Conte n°3 :
Bon Repos
La vie nous réserve souvent dextraordinaires surprises, mais jétais loin dimaginer quun jour une telle surprise, puissent marriver, comme à quiconque sur terre. Abasourdi, je raccrochai le combiné, les bras tremblants, à tel point que je reçus le téléphone sur les pieds. Il me restait encore un espoir, celui dapprendre que mon ami Gérard de lassociation Bon Repos de Jarrie, ait perdu la tête. Mais je connaissais trop bien Gérard. Un garçon pragmatique, cartésien dans le meilleur sens du terme, la tête bien ancrée sur ses épaules, solide comme un roc, physiquement et psychologiquement. - Lis le journal si tu ne me crois pas ! mavait-il crié, pressentant mon incrédulité face à une telle annonce.
La bouche ouverte comme tétanisée, mon coude appuyé sur la table, donnant à mon bras limage dun " V " royal digne des plus belles fresques égyptiennes, mes yeux décryptaient ces hiéroglyphes mystérieux tracés sur la page. De ce texte, se dégageait cette aura mystique des choses qui comme nous, ne sont pas toujours normales. A se demander, comme à cet instant au petit matin, si lon est bien éveillé ou plongé dans un cauchemar ou encore, victime dune blague.
A la cinquième lecture, ou peut-être à la sixième, je ne me souviens plus, se déclencha dans mon cerveau ce processus comparable à un menu déroulant tel quon a coutume de le rencontrer sur les ordinateurs. Il déversait à flots dans mon crâne en ébullition, la cascade interminable de tous ces adjectifs de stupéfaction propres aux choses étonnantes, incroyables, irréalisables, impensables. Javalai une gorgée de café stagnant au fond de mon bol, déployai de violents efforts pour reprendre mes esprits et le " Journal des Alpes " bien étalé sur la table, les yeux écarquillés, je penchai une nouvelle fois la tête sur lui dans une fébrile attention.
Que la photo du château Bon Repos, siège en première page du journal navait rien dexceptionnel, jen conviens, mais le titre, le gros titre, lénorme titre avait de quoi surprendre. Surprendre ! Mot bien banal ne possédant pourtant pas la charge émotionnelle quun tel événement pouvait justifier. Je lus, cette fois à haute voix afin de me persuader que jétais bien éveillé:
" Dans la nuit de 16 janvier au 17 janvier, le château Bon Repos a disparu "
Suivait comme il se doit, son curriculum vitae. Son adresse actuelle, la date de sa naissance, ses différentes épousailles avec des personnalités régionales depuis son créateur en 1470, un certain Guillaume Armuet, en passant par Auberjon de Murinais, Costa de Beauregard, Jules Jouvin. Il perdit son toit en 1917 et la commune de Jarrie en fit lacquisition en 1976 avec lintention de le rénover et de faire revivre ce témoin dun lointain passé.
Qui ne connaît pas dans le Dauphiné le Château Bon Repos de Jarrie ? La fierté de tout un petit peuple quil fut originaire des lieux ou implanté, suite à lessor industriel de la région. Le Château de Jarrie, beaucoup plus quun drapeau, quun symbole, un véritable témoin de lhistoire de la région. Les archives de la mémoire du temps. Pourquoi Bon Repos ? Lhistorique de ce monument nous précise que le roi Louis XI étant venu chasser le loup à Jarrie, avait élu domicile le soir venu dans ce château. Après lépuisante chasse de la journée, il y passa une si bonne nuit, quil ne put quen louer les vertus, enchanté de ce " bon repos " qui lui fut offert.
Après le rappel historique du monument disparu, ce fut le défilé des témoins. Le dernier à lavoir vu, fut le père Chabert rentrant chez lui vers 23heures45 après sa partie de carte au bistrot de létrier et qui affirme lavoir vu à cette heure là. La ferme des Chabert est une des plus proches du château, bien cachée au creux du vallon dominé par notre imposant témoin des temps anciens. Déjà, certaines mauvaises langues prétendent que le témoignage du père Chabert nest pas très fiable car à sa sortie du bistrot, il nétait parait-il pas seul, accompagné semble-t-il dune bonne cuite. Oh cuite ! Quand tu nous tiens !
Témoignage dailleurs sans grande importance au regard de celui de madame du Preney qui avant le lever du jour, à 5 heures du matin, constata, alors quelle grimpait le raidillon avec son 4x4 pour se rendre au haras de létrier, proche voisin du château, que ce dernier avait disparu. Elle avertit aussitôt les autorités et le correspondant local du journal, monsieur Gérard Garcet.
La rage au cur, révolté par cet odieux sacrilège, jenfourchai ma monture. Pardon, je veux dire ma Panda : 4 roues motrices à la descente, une ou deux à la montée, climatisation spéciale, c'est-à-dire chaude lété et froide lhiver. Dans la vallée qui conduit à Champ sur Drac, je quittai la nationale pour mengager dans le vallon. Le chemin sélève aussitôt à lassaut du promontoire dominé par le château. Soudain, mon cur se brisa et jentendis dans un sombre écho ses débris rouler sur le sol. Au premier grand virage, à la hauteur de la ferme des Chabert, la masse du château qui dordinaire barrait lhorizon, brillait par son absence. Bel et bien volatilisé. Lenvironnement sétait imprégné de ses hautes murailles encadrées de ses quatre tours majestueuses fendues détroites et hautes meurtrières. La noblesse des lieux, laissait place au vide, de ces vides creux, profonds, fades et insipides, comme ceux que lon rencontre parfois dans certains grands crânes, où le cerveau sy cache et sy perd. Encombré de voitures en stationnement le chemin devenait impraticable. Traçant un cordon noir, la foule se massait en demi cercle sur les anciennes limites du bâtiment disparu. Une foule silencieuse, abattue, atterrée. Se dégageait dans cet atmosphère électrique ce même sentiment que javais ressenti sur les quais du port de Portsall émanant de cette foule de bretons anéantis par la houle visqueuse et noire venant de lAmoco-Cadix, où senlisaient inexorablement de nombreux oiseaux se débattant désespérément avant de sombrer dans cette puanteur noirâtre.
Je savais ce quil me restait à faire, plutôt que de grossir les rangs de cette foule pétrifiée. Il y a toujours chez les grands hommes, des déclics opportuns dans les situations désespérées. Municipalité et associations avaient eu le bon goût de transformer les sous-sols du château en musée. Cest là que le devoir mappelait. Une aération donnait au ras dun mur en ruines de lex mur denceinte, du côté le moins accessible, non envahi encore par la foule. Jeus tôt fait de my glisser à linsu de ce monde asphyxié par la monstruosité de lévénement. Je connaissais les salles des musées mais pas les différents boyaux qui circulaient dans le sous sol. Mes souvenirs incertains ne mentionnaient pourtant pas leur existence. Une nouvelle question vint simplanter dans mon esprit : " Est-ce que les sous-sols du château avaient eux aussi disparu comme les bâtiments extérieurs, ou bien était-ce lévénement qui les recréait ?". Pas de réponses à ma question. Pour linstant, jétais dans un souterrain, donc encore dans le concret et seul lexploration de ces lieux pourrait mapporter une réponse. Je marchais à tâtonnements, souvent confronté à cet éternel dilemme quoffre les embranchements. Devais-je suivre celui de gauche ou celui de droite ? Jamais je naurais imaginé quil puisse exister tant de souterrains ici. Je me souviens de ce soir où le père Chabert ayant bien bu, comme de coutume dailleurs, déclamait que : " les choses ne disparaissent pas, mais senfouissent provisoirement sous terre, pour un jour réapparaître. Les damnés senterrent avec eux et les saints montent au ciel ". Si cela était vrai, le contraire létait forcément aussi. Je me laissai guider par mon instinct, bien que ce singulier événement appelait à la prudence, et mengageai dans ce monde souterrain. Javais certainement fait le bon choix car mon souterrain sélargissait devenait moins sombre. Il devenait si large quon aurait pu y faire circuler un carrosse. Soudain, il me sembla entendre quelques voix étouffées venant dun peu plus loin. Javançai prudemment, jusquà une minuscule ouverture dans la paroi. A ma grande stupéfaction, je découvris une immense salle tapissée de pierres, soutenue par dimposantes colonnes. Dans le fond de la pièce une cheminée monumentale où brûlait un tronc darbre apportait un semblant de réalité à cette vision surprenante. Une lourde table de pierre entourée de bancs courrait au centre de la pièce. Près de la cheminée, une dame à labondante chevelure prise sous une haute coiffure pointue, le corps serré dans une cotte de velours vert, sous une ample houppelande bleue azur, tissait un écheveau de laine. Près de la table deux hommes sentretenaient face à face. Lun, certainement le maître des lieux, vêtu dune tunique rouge sur un surcot vert écoutait attentivement lautre, un homme âgé les cheveux longs, la barbe blanche, vêtu dune redingote sombre. Le ton de sa voix, rappelait celle de lhomme qui sait.
- Il vous suffira messire dagir sur les aiguilles de cette pendule astronomique pour changer dépoque.
- Vous prétendez maître Agrippa que les hommes et les choses suivront.
- Absolument messire. Elle est dotée des vertus les plus puissantes issues de la Cabale sacrée, le livre de chevet du roi Salomon.
Jattendais patiemment dans ma cachette le départ des deux hommes ce qui dailleurs ne tarda pas. Je mélançai alors dans la pièce sous lil indifférent de la dame qui continuait imperturbablement le tissage de sa laine. Je pris létrange pendule dans mes bras, fasciné par tous ses mystérieux signes astrologiques de couleurs vives sculptés et peints sur toute sa surface. Tenté par le diable, jactionnai les aiguilles. Un énorme coup de tonnerre dans une gerbe déclairs secoua le monde souterrain. Le bruit épouvantable, les clameurs, les gerbes étincelantes annonçaient la fin du monde.
Ce furent quelques murmures glissant insidieusement dans ma chambre qui me sortirent de ma torpeur. Je prêtai une oreille intéressée aux propos qui me parvenaient.
- Ce nest pas grave madame Bontemps, ce sont des choses qui arrivent. Votre mari travaille trop. Le surmenage en est la cause. Allez va, un peu de repos et vous verrez il sen remettra vite.
Jentendis la porte dentrée se refermer et quelques instants après celle de ma chambre souvrit. Claire apparut dans lentrebâillement.
- Bonjour mon chéri, comment te sens-tu ce matin. ?
Elle sapprocha de mon lit et membrassa.
- Très bien, chérie, pourquoi me poses-tu cette question ?
- En rentrant ce matin, de chez maman, je tai trouvé très agité et par prudence, jai appelé le docteur.
- Ah ! (à cet instant, encore tout imprégné des émois de mon aventure, je pensais avoir fait un rêve bizarre).
- Il ta trouvé en bonne forme. Mais dis moi chéri, doù sors-tu cette antique pendule ? Je reconnais quelle est hors du commun, avoua-t-elle en secouant la tête, mais jespère que tu ne vas pas linstaller dans notre chambre, ajouta-t- elle en secouant lindex.
La pendule, la pendule dAgrippa ! Mais alors, je nai pas rêvé. Non ! Tout cela est impossible, jai du lacheter cette nuit sur un marché et ne men souviens plus.
Fin
Nota Bene : Il faut remercier tous les membres de lassociation Bon Repos, qui oeuvrent depuis des années avec un courage exemplaire à la restauration de ce château. Espérons quun jour une aide substantielle leur pénétra dactiver cette restauration.
Fin
Vincent Patria Echirolles le 18 Janvier 2005