Conte n°2 :
LE NOEL DE PATOU
1.
La montagne, si belle, si foisonnante de délices, lété, devient un enfer glacé lhiver.
Le calendrier lannonce bien plus tard, mais ici, il est toujours en avance. Il surgit parfois brutalement dès fin octobre, après quelques jours de beau soleil. Par contre, pour se retirer et céder sa place au printemps, il en est tout autre. Il sincruste, se prolonge au détriment de cette saison que tous attendent avec impatience et qui se réduit à une peau de chagrin. Courte transition avec lété. Alors, pourquoi, dans ces dures conditions ces villages se sont-ils créés en montagne ? Deux raisons à cela. On peut mieux se défendre ou se cacher quen plaine où des hordes de pillards, venant souvent de très loin, parfois au delà des mers, rendent la vie impossible. Et aussi, il faut bien lavouer, parce que souvent, des serfs affamés, écrasés dimpôts et de taxes, senfuient dans la montagne pour essayer de survivre. Malheureusement, ici comme en bas, rien ne leur appartient tout est propriété du seigneur. Les prés, les bois, les récoltes, et même les habitants. Pour lentretien de son château, et pour guerroyer contre ses voisins, il a besoin de bras, si bien que les seigneurs de ces lieux déshérités, des montagnes par exemple, se montrent moins exigeants que leurs collègues de la plaine afin dattirer quelques miséreux dans leurs villages pour en augmenter la population. Malgré tout, si les impôts, les taxes et les droits de toutes sortes, sont moins élevés que dans la plaine, chaque serf lui doit deux jours de travail au château par semaine et un mois de service dans son armée, en temps de paix.
Lhiver est très dur pour les humains et aussi pour les animaux. A 1800 mètres daltitude le lourd manteau neigeux enserre la terre comme une énorme tenaille qui refuse à souvrir. Les huttes et les fenêtres se ferment, les portes se calfreutent. Les habitants sont trop affamés pour nourrir des animaux de compagnie, et on ny trouve aucun chien ou chat. Les seuls chiens que lon peut voir sont des animaux errants, chassés à coups de cailloux quand ils sapprochent trop des huttes. Les habitants ont peur pour leurs poules et leurs cochons qui se promènent autour de leurs misérables habitations. Lhiver, le cochon sera la base de leur nourriture et de plus sa graisse, car le sel est trop cher, servira à conserver les autres viandes, par exemple le gibier braconné. Un bout de couenne dans une soupe bien chaude devient un véritable délice. Oui, lhiver est dur pour tous, et aussi pour le gibier, comme pour tous les animaux, les oiseaux et même les chiens errants. Mais que dire de son sort quand on est un petit chien. Les gros vous chassent, ne vous laissent pas rôder, approcher des villages en quête dun détritus à manger. Et pire encore, quand lhiver sera bien installé, ils vous pourchasseront pour vous dévorer, à moins que les loups ne le fassent avant. Les loups eux aussi, quittent alors le fin fond des forêts pour sapprocher des villages si bien que les femmes et les enfants ne peuvent sortir sans être accompagnés par un groupe dhommes équipés de bâtons ou de fourches car le seigneur leur interdit de porter des armes, tout comme il leur interdit la chasse au gibier.
Le petit chien navait rien trouvé à manger depuis plusieurs jours. Caché dans un fourré, il surveillait plusieurs grands chiens étriqués qui tournaient autour du village. Ses forces labandonnaient, son estomac se recroquevillait comme une feuille morte. On était fin octobre et quelques flocons de neige commençaient à tomber. Cétait sans aucun doute sa dernière journée de vie. Il mourra là dans ce fourré. A bout de forces, lassé de lutter, il commença à ramper pour mieux se cacher et ainsi retarder aux autres chiens la découverte de son cadavre. Tout son corps sengourdissait. Déjà le froid commençait à raidir ses petites pattes.
2.
Ce matin là, Arsène Bouilloud regagna sa hutte de fort mauvaise humeur. Il venait de donner ses 2 jours de travail au château du seigneur alors que de nombreuses corvées lattendaient à la maison. Les anciens prédisaient un hiver long et rigoureux. Les oignons cette année sétaient dotés dune peau supplémentaire et divers signes dans la nature confirmaient ce mauvais augure, ne serait-ce, par exemple, les poiriers Saint Martin, ces petits arbustes buissonneux, qui cette année, sétaient abondamment couverts de baies rouges, afin daider les oiseaux à se nourrir cet hiver. Ces derniers jours, un fort vent du Sud avait soufflé et couché quelques arbres dans la forêt. Maintenant, le vent tournait au Nord Ouest et déjà quelques petits flocons commençaient à tomber. Pourquoi donc, cette mauvaise humeur ? Arsène Bouilloud était convaincu que les arbres tombés près du village, avaient déjà été débités et emportés par ses compatriotes.
- Je pars en reconnaissance à la recherche dun peu de bois. Je suis certain dêtre contraint daller plus loin dans la forêt pour trouver du bois mort. Comme il nous est interdit de couper des arbres et que les derniers tombés près du village ont été, sans aucun doute, transformés en bûches et emportés pendant que je travaillais au château, je serai un peu retardé. Jessayerai dêtre de retour pour midi et je repartirai sitôt le repas pris, annonça-t-il à son épouse.
- Papa ! Papa ! Puis-je taccompagner jusquà lorée de la forêt, implora la petite Aurélie, une adorable gamine de 13 ans aux longs cheveux blonds ?
Bouilloud contrarié hocha la tête. Il était pressé et pensait quAurélie lui ferait perdre du temps. Mais il avait été séparé de sa famille pendant son travail au château et tous comptes faits, quelques minutes perdues étaient peu de choses en regard du plaisir davoir sa petite Aurélie près de lui, un petit bout de temps.
- Bon daccord, mais dès quon arrive à la forêt, tu fais demi-tour. Promis ?
Et les voici partis tous deux, main dans la main. Bien sûr les petits pas de lenfant retardaient un peu Arsène, pressé de récupérer du bois, avant que la couche de neige ne soit trop épaisse. Leur hutte sur la périphérie du petit village nétait pas loin de la forêt et quelques instants plus tard, ils pénétraient sous les premiers arbres.
- Bien, nous y voici, fit le père, maintenant, retourne à la maison.
Aurélie fit volte face pour prendre le chemin du retour, mais subitement sarrêta. Montrant le sol de la main, elle dit à son père.
- Papa, regarde, je crois quil y a une touffe de champignons autour de ce gros sapin.
- Eh oui, Des trompettes chanterelles. Elles sont magnifiques. Maman sera contente, récolte les. Cette petite touffe suffira à parfumer un plat. Tu vois, les gens vont loin pour en ramasser et il y en a tout près. Il est vrai que cette année, elles ont poussé en abondance.
Aurélie se mit à quatre pattes et commença sa cueillette. Soudain intriguée, elle scruta le bas du fourré où une petite tâche attira son attention. Bien cachée dans le taillis qui poussait sous le sapin, elle découvrit une forme marron clair rappelant un petit animal. Elle écarquilla les yeux car elle pensait avoir une vision. Elle continua à ramper et à sa grande stupéfaction, elle découvrit le petit chien, tout raidi par le froid et la faim. Délaissant son petit tas de champignon, elle prit délicatement la bête dans ses bras et sortit du fourré.
- Regarde papa, jai trouvé un petit chien. Regarde comme il est beau.
Le père fit la grimace.
- Tu vois bien quil est mort, laisse cette pauvre bête.
- Mais non, papa, je tassure quil vit encore, il a entrouvert un oeil quand je lai pris.
Le père secouait la tête bien embarrassé à devoir faire de la peine à sa petite Aurélie.
- Je ten prie Aurélie, laisse ce chien, retourne à la maison, moi je dois trouver du bois et le temps passe.
- Papa ! Je ten supplie, laisse moi lemporter.
De plus en plus embarrassé et impatient de trouver du bois, le père céda.
- Soit ! Emporte le ! Surtout ne te fais pas dillusions, il est mourrant, il ne vivra pas. Cest trop tard. Et puis tu sais, il nest pas question davoir un chien à la maison, nous ne pourrions pas le nourrir.
- Merci papa, fit la petite Aurélie qui aussitôt partit en courant.
Son père la regarda séloigner jusquà ce quelle atteigne les premières huttes puis, dun pas décidé, senfonça dans la forêt qui grimpait à lassaut de la montagne. La neige commençait à blanchir le sol, sauf sous les gros arbres qui retardaient sa chute où seulement quelques petits flocons voletaient, dansaient entre les branches, comme de petits lutins.
3.
Sitôt à la maison Aurélie prit un panier dosier qui dordinaire servait à porter les légumes, y plaça un lambeau de couverture et y coucha le petit chien encore tout raide. Elle linstalla près de la cheminée où un bon feu de bois adoucissait latmosphère.
Là encore, elle eut à convaincre sa mère qui elle aussi ne voulait pas de chien, surtout à lentrée de lhiver où la nourriture fait encore plus défaut. Mais tout comme Arsène, elle céda, certaine elle aussi, que le pauvre petit animal était mort.
- Je dois aller chez madame Langlois, tisser un peu de laine, peux-tu donner un coup de balai et préparer les légumes pour la soupe ? Les pommes de terre, le chou et les poireaux sont sur la table, lui dit sa mère avant de sortir.
Aurélie se mit de suite au travail et tout en poussant le balai, surveillait dun il attentif le petit chien. Il navait toujours pas bougé. Il fallait se rendre à lévidence et admettre quil était mort. Elle en avait des larmes aux yeux. Pendant ce temps, le bois se consumait dans la cheminée, Aurélie sempressa daller chercher un bûche sous lauvent côté Est de la hutte. La neige continuait à blanchir le sol. Légère, fine, confiante en sa puissance, elle tissait lentement mais inexorablement son fin manteau sur le village. Aurélie déposa avec précaution la bûche, le visage attentif, les yeux toujours fixés sur le pauvre animal gisant dans son panier. Soudain elle se raidit, comme tétanisée. Etait-elle victime dune hallucination ? Le chien avait ouvert un il. Elle sempressa autour de lui, le caressant lui chuchotant à voix basse des encouragements. Maintenant, ses deux yeux grands ouverts, le chien la dévisageait curieusement. Heureuse, Aurélie reprit la préparation de la soupe, sans quitter des yeux le miraculé. De temps en temps elle allait le caresser. Un instant, elle eut la nette impression quil lui souriait. Dès que la soupière fut placée sur son support spécial dans la cheminée, Aurélie sinstalla près de son protégé qui maintenant commençait à remuer. Après sêtre étiré, tout en secouant la tête le petit animal essaya de se lever. Il ny parvint pas la première fois malgré laide dAurélie. Enfin, au bout dun moment il réussit enfin à se tenir sur ses pattes.
- Surtout, ne bouge pas mon petit Patou, je vais te préparer à manger. Hein, tu veux bien que je tappelle Patou ?
Le chien inclina la tête en signe dassentiment.
En inspectant les gamelles, elle découvrit un fond de soupe, que sa mère sapprêtait certainement à verser dans la nouvelle, car ici, cest sacré, on ne jette jamais de la nourriture. Elle y ajouta un peu deau, quelques petits croûtons de pain. Puis, sur la pointe des pieds elle découpa dans un une jarre, une fine tranche de lard, quelle mit dans la soupe. Quelques minutes sur les braises et la soupe du toutou fut prête. Tout dabord, Patou lécha dune langue hésitante un peu de soupe. Il avait du mal à manger, ses organes ayant perdu le souvenir de la nourriture et des repas. Il attendait un instant puis revenait vers lassiette. Chaque fois, il en mangeait un peu plus. Aurélie était ravie. Jamais de sa vie elle ne fut aussi heureuse. Le miracle était en route. Quand Patou eut fini sa soupe, elle déambula dans la maison, pour entraîner le chien à marcher. Il la suivait docilement, puis elle accélérait un peu le pas et il suivait toujours. Patou était sauvé, cela ne faisait plus aucun doute.
Plus tard, quelle ne fut pas la surprise de madame Bouilloud de découvrir en entrant chez elle cet insolite petit manège. Tout dabord attendrie, ses sentiments cédèrent la place à la triste réalité.
- Mon Dieu ! Il est vivant. Cest un miracle. Puis, la voix contrite, elle sadressa à sa fille. Ma pauvre Aurélie, je suis contente que ce chien soit vivant, mais tu le sais, nous ne pourrons pas le garder.
- Maman, je ten supplie. Regarde comme il est beau. Il ma adopté, je veux le garder. Je partagerai ma nourriture avec lui.
- Alors ça, pas question. Nous avons beaucoup de mal à vous nourrir et la nourriture vous est comptée. Je ne veux pas que ma fille se prive pour un chien.
- Maman, je ten supplie, gardons le jusquà ce quil reprenne ses forces. Ensuite, nous le donnerons. Camille qui travaille dans la vallée lui trouvera peut-être un maître.
- Bon daccord. Ton frère vient dimanche, nous lui en parlerons. Mon Dieu, il est déjà midi et ton père nest toujours pas rentré. On va attendre un peu avant de nous mettre à table.
4.
Arsène ne décolérait pas. Il zigzaguait dans le bois sans trouver la moindre branche sur le sol. Ses amis étaient déjà passés. Il ne lui restait plus dautre solution que monter plus haut et chercher dans des endroits moins accessibles. Avec acharnement il montait, partait à gauche et à droite, faisait exactement tout ce quil ne faut pas faire quand on est dans la forêt. Car ici, il faut toujours prendre des points de repères, avant de changer de direction. Mais comment prendre des repères quand vous avez déjà la tête dans les nuages et que la neige uniformise le paysage. Trouver du bois pour que sa famille puisse supporter la fin de lhiver restait son seul objectif. Là-haut, là-bas, le bois mort ne manquait pas et il eut tôt fait de confectionner un bon fagot. Dans la forêt, il y a toujours de petits sentiers, sils ne sont pas fait par les hommes, ils sont faits par les animaux qui eux, connaissent bien la montagne et empruntent toujours le même chemin dans leurs déplacements. Et cest seulement à cet instant quil réalisa quil ny avait aucune trace de sentier, quil se trouvait dans une pente abrupte, parmi un fouillis inextricable. Posant son fagot sur le sol il se dit : " il faut dabord que je retrouve mon chemin, je suis peut-être trop redescendu, le sentier est plus haut ". Plus haut, pas de sentier. Alors, il redescendit pour en définitive aboutir sur des barres rocheuses infranchissables et donnant sur des pentes presque verticales. Et alors commença le cycle infernal des descentes et montées, accompagné du sentiment dêtre de plus en plus perdu. Pas de soleil, pas détoiles pour se guider, ne restait plus que sur les arbres le signal des mousses, plus épaisses côté Nord-Ouest. Mais ici, ne sachant où il était, devait-il se diriger à lEst ou à Ouest ? Il opta pour lOuest. Les arbres ne protégeaient plus le sol de la neige. De grandes tâches blanches se formaient régulièrement. Soudain, son pied senfonça dans un trou, caché par la neige, entre plusieurs rochers. Il hurla de douleur, retira son pied en saidant des deux mains et, torturé par la souffrance, se laissa choir sur le sol. Sétait-il fracturé la cheville, ou bien sagissait-il dune mauvaise entorse ? Mais soit lun, soit lautre, il lui était impossible de marcher. Il réalisait la gravité de la situation. Immobilisé sur le sol, avec le froid, la neige qui redoublait et plus terrible encore, la nuit qui avançait à grand pas. Loin de tout, loin du village, ses traces effacées par la neige qui, si elle ne couvrait pas encore complètement le sous-bois, ne tarderait pas à le faire. Il pensa à sa famille et de grosses larmes coulèrent sur ses joues. Camille avait 18 ans et avait trouvé du travail dans la vallée, mais il restait sa femme et sa fille. Quallaient-ils devenir ? Etait-ce un effet de la neige ? la nuit au lieu de sépaissir séclaircissait, comme ces nuits lumineuses dhiver blanc. Il pensa aux loups. Ils lavaient certainement déjà repéré, il les devinait, avançant lentement et prudemment dans le bois dans sa direction. Quelle mort horrible lattendait.
5.
Et plus bas, dans le village, dans une petite hutte, une longue attente commençait. Arsène tardait. Angèle son épouse, se mourrait dinquiétude quand il partait seul dans la forêt surtout à cette époque où la nuit tombe vite dans les bois. Et la nuit, cest le territoire des loups. Impossible de se cacher. Où que vous soyez, ils vous trouveront. Passer la nuit sur un arbre quand il fait froid et quil neige nest pas une partie de plaisir et comporte dénormes risques.
13 heures, 13 h 30, 14 heures. Angèle sombrait dans une noire inquiétude. Elle se saisit de son châle quelle jeta sur ses épaules et se dirigea vers la porte.
- Je crains quil ne soit arrivé malheur à ton père. Je vais donner lalerte au village. Malheureusement avec cette neige et la nuit qui arrive vite, il ne sera pas facile de le retrouver. Que Dieu le protège.
Angèle se précipita dehors où les flocons devenaient plus denses. Aurélie angoissée, assise près du feu regardait Patou flâner dans la maison. Il reprenait lentement ses forces.
- Je vois que tu as envie de trotter, viens allons prendre lair avant quil ny ait trop de neige. Peut-être verrons-nous papa revenir.
Tous deux, sortirent. Déjà plusieurs centimètres de poudre blanche recouvraient la terre sur les parties dégagées. Patou se dirigea vers lendroit où Aurélie lavait trouvé. Il gambada quelque instants, puis se mit à flairer le sol.
- Tu sens les traces de papa. Cest bien mon chien, tu es un bon chien. Cherche papa.
Patou avait-il compris ou obéissait-il à un instinct que nous les humains nous ne comprenons pas ? Il sengagea dans le sentier, suivi dAurélie. Ils trottinaient, trottinaient tous deux, inconscients des graves dangers qui les menaçaient. Puis le sentier disparut et Patou éprouva quelques difficultés à retrouver les traces, à cause des plaques de neige. Parfois, ils tournaient en rond. Et la nuit, inexorablement avançait, déployait son lourd manteau sur la forêt. Plusieurs fois, Aurélie crut apercevoir des yeux au fond du bois qui la guettaient, elle et son petit chien. Des yeux rouges, cruels, avides. Mais rien ne les arrêtaient, ils continuaient leur course comme des moutons courant vers la falaise doù ils vont plonger dans le vide.
Soudain Patou se mit à japper et bondit sur une forme allongée sur le sol. La forme se souleva. Le regard hagard, elle regardait le petit chien et la petite fille qui plongea dans ses bras.
- Papa ! Papa ! Que je suis heureuse de te retrouver. Tu es blessé ?
- Ma petite fille, tu es folle ! Pourquoi es-tu partie me chercher ? Il y a des loups derrière ces rochers, ils ne vont pas tarder à nous attaquer. Nous ne pourrons pas leur résister. Mon Dieu, quai-je fait ? Entraîner mon enfant dans la mort.
Un loup sauta au dessus dun rocher, puis un deuxième, toute une meute. Ils avançaient lentement le museau au ras du sol. Les flocons continuaient à tomber mais la nuit restait toujours aussi claire. Une rumeur montait dans le bois. Etait-ce le vent dans les branches, leffet de résonance dans les rochers, le chariot de la mort qui se frayait un chemin parmi les arbres ? La rumeur grandissait. Arsène, debout malgré sa blessure, la hache à la main, attendait stoïquement lassaut des loups. Il sapprêtait à livrer un combat inégal qui certainement serait bref, très court. Déjà, le premier des loups à quelques pas de lui sapprêtait à bondir. Il sarrêta, se retourna. Dans le silence angoissant de la nuit un sifflement se fit entendre et une flèche latteignit au poitrail. Surgissant derrière les arbres, hurlant plus fort que les loups, des hommes armés de bâtons, de fourches et de haches, fonçaient sur la meute. Une pluie de flèches semait la panique parmi les loups. Le reste de la meute, sans demander son reste fit demi-tour, disparaissant derrière les rochers.
Interloqué, abasourdi, Arsène regardait tout ce monde surgir miraculeusement derrière les arbres. " Je suis mort, je rêve, ce nest pas possible ".
- Mais mais, comment mavez-vous trouvé ? demanda-t-il à un villageois qui savançait vers lui.
- Oh ! On na pas eu de mal, on sest contenté de suivre les traces de ta fille. Angèle nous a annoncé ta disparition et nous nous sommes de suite réunis pour partir à ta recherche. Un instant plus tard, Angèle revenait en pleurs pour nous dire quAurélie et un petit chien avaient eux aussi disparu. Nous navons eu aucun mal à retrouver dans la neige les traces de petits pieds laissées par ta fille et celles du petit chien. Nous avons foncé. On commençait à perdre espoir de les rattraper quand enfin, nous vous avons rejoins. Heum ! Heum, ajouta-t-il en se retournant vers les carcasses de plusieurs loups, je crois quil était temps.
- Oui ! Jai eu la trouille de ma vie.
- Quest-ce qui test arrivé ?
- Je suis parti en reconnaissance pour trouver du bois et je me suis perdu.
- Pas étonnant, tu es sur lautre versant, là où on ne va jamais car il est très dangereux et sans intérêt. Tu as mal à la jambe ?
- Oui, je crois que je me suis foulé la cheville.
- Cest pas grave on va te porter, on est suffisamment nombreux et plus bas, dans la clairière, il y a six chevaux, nous ferons une civière.
- Des chevaux, des flèches, je ne comprends pas.
- Figure-toi que le seigneur a envoyé une patrouille de six soldats pour réclamer 2 hommes de mains pour la corvée de bois demain au château. 100 cheminées à approvisionner, des escaliers à monter et descendre, tu vois le travail.
Ils sont arrivés comme nous partions à ta recherche. Sans hésiter les six soldats se sont joins à nous. Ensuite, quand le sentier a disparu, deux soldats sont restés avec les chevaux et les 4 autres nous ont accompagnés. Quatre bons archers contre les loups, cest pas négligeable.. Cest le sergent Lacoste qui est avec eux. Tu le connais, cest pas le mauvais type. Tiens les voilà !
Les quatre soldats franchissaient les rochers et venaient vers eux, leurs arcs encore à la main. Lacoste sadressa à Arsène.
- Tiens Bouilloud ! Cest donc toi qui déclenche tout ce remue ménage ? Tas pas honte ? Déplacer tout le village et six soldats, ça va te coûter cher.
- Quimporte ce que cela va me coûter. Je vous remercie de mavoir sauvé, mais pour ma fille, je vous serai toujours redevable.
- Du calme Bouilloud, je dis ça pour te taquiner. Tu penses bien que le seigneur ne serait pas heureux dapprendre que son meilleur maçon sest fait bouffer par les loups. Et puis, cest notre rôle de vous protéger des loups. Cest écrit dans notre chartre. Notre maître va certainement déclencher une expédition contre ces fauves. Cela donnera un peu dexercice à notre capitaine de Louveterie qui commence à se rouiller au château.
- Tu peux compter sur la participation des hommes du village.
- Je sais, je sais. Mais dis moi Arsène, il y a quelque chose que je ne saisis pas, que je narrive pas à comprendre : comment ta fille a-t-elle pu te retrouver ? Cest incroyable, jamais au château on ne me croira, fit-il en secouant la tête.
- Cest pas moi qui lai retrouvé, cest mon chien, Patou ! sexclama Aurélie en tendant le chien au bout de ses bras.
Lacoste étonné caressa le petit chien de ses grosses mains.
- Hein, ce petit chien. Incroyable ! Et cette gamine qui na pas eu peur de senfoncer dans la forêt à la tombée de la nuit à la recherche de son père. Impensable, inconcevable. Voilà bien une histoire extraordinaire. Je vais raconter ça à notre maîtresse, je suis certain quelle en aura les larmes aux yeux. Cest donc ton chien ?
- Oui ! Oui et non ma fille la trouvé ce matin. Malheureusement, je ne sais pas si nous pourrons le garder car comme tu le sais, lhiver la nourriture fait défaut.
- Ingrat ! Tu nas pas honte ! Ce chien ta sauvé la vie et tu rechignes à le nourrir. Puis il se pencha à loreille de Bouilloud et lui murmura. Toutes les semaines, quand tu repartiras du château, je te donnerai un petit sac dos. Tu feras bien attention car sur lun deux, je laisserai suffisamment de viande pour accompagner un repas de ta famille.
Pendant ce temps, les hommes avaient préparé une civière sur laquelle on allongea Arsène. Jacques Cerrière, un de ses amis du village se pencha à son tour sur loreille dArsène et lui murmura.
- Ne ten fais pas pour le bois. Cette année, jai fait une grosse provision et sil ten manque pour finir lhiver, pas de problèmes, je te donnerai tout ce dont tu auras besoin.
- Merci Jacques. Tu es un vrai ami. A charge de revanche.
- Non, mon ami, tu mas dépanné une fois, maintenant, cest à mon tour. Tu sais, si en montagne on nétait pas solidaires, nous serions tous morts depuis longtemps.
La joie se lisait sur tous les visages des hommes groupés autour du blessé et de sa fille. Quatre costauds se saisirent de la civière et la descente vers le village commença. Soulagés, le cur heureux dêtre arrivés à temps pour sauver Arsène et Aurélie, les hommes entonnèrent la chanson quils chantaient en de telles occasions :
" La bergère sur la fougère, garde ses moutons..
Et voici quun loup, dans sa furie, entrant dans la bergerie,
Lui prend un agneau "
- Papa, pourrais-je garder Patou ? demanda Aurélie.
- Mais bien sûr ma chérie. Il ma sauvé la vie et il serait inconcevable de nous en séparer. Je lui dois une fière chandelle .
Aurélie, marchant derrière la civière, son petit chien dans les bras, rougissait de bonheur, bercée par les flots de compliments des villageois, rendant hommage à son courage. Son père lui aussi très heureux, oubliait sa cheville douloureuse.
Fin
Vincent Patria Echirolles le 15 Décembre 2003