j’ai rencontré Claire et nous avons un peu bavardé. Elle m’a confirmé que tu allais très bien physiquement, mais que parfois tu avais de petits problèmes, comment dirais-je ? Oui, de petites hallucinations ou visions, que sais-je ?

- Ca ne tient pas debout.

- Allons Sébastien, lui as-tu oui ou non parlé du château de Bon Repos qui aurait disparu ? Je ne suis ni juge ni docteur, je veux tout simplement te demander si oui ou non, tu as assisté à ce phénomène. Allez, Sébastien réponds moi franchement.

- Si tu exiges une réponse franche de ma part, alors je vais te dire la vérité, pour le moins surprenante. Pense en ce que tu veux. Oui, j’ai bel et bien vu le château disparaître.

- Eh bien voilà. C’est tout ce que j’attendais. Si tu le dis c’est que tu l’as vu, et moi, je te crois. Je comprends très bien que tu refuses d’en parler de peur de passer pour un dérangé du cerveau. Eh ! Au juste, comment est-il revenu notre château ?

- C’est très simple, j’ai bougé les aiguilles de la pendule du temps et tout est revenu en ordre.

- Bien ! Bien ! Heum…Eh bien ! Je comprends maintenant que tu refuses d’en parler. Tu aurais sur le champ eu droit à la camisole de force et expédié dans un hôpital psychiatrique.

- Et tu me crois ?

- Bien sûr que je te crois. Non seulement je te crois mais je suis très intéressé par cette aventure. Elle sort du commun et des banalités de notre vie cadencée par les contraintes. Je vais te faire une proposition : et si nous faisions ensemble une visite au château ? Oh ! Pas aujourd’hui, c’est dimanche et il y a trop de visiteurs. Demain, si tu le veux bien, nous serions plus tranquilles puisque le château est fermé. Je passe ce soir chez l’ami Cognat, je lui demande la clef et ensemble, on fait un petit tour. Ce sera formidable de repasser dans les lieux, où tu as assisté à un tel événement.

2.

A 9 heures, lundi matin, Christian fidèle à sa promesse, m’attendait dans sa voiture. Direction Haute Jarrie dominée par mon château. Je peux dire mon château, car jusqu’à preuves du contraire, je crois être le seul à être entré en communication avec lui, et pas de façon banale mais avec le son, l’image et l’animation, à une époque vieille de plus de 1500 ans.

J’avoue que je tremblai un peu quand retentit le bruit métallique de la serrure déverrouillant la lourde porte d’entrée. Là je pris en mains la direction de l’expédition. Nous avons gravi lentement les marches de pierre nous conduisant à la grande salle centrale. Lui comme un banal visiteur, moi, le cœur battant. Grande salle, surtout parce que le temps avait eu raison des cloisons de séparations qui reposaient sur le sol, sous la surveillance attentive de la cheminée monumentale qui elle, défiait victorieusement le temps. Nous sommes descendus dans le souterrain transformé en musée par les rénovateurs de l’Association Bon Repos. Mon cœur battait à tout rompre. Reverrais-je Agrippa, le grand mage de cette époque, Guillaume Armuet : le seigneur des lieux  et la gente dame qui filait ? Je me souvenais d’elle, sa beauté avait frappé mon imagination perpétuellement en vagabondage.

Tout était calme, silencieux. Un silence religieux propre aux bâtiments historiques qui ont emmagasiné tant de souvenirs, ont été témoins de tant d’événements. Nous avons traversé la petite chapelle, la salle d’exposition, silencieux tous deux, de peur de perturber cette mémoire qui somnole dans les pierres. Nous sommes ressortis par la petite porte qui donne vers les souterrains. A ma grande surprise, je tombai sur un mur de pierres. Confus, je me retournai vers Christian et lui précisa d’une voix incertaine :

- C’est par là que je suis passé.

Il s’approcha, examina le mur recouvert de vieilles mousses attestant du lointain passé de sa construction.

- Oui … Bon … Bien sûr. Tu sais, les choses ne sont jamais pareilles. Surtout dans ces constructions où tout semble fait pour désorienter le visiteur.

Il s’exprimait dans un ton banal dénué de toute ironie. Je le connaissais trop pour savoir que ce qu’il disait n’était pas ce qu’il pensait. Un malaise s’installait entre nous. Moi, le sentiment d’être ridicule, alors que lui, indubitablement, essayait de trouver les mots pour ne pas me choquer. L’affectueuse attention qu’on porte à un malade. Il ne nous restait plus qu’à faire demi-tour, revenir sur nos pas. Nous avons de nouveau traversé la salle d’exposition, l’œil attentif à ces vestiges sauvés de la destruction. Corbeaux, sculptures, pierres taillées et même des peintures que l’association réussit à reconstituer pour le musée. Quelques marches et nous voici dans la grande salle, à quelques pas de la sortie.

Boum ! …….

Stupéfaction ! ……..

De nouveau, le château avait disparu. Pour le plus grand étonnement de Christian alors que moi, je commençais à jubiler. Toutefois, pas totalement disparu puisque à l’angle Nord subsistait la base de la tour. Il n’en restait pas grand-chose, à peine quelques mètres de hauteur mais toute sa largeur restait intacte. Christian avait pâli. Comme tout le monde, il n’avait pas cru un traite mot de mon histoire, ma réputation de blagueur n’avait nulle besoin d’être confirmée. Mais là. Il restait bouche bée et je ne sais s’il ne commençait pas à éprouver quelque crainte, à avoir peur.

Je l’entraînai vers les restes de la tour. La porte était ouverte. Une lumière diffuse apportée par 2 longues mais étroites meurtrières, régnait à l’intérieur. Notre intrusion fit sursauter l’homme assis à cette lourde table en plein travail. Il ne sembla pas prêter attention à Christian car c’est moi qu’il dévisageait d’un oeil plein de menaces.

- Je te présente messire Agrippa, fis-je à Christian dans un geste gracieux. Ex secrétaire de l’empereur Maximilien, maître de théologie et de philosophie … un peu particulière, disons pour simplifier : occulte. Autrement dit un grand mage très sollicité autrefois dans les cours princières d’Europe.

Il sembla un peu flatté que je lui donne du messire, mais bien vite son visage se rembrunit et dressant un doigt accusateur vers moi m’apostropha.

- C’est vous qui avez volé ma pendule. Je vous somme de me la rapporter immédiatement, si non je vous transforme en crapaud.

- Messire Agrippa semble avoir oublié qu’il fut jadis en 1535 brûlé vif à Grenoble par les évêques de la ville, jaloux de son influence. Acte que je désapprouve fortement d’ailleurs, continuais-je, toujours tourné vers Christian pétrifié qui peut-être ne m’entendait pas.

Une forme élégante, légère comme un alizé, apparut sur le seuil d’une poterne à notre droite et s’avança vers nous. Je la reconnus aussitôt. Certes, elle avait changé de costume mais sa beauté l’aurait désignée, même les yeux fermés. Sur sa magnifique chevelure blonde elle portait un tressoir incrusté de pierres et de bijoux d’or, à la place de la haute coiffe à corne qui la coiffait lorsque je la vis pour la première fois. Elle était vêtue d’une longue robe à traîne d’un mauve léger au décolleté arrondi jusqu’à mi-épaule qui laissait apparaître le collier scintillant qu’elle portait autour du cou. De ses avants bras, d’une blancheur de neige, tombaient des écharpes d’hermine aussi longues que sa robe. Ses traits d’une finesse exquise me firent penser à une madone.

- Je vous en prie Cornélius, faites preuve d’un peu plus de convivialité envers nos hôtes. Monsieur Chambard a la gentillesse de nous rendre visite, accueillons le comme il se doit, dit elle d’une voix douce, une lueur étrange dans ses beaux yeux.

- Moi, je veux ma pendule ! gronda Cornélius furieux.

- Vous l’aurez mon ami, soyez patient et surtout diplomate. Puis elle se tourna vers moi et ajouta. J’ai une proposition à vous faire monsieur Chambard d’un tout autre ordre. Hormis les serviteurs, les hommes de garde, je suis souvent seule dans ce château et m’y ennuie à mourir. Guillaume passe son temps à la chasse. Il adore chasser le loup qui est un gibier particulièrement difficile à débusquer. Il a trouvé une belle excuse en prétextant qu’il le fait pour protéger les villageois.

- Vous m’en voyez profondément désolé madame.

- Ne le soyez pas puisque vous détenez la solution. Je sais que vous êtes débordant d’imagination et que vous aimez raconter des histoires. Je serais si heureuse que vous consacriez un peu de votre temps, à me conter vos belles histoires. Ici, nous n’avons ni radio, ni télévision, ni Game Boy. Seulement de temps à autres des ménestrels qui nous cassent les oreilles de leur musique discordante et aux textes si communs, de leurs tristes chansons.

- Je ne puis accepter madame. J’ai des contraintes qui ne me permettent pas d’accepter votre offre. J’ai une famille, un travail et je ne puis m’absenter trop longtemps.

- Oui, je comprends, vous travailler pour gagner de l’argent, mais sachez, que moi je puis vous en donner beaucoup plus. Cornélius, veuillez montrer à monsieur notre coffre à bijoux.

Cornélius s’exécuta et déposa sur la table le vieux coffre bardé de ferrures ciselées, rangé dans un meuble de bois au fond de la pièce. Il ouvrit le coffre. Un coffre bondé, de pierres précieuses, de bijoux, de pièces et d’objets d’or.

- Voilà ! Si vous accepter je vous donne ce petit trésor. Ainsi, vous pourrez vous payer toutes vos fantaisies.

Il me sembla que le scintillement des bijoux réveilla Christian, toujours les yeux démesurément agrandis, presque hors de leurs orbites.

- Promettez moi de venir plusieurs soirs par semaine me raconter de belles histoires comme vous seul savez les écrire, et ce coffre est à vous.

- Je vous l’ai dit madame, je ne puis accepter.

- Il vous suffit d’honorer plusieurs fois par semaine votre promesse, sans définir de dates précises, afin que vous puissiez venir quand il vous en sera possible et lorsque mon mari s’absente trop longtemps. Lorsque l’ennui me ronge et devient trop lourd à porter.

- Laisser moi vous remercier pour votre offre, oh combien généreuse, mais ainsi que je vous l’ai déjà dit, je ne puis accepter.

- Comment pouvez-vous refuser ? Je vous offre 100 que dis-je, 1000 fois plus que vous ne pourriez gagner durant toute une vie de travail, pour simplement venir me raconter quelques contes merveilleux et vous refusez. Ce n’est point raisonnable il me semble.

- Je vis simplement et je n’ai aucun goût de luxe madame. De plus, ce trésor ne représente rien pour moi, car je ne peux le négocier. Pour vendre de l’or il faut beaucoup de documents officiels, concernant la provenance de chaque article, sa facture attestant de l’achat, les déclarations au fisc et encore une foule de documents dont la présentation ne lève pourtant pas la suspicion que crée ce type de transaction.

- Mon Dieu, qu’il est affligeant de ne pouvoir vous convaincre. Pour vous rappeler à mon bon souvenir, dans l’espoir de vous voir changer d’avis prenez cette topaze, fit-elle en me tendant une magnifique perle, scintillant de mille éclats.

- Si je ne change pas d’avis, d’ailleurs le contraire me surprendrait, je vous la rapporterai.

- Certainement pas. Il s’agit là d’un cadeau, vous n’indisposeriez en le faisant.

- Merci madame. Vous êtes très généreuse. Mon ami et moi, allons prendre congé de vous, en vous remerciant de la grâce que vous nous faites en nous recevant, lui dis-je en enfouissant la perle dans une de mes poches.

Nous faisions demi-tour lorsqu’une voix tonitruante m’interpella de nouveau.

- Et ma pendule ! Cornélius debout me fustigeait de son doigt menaçant.

- Je la placerai bien en vue dans ma véranda dont la porte n’est pas verrouillée. Prenez là s’il vous est possible de le faire, sinon, je vous la rapporterai, mais dans ce cas, je ne suis pas sûr de vous trouver ici.

- C’est bon, j’irai la récupérer, mais de grâce ne touchez pas aux aiguilles, sinon tout deviendrai impossible.

- Vous pouvez compter sur moi, messire Cornélius.

Nous avons regagné notre voiture après s’être promis de n’en parler à personne, afin de ne pas être pris pour des malades mentaux. Quant à moi, sans l’avouer à Christian, je ferai une petite exception pour Claire à qui je n’ai jamais rien caché.

3.

A midi, de retour à la maison, je contais rapidement mon aventure du matin à Claire qui visiblement ne prêtait aucune attention à mon récit très dépouillé. Il faut dire qu’à midi, elle n’a guère le temps, ses cours reprennent à 14 heures.

Le soir, elle pénétra dans mon bureau, mon pantalon à la main.

- Sébastien, je te répète sans cesse de vider tes poches avant de mettre tes pantalons au sale. Tiens, regarde ce que j’ai trouvé. Une perle jaune, transparente.

- Ah ! Oui, lui dis-je, c’est la comtesse d’Armuet qui me l’a donnée pour toi, c’est une topaze. Une vraie tu sais.

Elle eut un large sourire, secoua la tête.

- Tu sais bien mon chéri que je n’aime pas les bijoux, encore moins la verroterie. Je ne suis pas une alouette attirée par ce qui brille.

- Tu as tort Chérie, c’est une vraie.

- Oui, c’est ça …. Tu m’autorises à la mettre à la poubelle ?

- Elle est à toi, tu en fais ce que tu veux.

Elle sortit, le visage à la fois inquiet et souriant. Moi, je m’installais à mon ordinateur pour immortaliser, dans mon autobiographie, l’aventure que je venais de vivre et que je publierai à ma mort. Quelques instants plus tard, je remarquai le petit témoin rouge qui s’allumait sur le socle de mon téléphone. Je vous jure que jamais je n’ai espionné les communications téléphoniques de mon épouse, mais cette fois, j’avais le pressentiment que l’on parlait de moi. Je décrochai le combiné avec précaution pour ne pas créer d’interférence. En effet je reconnus la voix de Christian.

- …. Oui, nous sommes allés au château et n’avons rien vu de spécial. Tu connais Sébastien, il adore raconter des histoires.

- Oui, mais là, il semblait vraiment y croire ou essayait de me le faire croire. Je ne comprends pas qu’il puisse mentir ainsi.

- Oh ! Rassure toi Claire. Je ne pense pas qu’il mente. Tu sais, il a tant d’imagination qu’il voyage dans ses rêves et il se peut qu’il croie sincèrement, pendant un certain temps, le temps de la création de son histoire, avoir vécu ou vu, ceci ou cela, sans pour autant être fou.

- Mais, Christian, toutes ces précisions. Il dit avoir vu Zapata et une autre femme, une fée peut-être, qui voulait lui offrir des pierres précieuses, je ne sais plus. Ah ! Mélusine je crois.

- Mais non, mais non, tu te trompes, Claire. Ce ne sont pas Zapata et Mélusine que nous avons rencontrés au château mais Cornélius Agrippa et la comtesse Armuet.

Fin

A mon ami Guy-Albert qui réclamait une suite du premier conte inspiré de Bon Repos.

Vincent Patria Echirolles le 4 Fevrier 2005

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