Chapitre 6

 

DE MYSTERES EN MYSTERES.

18.

Les conditions de notre détention tout comme le sombre avenir de nos destinées, perturbaient notre sommeil, nous empêchaient de dormir sereinement. A force de fatigue il nous arrivait de faire un petit somme, mais en général, il ne durait guère longtemps.

Les cauchemars, l’angoisse, le désespoir nous ramenaient bien vite à la réalité. Allongés sur nos grabats, nous reposions nos muscles mais pas notre esprit. Après quelques heures de ce semi repos, je me suis assise sur mon lit. Sur le lit voisin, Mario les yeux grands ouverts fixait le plafond, Pierrot, Jeanne et Robert eux aussi ne dormaient pas. Nous restions silencieux, chacun plongé dans ses pensées. Je devinais Robert à la recherche d’une solution, d’un créneau, d’une faille dans notre captivité. S’il ne parlait pas, c’est qu’il n’en avait pas. Nous étions dans une situation sans solution.

La porte s’ouvrit et un Zozo apparut.

- Levez-vous, nous dit-il, la reine vous demande.

- Qu’elle s’inscrive sur la file d’attente et prenne un rendez-vous avec ma secrétaire, lança Mario d’un ton désinvolte.

- Je vous conseille de ne pas l’indisposer et de venir de suite sinon on vous y portera par la force, répliqua le Zozo en pointant son épée vers nous.

Nous ne pouvions évidemment pas refuser. La force n’était pas de notre côté. Nous avons donc suivi le Zozo.

Oréade nous reçu dans un petit boudoir autour d’une table basse garnie de jus de fruits et entourée de fauteuils confortables bien rembourrés. Des tentures colorées pendaient aux murs comme un rideau de théâtre. Contre les parois, rangés dans de petites niches ou armoires éclairées par des torches, des vases de porcelaine parmi des verreries multicolores agrémentaient la pièce et lui donnaient un cachet vieillot, suranné, presque surréaliste, souligné par l’abondante collection de sculptures en bois ou en bronze. D’autres niches dans les murs, à la réalisation plus soignée, abritaient des bronzes de démons éclairés par des bougies de couleurs vives. Assise sur son trône royal cerclé de sculptures et de diamants, encadrée par deux Zozos armés, elle nous désigna les fauteuils. Elle avait revêtue une robe blanche légère avec de superbes envolées de plumes d’organza de soie qui donnaient à ses mouvements la majesté et la grâce de vols d’oiseaux dans le ciel. Je pense que son profond décolleté s’adressait plus particulièrement aux garçons. Un Châle de dentelles flottait sur ses épaules et son front brillait des feux des pierres précieuses serties sur le bandeau qui lui ceinturait la tête. Elle paraissait beaucoup plus jeune que lors de notre première rencontre.

- Choisissez la boisson qui vous convient, fit elle en désignant la table dans un geste gracieux. Je ne vous cacherai pas le plaisir que je ressens en compagnie d’êtres beaux et intelligents comme vous.

Ce c’était pas le moment de faire la fine bouche, nous avons commencé par nous servir à boire.

Elle nous dévisageait, souriante, heureuse semble-t-il de nous voir apprécier ces délicieux jus de fruits et les fruits confits qui les accompagnaient. Difficile de reconnaître en cette femme magnifique, la geôlière acariâtre que nous avions découverte à notre arrivée. L’ange noir avait revêtu sa parure de fêtes. Derrière sa façade souriante, je devinais en elle une certaine impatience qu’elle s’efforçait de cacher.

- Je pense que vous avez eu le temps de réfléchir à l’intéressante proposition que je vous ai faite qui dans votre situation devrait vous apparaître comme une chance exceptionnelle. Sans vouloir vous bousculer, j’aimerais connaître votre réponse.

- Ben, vous savez, vu l’inconfort de notre cachot, nous n’étions pas dans des conditions idéales pour réfléchir objectivement. Le froid, l’humidité, les rats …répondit Robert en grimaçant et secouant la tête.

- Oui, je comprends, vous n’avez pas ici, le luxe des Marais agrémenté des attaques réjouissantes des monstres aquatiques pour agrémenter votre repos, répliqua-t-elle les lèvres serrées. Il ne tient qu’à vous d’obtenir des conditions de vie plus confortables. Je vous ai fait préparer de beaux appartements et de votre réponse dépend votre changement de statuts : de celui de prisonniers à celui d’invités et alliés.

- Très bien, fit Robert. Nous allons prendre possession de ces appartements et allons réfléchir à votre proposition.

- Eh doucement ! Je vous ai bien dit lorsque j’aurai votre accord. Et j’attends toujours. Inutile de jouer les idiots avec moi Robert, je sais très bien que tu es intelligent. Le temps presse et en ce moment je perds mon temps. Un de mes espions me signale que les princes se sont réunis et se sont mis d’accord pour se coaliser et m’attaquer. Ils s’apprêtent à réunir leurs armées grossies par les peuplades sauvages enrôlées par ce traite de Méléagre. J’aurais donc à affronter une armée cinq à six fois supérieure à la mienne. Bien sûr je possède un palais presque imprenable, mais ils en feront le siège. Tôt ou tard, nous manquerons de provisions et seront contraints de capituler. Vous devez m’aider pour deux raisons. Tout d’abord pour ne pas être séparés ce qui par la même occasion livrerait ces jolies demoiselles à ces pourceaux de princes et ensuite, parce que vous me le devez.

- La deuxième raison que vous évoquez me paraît pour le moins farfelue, madame, s’exclama Robert. Je le regrette, mais nous ne vous devons rien. Nous ne sommes pas ici de notre plein gré, c’est vous qui nous avez enlevés.

- Laissez moi vous expliquer. Méléagre s’est inspiré des techniques que vous avez communiquées aux nains et en ce moment il met en chantier des bombardes pour incendier mon palais. Contre ces engins, nous ne pourrons rien et dans ces conditions je crains fort que mon palais soit rapidement détruit. Nous serons tous massacrés. Vous dans le meilleur des cas, finirez esclaves de ces mécréants. C’est plutôt à moi de vous faire remarquer que vous n’avez pas le choix. Votre seule chance réside dans une coopération totale avec moi.

- S’il ne nous est pas possible de retrouver la liberté, nous préférons mourir. Je vous ai demandé des garanties. Et sur ce point, c’est toujours nous qui attendons.

- Je suis reine et parole de reine vaut lois ou décrets. Je vous promets de vous laisser partir si nous vainquons. Une promesse de reine c’est sacré. Je vous le jure.

- Sur la bible ? persista Robert ironique. J’aimerais voir ça, une sorcière jurant sur la bible.

- Ne sois pas idiot Robert. Ma promesse devrait te suffire. Pour l’instant il est urgent d’organiser notre défense. Je suis très pressée j’ai des mesures à prendre. Une foule de choses à organiser avec mes officiers et mes intendants. Comme je te l’ai dit, j’ai de bons soldats, malheureusement peu doués pour les initiatives. Je dois être partout à la fois. Toi et tes amis, vous avez une belle occasion de me rendre service en contre partie du fait que grâce à moi, vous ne serez pas séparés. Je te demande donc de préparer de toute urgence un plan de défense. Moi, de mon côté malgré la montagne de choses que j’ai à faire j’essaierai de te trouver des garanties car pour l’instant à part ma promesse, je ne vois rien d’autres.

- Possédez vous les plans du château et de tout le territoire ?

- Evidemment. Je te les fais porter. Elle se tourna vers Castagne qui était resté à l’écart et lui dit : Conduis les dans leurs appartements et donne leur tout ce qu’ils demandent. Ensuite, apporte leur les cartes.

- Oui majesté, fit-il en s’inclinant cérémonieusement.

Nous sommes sortis du palais derrière Castagne. Hormis le palais au centre de la citadelle, le reste semblait plutôt hétéroclite. Une immense cour et des tours par ci par là. Castagne tourna sur la gauche et se dirigea sur la tour la plus à l’Est, la plus loin de la sortie ou plutôt de l’entrée. Nous avons traversé un vaste vestibule nu, sans décorations. Les torches diffusaient une timide lumière laissant ressortir les traînées noires des fumées. Castagne s’engagea dans un large escalier. Nous avons grimpé derrière lui plusieurs étages, puis il poussa une porte qui s’ouvrit sur une grande salle assez bien meublée. Une table avec des chaises, deux gros bahuts en bois, deux fauteuils. Quelques tentures étaient accrochées aux murs et malgré la lumière donnée par de grandes fenêtres vitrées, des torches aux supports habillés de bronze brûlaient contre les murs.

- Voici votre salle commune, nous dit Castagne, les chambres sont derrière. Si vous désirez les visiter de suite ces dames sont à votre disposition, ajouta-t-il en se tournant vers deux femelles zozos qui attendaient sagement dans un coin de la pièce. Je vais vous chercher les cartes et je reviens.

- Comment appelles-tu les femelles des zozos ? glissai-je à l’oreille de Mario.

- Des zezettes. Tu vois tu en as deux spécimens sous les yeux, tu es gâtée.

Rien à dire en ce qui concerne les chambres. Nous avions chacun la notre, meublée sommairement mais d’un aspect et d’un confort corrects. Un lit, une table, une chaise, une armoire et une grande glace pour les filles. Après un bref coup d’œil nous sommes retournés dans la grande pièce commune, surtout attirés par les fenêtres. A perte de vue, nous dominions une grande étendue d’eau qui commençait au pied du château ce qui nous portait à penser que nous avions très certainement une pente très abrupte entre cette eau et le château.

- A mon avis, on est sur une falaise, c’est pour ça qu’elle nous a mis là, la sorcière. On ne peut certainement pas s’échapper de ce côté, se lamenta Mario.

- Dis donc Robert, je trouve que tu as bien vite donné ton accord. Tu y crois à ses promesses ? l’interpella Pierrot.

- Oh ! Pas le moins du monde…. Mais réfléchis un peu, c’est pas en restant enfermés dans notre cachot qu’on a une chance de s’échapper. Par contre, en participant à la guerre on peut avoir une opportunité.

- Tu y crois vraiment ?

- Très peu, mais que veux-tu, depuis le début, on n’a pas le choix.

Castagne aidé d’un autre Zozo arrivait chargés tous deux de paquets encombrants qu’ils déposèrent sur la table. Castagne fit trois tas.

- Celui-ci, c’est le plan général du château, là ce sont les plans des environs du château et de ses chemins d’accès et le dernier paquet ce sont les plans de notre île.

Sans attendre, Robert étala sur la table le plan de l’île, puis après l’avoir étudié quelques minutes commenta tout haut ses déductions.

- Voilà, nous sommes arrivés ici, par le Nord de l’île. Au dessus de notre point d’accostage, à l’Est, la citadelle avec le palais de la reine. A l’autre bout, en limite des terres sauvages, le château de Méléagre et entre eux, la route principale orientée Nord-Sud qui relie les deux châteaux.

A mi parcours, sur la droite, une route part vers le château de Urgos. Bien avant, une autre route part vers le château de Xilias au Sud-Ouest de l’île. Une bifurcation au quart de la route dessert le château de Calcius situé à l’Ouest. On peut donc remarquer que la route qui mène au château de Xilias, passe entre les châteaux de Urgos et Calcius.

- Oui, et ça t’apporte quoi de savoir où sont ces châteaux.

- Ben, de savoir d’où arrivera l’ennemi. Par exemple, toi Mario je te place sur le chemin de Méléagre et tu seras chargé d’arrêter ses troupes.

- Arrêtez de déconner tous les deux, protesta Pierrot, moi j‘ai pas tellement envie de rire. Le Sud de l’île après le château de Méléagre, la partie hachurée, sans aucun détail signalé, c’est quoi ?

- A mon avis, c’est la partie sauvage de l’île dont les habitants se sont alliés à Méléagre, répondit Robert, puis il se tourna vers Castagne et lui dit. Peux-tu nous parler de ces deux grandes routes et des deux bifurcations, celle qui va chez Urgos et celle chez Calcius ?

- Celle qui conduit au comté de Méléagre est la plus importante et la plus fréquentée. Le territoire après les terres de Méléagre, dans la partie Sud, la seule très boisée, est celui des peuplades sauvages. Là, il y a beaucoup de gibiers et les sauvages nous approvisionnent en viande, fruits et légumes par cette route. Elle est large, bien carrossée, malgré les nombreuses falaises qu’elle franchit.

- Je suppose donc qu’il y a des ponts ?

- Beaucoup de ponts, le relief est très accidenté.

- Il y a une chose que je ne comprends pas. Tous ces bâtiments, ces ponts, c’est pas vous qui les avez construits. Il faut des infrastructures, des industries, pour réaliser de tels travaux, sans oublier du personnel qualifié et vous vous ne me semblez pas particulièrement qualifiés, à part brandir des épées devant des gens désarmés.

- Oui, c’est vrai, ce n’est pas nous qui avons réalisé ces constructions, nous en avons hérités. Dans les temps anciens, d’après les légendes, des hommes venant d’autres planètes les ont construits. Ils vivaient sous terre pour préparer l’invasion de la terre et puis, ils ont attrapé des maladies et la plupart sont morts. Bien plus tard, les sorciers sont apparus et ont récupérés leurs biens. Les autres ont survécu dans la partie sauvage de l’île, chassés par les sorciers.

- Donc, nos fameux sauvages sont des descendants d’extra-terrestres.

- En effet.

- Ils ont le sang vert ? demanda Pierrot.

- Non, pas du tout. Pourquoi me demandez-vous ça ?

- Parce que à la surface, si tu ne dis pas que les extra-terrestres ont le sang vert, on t’immole ou on te brûle sur la place publique, répliqua Mario.

- Et vous les Zozos, vous venez d’où ? questionna de nouveau Pierrot.

- Il paraît qu’on est un croisement entre des humains et des extra-terrestres. L’œuvre des sorciers. Pourquoi, nous appelez-vous des Zozos ?

- Ben, parce que vous n’avez pas eu la politesse de vous présenter. Nous étions donc dans l’obligation de vous trouver un nom pour parler de vous, alors on a choisi le plus facile.

- Nous sommes des Humextres.

- Ah bon ! Enchanté ! Les présentations étant terminées, maintenant, faut tout nous dire sur ces routes et me donner des informations détaillées sur tous les ponts, les points particuliers, tout ce qui peut être intéressant, coupa Robert qui commençait à donner quelques signes d’énervement.

Sur ce il prit une feuille de papier et commença à noter les indications que lui communiquait Castagne. Une heure plus tard, nous commencions notre conseil de guerre. En réalité, nous tracions les grandes lignes de notre stratégie guerrière de défense pour la bataille qui se préparait. Dès que nous fûmes seuls, après avoir expédié Castagne auprès de sa reine pour solliciter une audience, nous avons commencé à fantasmer sur les divers scénarii de notre plan d’évasion. En définitive notre plan avait les caractéristiques des choses simples qui forcément sont vouées à la réussite, nous expliqua Robert.

- Il est bien évident que si, sous prétexte d’étudier les voies d’accès au palais, nous en profitions pour nous échapper, nous serions vite rattrapés. A mon avis, nous devrions tout d’abord, pour endormir sa méfiance, prévoir des sorties d’études du terrain, dans le cadre de la mise au point du plan de défense de la citadelle pour, par exemple, préparer la mise en place de pièges, ou d’embuscades. On travaille sérieusement sur le projet en prévoyant le maximum de sorties afin de l’habituer à nous voir dehors et lorsque les assaillants attaqueront nous profiterons de la confusion pour nous enfuir.

- Pas mal ton plan, approuva Pierrot, mais si on loupe notre sortie, c’est foutu. On retombe à la case départ : ou on se fait massacrer, ou on reste prisonnier d’Oréade.

- Un détail m’inquiète, fis-je, lorsque la citadelle sera attaquée, les portes seront fermées, on pourra pas s’enfuir.

- Je sais, quand les assaillants seront sous les murs, il nous sera impossible de nous enfuir. Nous devons être dehors avant. C’est à nous à trouver un prétexte pour justifier notre présence à l’extérieur. Pour l’instant, on a pas d’autres options, on va s’en tenir là et réfléchir à ce problème. Ce qui importe c’est que nous soyons prêts au début de l’attaque.

- Ouais, ouais, marmonna Mario septique, on est pas sortis de l’auberge. Je trouve ton plan hasardeux. Je dirais même plus, un peu simpliste. Quand les autres attaqueront, nous on saute des murs de 10 mètres de haut, on traverse les armées adverses au pas de course, on prend le bateau ou l’avion, on met les réacteurs et au revoir tout le monde, le tour est joué. Quand les quatre armées seront près de la citadelle, et l’auront encerclée, on pourra pas s’échapper. Et avant leur arrivée, idem, Oréade va nous surveiller.

- Je t’en prie Mario, j’exprime l’idée de base, bien sûr qu’il faudra élaborer un plan plus précis et mieux adapté à la situation. Pour l’instant, je n’ai rien de mieux malheureusement. Si t’as une idée, on t’écoute. Ah ! Une recommandation, quand vous êtes face à Oréade, évitez de penser à nos projets de fuite, forcez-vous à penser à autre chose, vos familles, vos amis, n’importe quoi.

- Tu penses qu’elle lit nos pensées ? demanda Jeanne.

- C’est fort possible. Mais nous ne devons pas nous décourager pour autant, il ne faut à aucun prix penser que contre les sorciers on est totalement désarmés. A nous de trouver les solutions pour déjouer leurs pouvoirs. Tout réside dans la pensée, la Force pensée. Concentration maximum sur nous mêmes et notre foi dans notre réussite, fermeture étanche de notre esprit aux intrusions des pensées d’Oréade. Ce sont les clefs de notre réussite.

- Amen, fit Mario, Dieu a parlé. Allez en paix mes frères, la messe est dite.

Robert lui lança une œillade méchante, puis ajouta. : " On va lui proposer un plan, espérons que ça marchera. Montrons lui, sans zèle excessif que nous avons compris que notre sort était lié au sien et qu’on fait corps avec elle, convaincus, qu’après la bataille, elle nous libérera… ça va de soi, puisqu’on y croit ".

Castagne était de retour.

- Sa majesté vous attend.

- OK, fit Robert en ramassant le plan de l’île.

Elle nous attendait dans la salle d’armes entourée d’une dizaine d’officiers de son armée. Adieu la magnifique robe décolletée. Elle portait une tenue de combat. Bottillons, pantalons pris dans les bottes, blouson de cuir. Cheveux ramassés en chignon. Nous avions devant nous une belle amazone guerrière, exactement comme je les imaginais dans mes lectures, au service de leur reine la belle Antiope.

- Vous avez un plan ? nous demanda-t-elle aussitôt.

- Oui Majesté. (je tombai des nues en entendant Robert lui donner du Majesté. Il est vrai que nous recherchions ses bonnes grâces). Il me faut un tableau, continua Robert.

Quelques instants plus tard, un soldat revint porteur d’un tableau qu’il installa face à la table où siégeaient la reine et ses officiers. Robert épingla le plan de l’île.

- Je suppose qu’en ce moment vous organisez la défense de la citadelle en attendant l’arrivée de nos ennemis.

- Bien évidemment ! Que voudrais-tu qu’on fasse d’autre, qu’on se tourne les pouces en attendant qu’ils nous massacrent ?

- Ainsi vous acceptez le fait d’être assiégés, donc de tomber tôt ou tard.

- C’est malheureusement la triste réalité. Jusqu’à ce jour, ils ont toujours été divisés se jalousant les uns les autres. Aujourd’hui ils se sont alliés pour me détruire. Je dois t’avouer que depuis longtemps j’augurais leurs mauvaises intentions envers moi. Il y a longtemps qu’ils fomentent leur révolte et votre arrivée n’a fait que précipiter les événements. Ils se jalousent tellement les uns, les autres que j’étais convaincue qu’ils seraient incapable un jour de s’unir. Malheureusement, c’est fait et la coalition des quatre seigneurs, ajoutée à l’armée des sauvages, les nouveaux alliés de Méléagre, font qu’actuellement, ils sont bien plus puissants que nous.

- Il n’y a donc qu’une solution, empêcher leurs armées de se réunir.

- Ah oui ? D’un coup de baguette magique ? Tu oublies qu’on a affaire à des sorciers et avec eux ça ne marchera pas la magie.

- Pas du tout. Tout simplement en les attaquant séparément avant qu’ils ne fassent leur jonction. On bénéficierait de l’effet de surprise car jamais ils n’imagineront que tu puisses toi même aller au devant d’eux..

- Tu plaisantes !

- Non pas du tout. L’armée la plus puissante celle de Méléagre et de ses sauvages se présentera par la voie principale Nord-Sud, la route des crêtes. Elle est truffée de ponts vertigineux, il suffira de les détruire pour bloquer leur avance.

- Oui, mais, fit remarquer un officier, il y a des sentiers qui permettent de passer d’une crête à l’autre, certes ils sont dangereux et peu faciles d’accès mais les soldats pourront passer.

- D’accord, les soldats réussiront à passer par les sentiers mais ils seront retardés et fatigués. De plus ils ne pourront pas transporter le gros matériel : les bombardes, les grandes échelles, les tours d’escalades qu’ils auront conçus pour franchir nos murs d’enceintes. Croyez moi, ils seront confrontés à de gros problèmes.

- L’idée est bonne, j’en conviens, fit un des officiers, mais il ne faut pas oublier que toute notre nourriture transite par ces ponts. Pas de ponts, plus d’approvisionnements.

- Il faut savoir ce que vous voulez. Pour l’instant notre objectif numéro 1, c’est la protection de la citadelle. Le problème de l’approvisionnement en nourritures viendra après. Si nous battons les ennemis, les porteurs auront la possibilité d’emprunter les sentiers pour ravitailler le château en attendant que vous reconstruisiez les ponts. Cette route étant considérée comme indispensable pour vos approvisionnements, joue en notre faveur car ainsi Méléagre sera loin d’imaginer que nous avons l’intention de détruire les ponts.

- Désolé Robert, nous ne pourrons jamais reconstruire ces ponts. Ils ont été construits par les premiers occupants. Nous, nous sommes incapables de réaliser de telles constructions, expliqua Oréade.

- Les extra-terrestres ? demanda Robert.

- Exact. Ils ont été les premiers occupants de ce monde souterrain. Ils se sont installés sous Terre pour mieux espionner les humains et préparer la conquête de notre planète. Ils avaient des moyens très sophistiqués qui leur ont permis de construire tout ce que tu vois ici. Malheureusement, leur organisme n’était pas adapté à la vie sur Terre et ils ont contracté une maladie qui les a décimés. Quant à notre tour, nous avons été chassés de la surface par l’Inquisition, à part Les Marais et le pays des Trolls il ne restait que cette île. Les nains arrivés bien avant nous avaient pris les meilleures terres et les Fées la plus belle île. Nous nous sommes réfugiés sur celle ci en attendant de trouver mieux. Ici, il faut reconnaître que nous bénéficions des infrastructures existantes, détails non négligeables vu leur importance. Sans peine, nous avons vaincus les derniers extra-terrestres survivants, grâce à nos pouvoirs. Evidemment, nous ne les avons pas purement et simplement éliminés car nous avions aussi besoin de serviteurs fidèles et dévoués. Alors, nous avons créé une nouvelle race, en croisant les derniers survivants récupérés avec des humains ce qui a généré cette race : les Humextres, mieux adaptés à la vie ici. Voilà, maintenant, tu sais tout.

- D’où vient exactement votre nourriture ?

- Du territoire des sauvages, à l’autre extrémité de l’île. Ils nous fournissent la nourriture, nous leur donnons des outils, toutes sortes d’objets que les Humextres savent fabriquer mais pas les Sauvages.

- Il vous reste la possibilité d’utiliser le lac et y aller par bateau, cette voie n’en serait que plus aisée, plutôt que traverser la moitié de l’île

Oréade partit d’un grand rire.

- L’eau ? Surtout pas, les Humextres ont une peur bleue de l’eau. Toutes leurs légendes parlent de monstres horribles cachés dans leurs profondeurs. Nous avons cultivé cette peur pour les empêcher de s’enfuir.

- Ca, c’est un peu vrai. Nous en avons affronté quelques uns. Maintenant, revenons à mon plan, je vous en donnerai les détails plus tard, pour l’instant, il nous faut reconnaître les lieux, je compte donc avec mes camarades, avant que l’ennemi ne se mette en marche, aller sur place et noter tous les éléments topographiques qui peuvent nous être utiles.

- Tu projettes de détruire les ponts de suite ? demanda Oréade.

- Non ! Seulement lorsque l’ennemi se mettra en marche et en approchera. Il faut tout d’abord prévoir des éclaireurs qui surveilleront les quatre châteaux, afin que nous sachions exactement ce qui s’y passe. Nous ne détruirons les ponts que lorsqu’ils seront tout près. Si on le fait trop tôt, ils adopteront automatiquement une autre stratégie. C’est ce qu’il faut éviter car ainsi, nous bénéficions de l’effet de surprise. Une fois sur le chemin de la guerre, le mouvement des troupes amorcé, ils ne feront certainement pas demi-tour et s’engageront alors dans les sentiers. Ce sera à nous de prévoir des soldats aux endroits propices qui déclencheront des avalanches de rochers pour les anéantir. Cette tactique, bien préparée nous permettrait de faire d’énormes dégâts dans les rangs des assaillants en minimisant nos pertes. Encore une raison qui nous impose d’aller reconnaître sur place le terrain. Savoir avec précision où l’on peut cacher des combattants à des endroits propices pour réaliser le maximum de dégâts dans les rangs ennemis.

Oréade ouvrit de grands yeux. Un large sourire illuminait son visage.

- Formidable Robert, formidable ! Ton idée est vraiment géniale.

- Oh ! Ce n’est pas mon idée personnelle, nous avons mis cette stratégie au point avec mes camarades. C’est le fruit d’une synergie de groupe, chacun y a participé.

- Eh bien, je vous félicite tous les cinq, fit la reine joyeuse.

Les officiers parlementaient entre eux et à voir leurs mines réjouies, ils semblaient tous emballés par la stratégie guerrière de notre général Pison, docteur es-sciences et sciences occultes et baratin et compagnie.

Je jubilais, je me maîtrisais pour ne pas sauter au cou de Robert. La reine n’avait fait aucune objection à nos projets de reconnaissances hors de la citadelle et ce serait un monde, si dans l’avalanche d’évènements qui se préparaient nous ne puissions profiter d’une occasion pour nous enfuir. C’est du moins, ce que je pensais à cet instant.

Soudain je réalisais que je venais de gaffer. Les yeux perçants de la reine s’étaient posés sur moi et pénétraient dans ma tête, comme une vrille acérée. Avait-elle décelé ma joie intérieure ? Lu mes pensées ? Avais-je par mon manque de maîtrise révélé nos projets malgré les recommandations de Robert ? Un courant glacial me parcourut le corps le la tête aux pieds.

Robert rompit le silence le premier.

- Je ferai en sorte que vous sortiez vainqueur de cette guerre. Je me permets donc de vous rappeler votre promesse concernant notre libération consécutive.

- Je te le promets Robert, fit-elle dans un gracieux sourire ensorceleur.

- Tout est donc OK ! Marché conclu !

19.

Après ce premier conseil de guerre, nous avons regagné nos appartements et pour la première fois, sans être accompagnés. Un bon repas nous y attendait servi par les deux Zézettes. Nous étions tous très fébriles à la pensée des prochains événements qui allaient décider de notre sort futur. La partie qui allait se jouer s’annonçait des plus délicates puisqu’il s’agissait de tromper, aussi extravagant que cela puisse paraître, la surveillance d’une puissante sorcière dotée d’impressionnants pouvoirs dont beaucoup nous étaient encore inconnus. Ensuite nous avons pris quelques heures de repos dans nos chambres respectives. Debout la première, je découvris Castagne sagement installé à notre table en train de consulter les plans. Ce détail pouvant paraître anodin déclencha soudain en moi une nouvelle frayeur. N’aurions nous pas, avant d’aller au lit, laissé sur les plans des indices susceptibles de trahir nos projets de fuite ? Le visage de Castagne ne décelait aucune trace de suspicion quelconque.

- Vous êtes-vous bien reposée mademoiselle ? me demanda-t-il.

- Oui, ce petit somme m’a fait beaucoup de bien. Nous sommes tous les cinq très fatigués, vous comprenez.

- Je suis ici pour préparer avec vous notre première reconnaissance et vous accompagner. Dès que vous serez prêts, nous pourrons partir.

- Très bien, je vais réveiller mes compagnons, fis-je d’un ton las.

Il ne s’agissait pas pour moi, d’une attitude de composition car j’étais effectivement très lasse, découragée, vidée. Pendant les quelques heures que j’avais passées dans ma chambre, j’avais beaucoup réfléchi à notre situation pour en définitive en conclure que jamais nous ne réussirions à nous enfuir et que même si nous réussissions à quitter le château, jamais nous ne reverrions la surface de la Terre. Robert ne se fit pas prier pour se lever, au contraire, il bouillait d’impatience d’affronter l’extérieur, de peaufiner son petit plan de bataille comme si sa participation à la destruction de forces aux services des sorciers l’enchantait. Quelques instants plus tard, mes quatre compagnons s’apprêtaient à quitter la pièce.

- Tu viens Anaïs ? …. Tu n’es toujours pas prête ?

- Je suis fatiguée, je n’ai pas envie. Allez-y sans moi.

Robert me regarda d’un drôle d’air. Sans aucun doute, mon attitude le surprenait. Il écarquillait de grands yeux sur moi, cherchant à comprendre. Puis il fit un geste désinvolte.

- Après tout, si tu n’as pas envie de venir, ça n’a aucune importance, tu peux rester.

Nous savions tous, qu’à la première sortie, nous n’aurions aucune chance de nous évader. Donc, que je sois avec eux ou pas n’avait pas grande importance. Je les accompagnai dans les escaliers. Dehors, une trentaine de soldats armés les attendait pour les escorter.

- Une dizaine de nos soldats sont déjà partis, afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’ennemis cachés dans les parages. Nos espions les ont précédés et sont aussi déjà partis surveiller les châteaux ennemis. Ils opéreront par équipes de 3 autour de chacun des châteaux et nous assurerons régulièrement les relais, nous précisa Castagne.

J’assistai à leur départ et tel un automate vidé de toute substance humaine, fis quelques pas dans la cour. De toutes parts, soldats et personnels divers en majeure partie des Humextres, s’affairaient laborieusement à la préparation de la défense de la citadelle. Parmi eux, quelques fantômes comme ceux qui nous avaient reçus, déambulaient, heureux semble-t-il de voir tout ce remue ménage. Des animaux, moitié yacks, moitié bœufs tiraient de lourds chariots. En d’autres circonstances ce spectacle aurait accroché mon attention mais aujourd’hui, je restais indifférente. Rien ne m’intéressait. J’errais quelques instants parmi eux puis décidai de regagner notre appartement. J’étais fatiguée de penser, fatiguée d’essayer d’imaginer comment nous en sortir, fatiguée de lutter. Je m’installais à la fenêtre comme on s’installe devant rien. Sous mes yeux, était-ce la mer ou toujours l’eau douce d’un lac ? En définitive, sauf intervention diabolique des sorciers, nous ne devions plus être très loin de la mer. Pourtant, force était de reconnaître que, même si nous réussissions notre évasion, si nous retrouvions la mer, en quoi notre situation serait-elle meilleure, si ce n’était d’avoir échappé aux sorciers ? Pierrot estimait que nous avions 1 chance sur 100 pour que cette mer intérieure communique avec la Méditerranée. Mario lui pensait que si une telle communication existait il y a longtemps que les plongeurs l’auraient découverte. Ou alors elles communiquaient par un siphon trop profond pour être accessible. Peut être aussi qu’en longeant les bords découvririons nous un autre accès avec la surface. Nos malheurs ne se terminaient pas là : restait encore l’île des fées et cette maudite Jacquemette qui voulait notre perte. Quoi qu’il en soit, l’île des sorciers restait le lieu le plus maléfique après les Marais. Nous devions impérativement fuir ce lieu maudit.

Les deux Zézettes convaincues que nous étions tous partis avaient déserté les lieux. Je commençais déjà à ressentir les affres de l’ennui, aussi me suis-je attablée devant les cartes afin de passer le temps en attendant le retour de mes amis. Elles étaient réalisées sur des plaques fibreuses, rappelant le papyrus égyptien. Je m’intéressai en premier lieu au plan du Palais de la reine et par jeu je partis à la recherche du cachot où nous étions enfermés précédemment. Je n’eus aucun mal à le situer, une fois les techniques du plan assimilées. Il ne s’agissait pas comme chez nous de dessins industriels mais plutôt de vues avec de jolies perspectives témoignant des qualités artistiques de son créateur. Je reconnus dans les salles de tortures voisines, les symboles représentant le matériel installé. Mais le long corridor ne s’arrêtait pas là. Plusieurs plans lui étaient consacrés avec un repère pour les lire dans l’ordre. Après plusieurs étages, il se prolongeait ensuite et semblait descendre dans les entrailles de la terre. Je sautai plusieurs d’entre eux pour examiner le dernier afin de découvrir où il aboutissait. A ma grande déception il se terminait contre un mur, certainement les contreforts du château ou les fondations. Un instant l’espoir de découvrir un passage souterrain m’avait effleuré. C’eut été trop facile. De rage je balayai de la main, sur la table, les plans, qui s’envolèrent aux quatre coins de la pièce avant de s’éparpiller sur le sol. C’est alors que je ressentis la vague impression d’être observée. Je me retournai. Une des Zézettes me regardait effarée, semblant redouter ma colère qui s’exprimait aussi violemment.

- Ne crains rien, lui dis-je, je suis un peu énervée…. (je cherchai une explication plausible), tu comprends, j’ai besoin d’affaires personnelles, malheureusement elles sont restées dans mon sac dans le cachot. J’aimerais bien les récupérer.

- Vous désirez que j’aille les chercher ? me proposa-t-elle gentiment en remuant son petit museau, ou bien préférez-vous vous y rendre vous même ? Il ne vous est pas interdit de circuler dans la citadelle. Le seigneur Castagne nous a recommandé de vous laisser circuler à votre guise, à l’intérieur de l’enceinte.

- Et si nous y allions ensemble, cela nous ferait une petite promenade.

Je pensais qu’en compagnie d’une zézette je soulèverai moins de soupçons. Nous sommes donc parties toutes les deux. Je regardai ma montre pour mesurer le temps qu’il fallait pour d’ici, atteindre le cachot. 10 minutes plus tard, nous poussions sa porte restée ouverte depuis notre départ. Je récupérai mon sac sous le lit, dans lequel je glissai une dague. Puis je pris le sac de Robert et le mis sur les épaules de mon accompagnatrice toute fière de porter un sac. Avant de partir, je récupérai la lunette de Pierrot. Peut-être pour repérer de notre fenêtre le passage éventuel d’un bateau. Je crois bien que mes neurones commençaient à disjoncter.

- Où mène ce couloir ? lui demandai-je.

- Je ne sais pas. Je ne viens jamais ici, d’ailleurs personne ne vient ici. Je savais qu’il existait des cachots mais je ne les avais jamais vus.

- Qu’en penses-tu ? J’adore visiter les vieux châteaux, c’est mon hobby préféré. Et si nous y faisions un petit tour ? Hein ? Ca te dit ?

Nous avons reposé nos sacs sur les grabats et nous sommes parties à la découverte.

Nous avons longuement déambulé dans les couloirs qui n’en finissaient pas, à la faible lueur des torches de plus en plus espacées au fur et à mesure que nous avancions. Après plusieurs étages le corridor aboutissait à des marches qui plongeaient dans le noir. Là, il n’y avait plus de torches. Personne depuis certainement très longtemps n’avait visité les lieux. A mon avis, nous étions ici à plus de 100 mètres en dessous du niveau du sol et j’estimais qu’il en faudrait certainement 3 à 4 fois plus pour arriver au niveau de la mer ou du lac. Si d’aventures le souterrain atterrissait au niveau du lac ; où certainement moins, s’il se terminait dans la falaise. Je ne sais pourquoi je m’obstinais à espérer une sortie souterraine alors que le plan n’en mentionnait pas. Peut-être était-ce la conviction que j’avais que tous les châteaux possédaient des sorties souterraines pour permettre aux seigneurs de fuir si le château était investi. Il y avait peut-être des sorties souterraines, mais ailleurs.

Nous avons fait demi-tour, récupéré les deux sacs au passage et regagné notre appartement. Notre petite balade avait duré plus de 2 heures. Je repris l’étude des plans pour finalement m’endormir sur la table. C’est Mario qui me réveilla bien plus tard.

- Mademoiselle dort tranquillement pendant que nous, nous suons eau et sang pour la bonne cause.

- Vous avez fait une bonne balade ?

- Ouais, fit Jeanne en grimaçant, j’aurais préféré les Champs Elysées.

- On a fait une dizaine de kilomètres, c’est truffé de ponts et d’à pics. Je crois qu’il suffira de faire sauter le dernier sur la route reliant le territoire d’Oréade à celui de Méléagre. Il y a un sentier qui permet de passer d’une falaise à l’autre mais c’est pas de la tarte. Faut qu’on réfléchisse encore et surtout veiller à ce que la guerre ait bien lieu, car il faut à tout prix que ces maudits s’entretuent entre eux. Tout dépendra de la solution qu’on trouvera pour nous enfuir en provoquant le maximum de pagaille sans trop favoriser la victoire de l’un ou de l’autre.

- Ouais, maugréa Mario, on en est toujours au même point. Ou on attend la bataille et on ne pourra plus s’enfuir, ou on s’enfuit avant et on se fait rattraper.

- Attends, Mario, un peu de patience. On a pas la solution mais on la trouvera, c’est pas en raisonnant comme tu le fais qu’on en trouvera une, protesta sèchement Robert. Demain on va explorer la route de l’Ouest. On en profitera pour voir si le bateau est toujours là. Je pense qu’Oréade aura levé son enchantement pour gagner notre confiance. Elle a besoin de nous.

- Tiens ! fis-je en tendant la lunette de Pierrot. Ca peut t’aider à le repérer.

- Oh ! s’exclama Pierrot étonné, ma lunette. Ils ont ramené nos affaires ?

- Non ! C’est moi qui suis allée la chercher. J’ai ramené mon sac et celui de Robert … et ta lunette aussi.

- Hein ? Mais tu n’as pas fait que dormir ? Je me disais aussi que tu n’étais pas une fille à rester à ne rien faire, explosa Robert soudain joyeux. Donc on peut circuler librement. Bonne nouvelle.

- J’ai cherché dans les plans du palais l’existence éventuelle d’un souterrain. Après notre cachot le couloir descend sur plusieurs étages et ensuite aboutit sur des escaliers. Mais j’en suis restée là, au sommet des escaliers, j’ai pas osé aller plus loin.

- Formidable ! Formidable ! s’écria Robert. Tous les châteaux ont des souterrains. Bien sûr, les extra-terrestres qui ont fait ce château ont certainement créé un accès direct au lac ou à la mer. Incroyable, je n’y avais pas pensé. Ca nous donne un espoir supplémentaire. Vous voyez les gars, faut pas désespérer, faut surtout pas baisser les bras.

- Pour l’instant, rien ne nous dit qu’il existe des souterrains. Regarde sur les plans. Moi, j’ai rien trouvé. Les couloirs se terminent contre un mur. Aucun passage d’indiqué.

- Evidemment, les passages secrets ne sont jamais mentionnés sur les plans. Avec notre expert en souterrains, si il y a un passage, lui le trouvera. N’est-ce pas Pierrot ?

- Evident ! Evidemment, bien sûr, répliqua Pierrot en secouant la tête. C’est tellement facile. Je me demande même si ça vaut la peine de chercher, tant c’est facile.

L’idée d’un éventuel souterrain semblait avoir allumé un petit espoir à notre groupe. Je ne sais pas si un jour il y eut quelque part sur la terre des personnes autant passionnées et acharnées que nous à l’étude de plans. Nous avons plongé tous les cinq sur la table, comme un seul homme.

- Reste quand même un gros problème, avoua Pierrot en se redressant, notre fenêtre donne sur l’Est, le château est lui aussi sur la face Est. Par contre, nous avons accosté sur la face Nord. Rien ne nous dit que le bateau ou nous mêmes pouvons passer du Nord vers l’Est et vice versa.

- D’accord, concéda Robert. Encore un problème à résoudre. Vous pensez bien qu’on ne réussira pas à s’enfuir sans avoir à résoudre de gros problèmes. Pour l’instant, il faut se réjouir d’avoir une piste supplémentaire à explorer.

Nous avons replongé dans nos plans jusqu’à l’arrivée des deux zézettes qui nous servirent de nouveau un excellent repas. Puis Robert se leva et nous déclara solennellement.

- Mesdames, mademoiselles et messieurs, et tant pis si je me trompe, il est 22 heures, je vous invite à regagner vos couches car demain il vous faudra être en forme pour affronter la route Ouest. C’est là que la joie suprême de revoir notre chère barque nous sera dévolue.

- Et si on disait à Oréade qu’on a besoin d’aller au bateau pour prendre du matériel indispensable. Elle ne pourrait refuser, avança Mario.

- Surtout pas. Je veux savoir si dans la réalité notre barque est visible ou non. Si elle fait réapparaître notre barque, le temps de prendre du matériel, et ensuite la fait disparaître nous pouvons enterrer nos illusions. Moi je suis convaincu qu’à notre arrivée, nous avons été victimes d’une hallucination engendrée par la sorcière et que dans la réalité, notre barque est bien à sa place.

- Que Dieu t’entende, fit Mario toujours aussi septique.

Le lendemain matin, ou plus exactement 10 heures plus tard, puisque ici, il n’y a ni matin ni soir, l’équipe pour la deuxième expédition était prête : Robert, Mario et Jeanne. Quant à Pierrot, il restait avec moi. Nous les avons accompagnés jusqu’aux portes de la citadelle puis avons fait demi tour sans que notre non participation éveilla le moindre soupçon car rien dans ce contexte n’imposait que nous soyons tous les cinq ensemble. Bien au contraire, le fait de se séparer pouvait laisser penser que nous n’avions nullement l’intention de nous enfuir. Comme la veille, je commençai à flâner dans la cour, Pierrot et moi, noyés dans l’intense activité engendrée par ces longs préparatifs de guerre. Ce n’est pas sans but bien précis que nos pas nous portèrent devant la porte qui s’ouvrait sur le couloir conduisant à notre ancien cachot. Après avoir vérifié que nous ne faisions pas l’objet d’une surveillance, nous nous sommes engagés dans le couloir. Quelques minutes plus tard nous récupérions deux lampes de poches dans les sacs restés sous les lits et partions à la recherche d’un éventuel souterrain. Pierrot en avait les narines frémissantes. J’en arrivais à penser tout comme Robert, que si il y avait un souterrain ici, Pierrot le découvrirait. Nous avons atteint la salle la plus enterrée et négligeant les escaliers qui plongeaient dans le noir, Pierrot entreprit l’exploration détaillée de cette immense pièce.

- A mon avis, les escaliers sont un piège. Une sortie de secours est toujours cachée et je ne serais pas surpris qu’elle parte d’ici, me glissa Pierrot à l’oreille. Faut la trouver rapidement car nous n’avons que quelques heures.

Et nous voici tous deux armés chacun d’un gros caillou à la main, frappant les murs de pierre à la recherche d’une résonance révélatrice, trahissant un vide derrière le mur. Nous avons commencé par le fond de la pièce, convaincus que si souterrain il y avait, il y avait aussi peu de chances pour que son départ se trouve à l’entrée de la salle mais plutôt à l’autre extrémité. De temps à autre je m’arrêtais pour reposer mes bras fatigués de toujours frapper. Cette salle ne recelait pas de choses intéressantes à regarder. Hormis quelques bancs et tables de pierre, elle était vide. Par contre les supports chandelles en bronze ne manquaient pas d’intérêt par la qualité des sculptures et l’harmonie des formes. Certains représentaient des animaux, d’autres des têtes un peu bizarres, peut-être à l’effigie des prétendus extra-terrestres qui auraient débarqués ici il y a 1 ou 2 ou 3000 ans. Moi, je n’ai jamais cru aux extra-terrestres. Les distances dans l’espace sont trop importantes pour permettre de tels voyages. Pierrot me dit que j’ai l’esprit trop étroit et trop pragmatique. D’accord ! Je suis bornée, incrédule, dénudée de toute imagination. Mais, actuellement le moment ne se prêtait guère à la réflexion, à l’errance, ou à la divagation non contrôlée. Le temps nous était compté et nous devions nous concentrer sur la recherche de cet éventuel souterrain. Néanmoins, un détail m’obsédait me créait de gros soucis. Je délaissai mes recherches et rejoignis Pierrot.

- Les torches nous rendent bien service, mais quelque chose m’inquiète. Je veux bien admettre qu’on est chez des sorciers, mais ces torches qui brûlent ne peuvent brûler indéfiniment. Il y a bien quelqu’un qui vient pour entretenir la flamme. Il pourrait nous découvrir et avertir la reine qui comprendrait bien vite qu’on cherche un moyen pour nous enfuir. Nous nous retrouverions de nouveau enfermés dans notre cachot.

- Ne te casse pas la tête ma vieille, je me suis déjà posé la question. Au bas de la torche, il y a un réservoir contenant du carburant, une huile spéciale, où une mèche trempe et remonte jusqu’à l’extrémité. Les réservoirs sont pleins. Je pense que le plein a été fait quand ils nous ont enfermés dans le cachot. On est tranquille pour plusieurs jours. En ce moment ils sont tous mobilisés pour préparer la résistance de la citadelle, personne ne viendra par ici.

Je poussai un grand Ouf de soulagement. Ce détail avait éveillé de nouvelles craintes en moi. Après les explications de mon compagnon, c’est un peu plus détendue que je repris ma prospection. En deux heures, nous n’avions pas fait la moitié de la salle et de nouveau le découragement m’envahissait. De son côté, Pierrot comme un automate continuait à frapper, à écouter, à analyser les résonances. Sans se décourager, semble-t-il. Je m’affalai sur un banc, la tête dans les mains. Une irrésistible envie de pleurer me prit. Je sentis de chaudes larmes couler sur mes joues. J’avais envie de crier, d’hurler mon désespoir. Et de nouveau le visage de mes parents vint hanter mon esprit. A ma douleur de rester prisonnière ici ou d’y mourir, venait s’ajouter celle du tourment que ma disparition allait provoquer et avait déjà provoqué en eux.

Je sentis une main se poser sur mon épaule.

- Si tu as envie de pleurer, vas-y, ne te retiens pas. Je te comprends Anaïs, mais ne perds pas courage. Nous nous en sortirons, je te le promets.

Pierrot resta assis quelques instants près de moi, puis repartit courageusement reprendre ses recherches. Quel bel exemple. Je ne pouvais rester ainsi inactive alors que mes camarades se défonçaient pour trouver une issue. Rassemblant mon courage, je me levai et repris mes recherches. Pierrot me gratifia d’un grand sourire et m’adressa un amical geste de la main. Et de nouveau, les bangs se succédèrent avec toujours autant d’insuccès.

Je frappais le mur sans conviction. Parfois je me ressaisissais en me forçant à espérer, et c’est dans un de ces moments qu’il me sembla que les résonances différaient légèrement des précédentes. Alors, je tapai plus fort, plus rapidement. Non, je ne rêvais pas : le mur sonnait creux. Bien qu’éloigné de moi, Pierrot avait compris par la cadence accélérée de mes coups que j’avais découvert une particularité dans le mur et en deux bonds me rejoignit. A son tour, il se mit à cogner près de moi. Puis il se tourna vers moi, le visage illuminé.

- Anaïs, je crois que tu as gagné le cocotier. Il y a un vide derrière. Certainement un passage. Maintenant, faut trouver comment ouvrir.

Nous avons continué de frapper afin de délimiter le plus précisément possible l’éventuelle ouverture. Les sonorités différaient légèrement à l’emplacement des piliers cachés par le mur, ce qui confirmait l’anomalie que nous avions découverte, prenant sa source dans l’existence éventuelle d’un vide derrière la muraille.

Après avoir tracé quelques repères sur le mur, et noté leurs emplacements par rapport aux torches et à la position de l’entrée il ne nous restait plus qu’à trouver le mécanisme qui commandait l’ouverture. Pierrot commença par la partie la plus haute, moi, par le sol. Le mur paraissait parfaitement uni, régulier, sans aspérités. Tout d’abord, nous cherchions les mains ouvertes en tâtant les pierres, la moindre aspérité. Sur le sol, je n’en découvris aucune, alors je vins prêter main forte à Pierrot dans l’examen du mur. Nous nous heurtions à un mur parfait sans le moindre relief ou creux apparents. Lorsque nous eûmes fini de tâter les pierres de la muraille, nous avons recommencé avec toujours autant de succès. De nouveau, après le fol espoir, le découragement revint. Je me laissai tomber sur le sol, les bras ballants.

- Oh que j’en ai marre. On arrivera jamais à quitter ce maudit pays.

Je disais ça en sachant très bien que même si nous découvrions le souterrain, on n’en serait pas pour autant sauvés.

- Ne te décourage pas Anaïs, il y a certainement un mécanisme caché quelque part. je vais commencer par inspecter toutes les torches. Dans des films ou des jeux vidéo on voit souvent les torches cacher les mécanismes de commande de passages secrets.

- Ouais, fis-je. Ceux qui les écrivent ont certainement beaucoup d’imagination mais ils ne sont jamais restés coincés comme nous dans des souterrains.

- Détrompe-toi, ma belle, il y a souvent de petits génies parmi eux.

Je restais longtemps assise à regarder Pierrot s’efforçant de découvrir des mystères dans les torches. Il opérait consciencieusement d’une façon ordonnée, afin de ne rien oublier. Soulever… rien. Abaisser … rien. Pousser à gauche … rien. Pousser à droite …rien. Puis il passait méthodiquement à une autre.

Prenant mon courage à deux mains j’attaquais l’autre côté. Et le temps passait. Et toujours rien. Découragés nous avons abandonné, nous promettant d’y revenir plus tard.

En passant devant notre cachot je demandai à Pierrot.

- Tu prends ton sac ?

- Non ! Seulement quelques bricoles. Je pense qu’il est bon de laisser du matériel ici. Si on trouve le souterrain on le récupérera en partant. On divise la poire en deux.

Nous sortions du cachot lorsque apparurent plusieurs soldats qui semblaient patrouiller.

- Que faites-vous ici ? demanda celui qui paraissait le chef.

Pierrot lui montra des stylos et du papier.

- On est venu chercher des bricoles.

- C’est bon, répondit l’officier. Si vous avez besoin de quelque chose, demandez-nous.

- Avant de remonter, on aimerait visiter la salle des tortures, fit Pierrot en désignant du doigt la pièce voisine..

- Aucun problème. Je vous ouvre.

En réalité la salle n’était pas verrouillée, une simple chaîne retenait les deux battants des portes. Les soldats nous saluèrent et reprirent leur ronde.

Pierrot fureta un peu partout. Je me demandais ce qu’il pouvait bien chercher. Je le vis arrêté devant une barre de fer qu’il prit dans ses bras comme pour la soupeser.

- Que cherches-tu exactement ?

Il me dévisagea, un sourire au coin des lèvres.

- Je crois que j’ai trouvé le mécanisme pour ouvrir la porte.

- Hein ? fis-je, déconcertée.

Resserrant ses deux poings sur la barre il exécuta de brusques mouvements en faisant : " Han ! Han ! ".

- Tu veux défoncer le mur ?

- Ouais ! Il ne doit pas être très épais. A mon avis le passage a été muré.

Nous avons regagné la cour et nous sommes promenés, comme des touristes, parmi les soldats et les civils. Il n’eut pas été raisonnable de rester introuvables trop longtemps. Nos amis partis depuis 4 heures n’étaient toujours pas de retour. Il me tardait de savoir s’ils avaient vu notre barque car sans elle, tout espoir de fuite s’envolait. Je notais une certaine accélération dans les activités de nos hôtes, j’en fis la remarque à Pierrot.

- J’avais remarqué, approuva-t-il. Peut être que nos ennemis commencent à bouger.

- Il ne manquerait plus que ça, s’ils attaquent de suite, nous on est pas prêts. On a pas encore la certitude de l’existence du souterrain et où il atterrit.

- Oh ! Rassure-toi. Ils ne sont pas encore là. Ils vont d’abord se réunir à l’intersection des deux routes avant de marcher sur la citadelle. Si on fait sauter un pont sur chaque route, on va les retarder de 2 ou 3 jours. D’ci là, on aura trouvé notre souterrain. Il le faut !

- Supposons qu’on le trouve, mais tu oublies qu’il ne débouche pas forcément près de la barque. Peut-être que d’où il sort on ne peut pas accéder au bateau.

- Tu es en train de me faire une crise de neurasthénie ma petite Anaïs, si tu continues, tu vas détrôner Mario. Moi, je pense que si on peut sortir de la citadelle par le souterrain, ce sera déjà une belle chose. Après, on verra.…

- Je crois que ce souterrain nous sera aussi indispensable que la barque pour réussir notre évasion. Tu vois, en ce moment, nous avons l’impression d’être libres de pouvoir aller partout sans problèmes parce que ce n’est pas le bon moment et qu’ils pourraient facilement nous rattraper. 3 personnes à l’extérieur, 2 à l’intérieur, Oréade dort sur ses 2 oreilles tout au moins en ce qui nous concerne. Mais au moment propice, jamais elle nous laissera sortir tous les 5 ensemble.

Enfin nos compagnons arrivaient. Nous avions tous beaucoup de choses à nous dire et lorsque nous fûmes seuls dans notre appartement, nos langues se sont déliées. D’abord une bonne nouvelle. Robert avait raison, notre barque n’avait pas quitté son point d’amarrage. Y serait-elle encore lorsque nous fuirons ? Sur ce point, seul Robert restait convaincu qu’elle y serait encore.

- Nous avons ramené un peu de matériel du bateau, surtout pour justifier notre visite. Un petit sac de carbure de calcium pour faire des grenades. Oréade possède certainement des flacons, j’ai préféré conserver sur le bateau le peu qui nous reste. J’ai aussi ramené 2 lampes à carbure, on peut en avoir besoin dans le souterrain.

- Tu as tout pris le calcium ? demanda Pierrot inquiet.

- Mais non gros nigaud, juste de quoi conforter sa confiance en nous.

Quand Robert eut terminé, Pierrot à son tour leur relata notre petite aventure. Robert très intéressé écoutait attentivement le récit de notre recherche du souterrain. Nous avons tous très vite conclu que cette découverte deviendrait la base de notre plan de fuite, car il ne faisait plus aucun doute qu’Oréade ne nous laisserait pas sortir tous les cinq ensemble, pendant les prémices du siège.

- Nous n’avons qu’une tactique conclut Robert. Deux s’échappent pendant le combat et vont à la barque et les trois autres par le souterrain, s souterrain il y a. Mario et moi, on ira avec des soldats près du pont de la route Sud pour le faire sauter quand les troupes de Méléagre approcheront. Ensuite on va sur la route Ouest vers le dernier pont qui n’est pas loin du bateau et là, on fonce à la barque. On vous récupère tous les trois sur la côte et on file. La guerre battra son plein car on va disséminer des soldats sur les hauteurs qui surplombent les sentiers. Tout le monde sera fort occupé. Plus vite on saura où débouche le souterrain plus on augmentera nos chances de réussite.

- Après le repas, je fais un petit somme et j’y retourne, annonça Pierrot.

- Je vais avec toi, proposa Mario.

- Non ! Plus on sera nombreux, plus on risque de se faire remarquer. J’y vais seul.

L’arrivée de Castagne interrompit nos discussions.

- La reine veut te voir Robert, elle t’attend dans son boudoir.

20.

La convocation de Robert jeta un froid dans le groupe. Que lui voulait la reine ? Après ses dernières gracieusetés nous nous attendions à chaque instant à un revirement qui remettrait en cause nos projets d’évasion. Seul Mario eut le cœur, ou la bêtise de plaisanter.

- Fais gaffe Robert. Tu lui plais. A mon avis, tu vas certainement passer à la casserole, lui lança-t-il avant qu’il ne franchisse la porte. Oh, après tout, elle n’est pas si vieille que ça, 300 ou 400 ou 500 ans.

Avant de franchir le seuil, Robert nous lança un regard voilé, après avoir fusillé Mario des yeux. Ce pauvre Mario avait le chic pour nous remonter le moral dans les moments difficiles. A cet instant, je crois bien que je le haïssais.

Quelques instants plus tard, Pierrot le premier, rompit le silence qui s’était abattu sur nous après le départ de Robert. Convocation ferme qui ne présageait rien de bon.

- Moi je pense qu’elle veut faire avec lui une dernière synthèse avant la bataille. Il passe à leurs yeux pour un grand stratège. On ne doit pas s’en inquiéter outre mesure, il va revenir.

Moi j’avais la hantise d’une séparation dans les derniers moments.

- Je ne le crois pas, si c’était ça, elle nous aurait tous convoqués, répliquai-je sur un ton qui trahissait ma profonde inquiétude.

- Ecoutez ! gronda Pierrot. On va pas spéculer là dessus. Attendons le retour de Robert pour savoir pourquoi elle l’a demandé. La survie de son empire face à la coalition de ses ennemis est certainement son premier souci. En attendant, nous on continue sur notre lancée. Une équipe se polarise sur la meilleure solution pour récupérer la barque, l’autre continue les recherches à la découverte des souterrains. La cloche va bientôt sonner le repos quotidien. Moi je dors quatre heures et après je retourne dans les catacombes poursuivre la recherche d’une autre issue. Tout seul ! Dans la plus grande discrétion. Que ceux qui m’aiment ne me suivent pas.

Il regagna sa chambre nous laissant tous les trois pantois, face à ces incertitudes qui ne cessaient de s’accumuler sur nous. Mario en fit de même quelques instants plus tard. Jeanne me posa quelques questions sur nos chances de réussite sur lesquelles je ne savais que répondre tant pour moi tout me semblait si hasardeux. Les efforts de la journée commençaient à se faire sentir sur mes muscles qui s’alourdissaient. Je regagnai à mon tour ma chambre sachant très bien que je ne dormirais pas, tant que Robert ne serait revenu. Mais la fatigue fut plus forte et je sombrai dans un profond sommeil.

C’est Robert qui me réveilla, je ne sais combien de temps après.

- Où est Pierrot ?

- Je pense qu’il est parti à la recherche du souterrain.

- C’est bon, pourvu qu’il réussisse.

- Que te voulait-elle ?

- Les troupes de Méléagre sont sur le point de partir. Ils sont beaucoup plus nombreux qu’Oréade ne le pensait. Faut croire que ce petit salopard préparait son coup depuis longtemps. Il dispose d’une armée imposante d’indigènes venant de la partie Sud de l’île, non contrôlée par les sorciers, ce qui laisse à penser qu’ils ont conclu un accord depuis très longtemps.

- Et les autres sorciers ?

- Eux, ne semblent pas encore prêts.

- Méléagre va donc attendre.

- D’après les espions il ne semble pas. L’armée de Méléagre renforcée de celle des sauvages est assez puissante pour prendre à elles seules la citadelle. Il agit comme s’il essayait de prendre les autres de vitesse. Je pense qu’il cherche à s’approprier tout le royaume. Sûr qu’il avait bel et bien cette idée derrière la tête depuis longtemps. Peut être est-ce pour cela qu’il insistait tant pour me récupérer.

- Je ne comprends pas sa tactique.

- Tout comme Oréade d’ailleurs. C’est pour cela qu’elle voulait me voir. Elle désirait avoir mon avis à ce sujet car s’il avait de telles ambitions sa tactique pourrait sembler suicidaire. En attaquant seul la citadelle il affaiblirait ses troupes car vraisemblablement il y laisserait des plumes et dans ce cas compromettrait ses rêves de conquête des autres châteaux pour devenir le patron de l’île.

- En effet, ça ne tient pas debout.

- Mais si. J’ai compris sa ruse. Il dispose ses troupes autour de la citadelle, tout au moins une partie. Il donne l’assaut, mais un assaut plutôt fictif pour tromper tout le monde. Il charge de loin en faisant beaucoup de bruits. Ses alliés se ruent à son secours, ventre à terre en délaissant la défense de leurs châteaux.

- Oui, oui, fis- je, je crois que je commence à comprendre. L’autre partie de son armée investit alors les autres châteaux restés sans défense.

- Pas tout à fait exact. Quand la citadelle commencera à faiblir, quand une brèche sera faite, son armée reculera discrètement, se placera derrière les autres et les massacrera.

- Je ne comprends toujours pas. Quand les autres apprendront que leurs châteaux sont attaqués, ils feront demi-tour.

- Non ! Voilà ! Je t’explique la subtilité de son plan. Il n’attaquera pas les autres châteaux de suite. Il attendra que le combat contre la citadelle soit bien engagé. A mon avis, quand ses alliés commenceront à gravir les échelles et les tours mobiles d’attaque ce qui prendra du temps puisqu’il n’y aura plus de ponts pour les acheminer jusqu’ici. Sans les ponts, ils seront obligés de démonter leurs tours et leurs bombardes pour les transporter par le sentier peu praticable et ensuite de les reconstruire devant la citadelle. C’est pour cela que ce sera long.

Je tombai des nues.

- C’est diabolique, m’exclamai-je.

- Je te rappelle qu’on est chez des sorciers. Chez nous aussi les guerres ne sont jamais loyales. Placer des bombes dans des écoles ou des magasins, ou bombarder des villes ne me semble pas faire preuve de plus d’humanité. C’est toujours le plus rusé qui gagne. Regarde ce qui se passe sur la terre, seuls, les plus sanguinaires, les plus barbares agrandissent leurs zones d’influences. Oréade n’avait pas envisagé une telle éventualité, ma petite intervention l’a comblée de joie. Autrefois c’était les sorciers comme Merlin qui conseillaient les rois, ici, c’est un adolescent qui conseille une sorcière. Le monde sous Terre est à l’envers du monde de la surface.

- Félicitations ! Tu montes dans son estime.

- En effet. Malheureusement cela ne nous arrange pas.

- Ah ? Et pourquoi ?

- Pendant les combats qui risquent de durer longtemps, elle exige ma présence à ses côtés. Tu vois, les choses ne s’arrangent pas pour nous. Dès que je ferai un pas de côté elle enverra de suite du monde me récupérer.

Déjà rongée par mes angoisses générées par les faibles chances de réussir notre évasion, les derniers propos de Robert déclenchèrent en moi, une vague de désespoir. Je m’écroulai secouée de sanglots. Tous ces événements avaient lentement mais sûrement désagrégés mes capacités de résistance.

- C’est bien ce que je pensais, jamais nous ne partirons d’ici.

Robert me ceintura les épaules pour me redresser.

- J’ai quand même obtenu de faire partie du groupe qui fera sauter le pont sur la route de Méléagre. Mario m’accompagnera. Ensuite, je dois diriger les officiers qui placeront leurs hommes sur les crêtes surplombant le sentier. Dès que le pont sera détruit, Mario et moi nous en profiterons pour foncer au bateau. C’est notre seul créneau. Pendant ce temps, il faut à tout prix que Pierrot découvre un souterrain ou une autre possibilité de sortir de la citadelle. Vous nous attendrez au bord de l’eau et nous viendrons vous chercher. Qu’en penses-tu ?

- Nos chances sont très maigres, mais nous devons tout tenter. C’est d’accord, lui dis-je.

Pendant que nous bavardions Jeanne et Mario attirés par nos voix nous avaient rejoints. Ils nous écoutaient sur le pas de la porte.

- Je trouve ton projet bien hasardeux, fit Mario en secouant la tête. Tous les deux, nous avons peut être une chance de leur fausser compagnie dans la panique de l’attaque, mais eux ils ont peu de chance de réussir à quitter la citadelle. Nous n’avons toujours pas découvert de passage secret et Pierrot n’est toujours pas revenu.

- Pour l’instant, je ne vois aucune autre solution. C’est notre seule chance Mario. Dans 48 heures les troupes de Méléagre encercleront le château. Nous serons bloqués ici et alors tout espoir pour nous sera définitivement perdu.

- Malgré la destruction du pont ? demanda Jeanne.

- On freinera l’arrivée du gros de la troupe et du matériel lourd, mais les fantassins passeront avec un jour de retard au maximum. Peut-être seulement une demie journée de retard pour les avants garde. Dés lors, on ne pourra plus sortir.

- Ils vont vite s’apercevoir que nous leur avons faussé compagnie, tout au moins nous deux, répliqua Mario.

- On a une fourchette. Les soldats sur les crêtes penseront que nous sommes en train de faire sauter le pont de la route Ouest et ceux sur ce pont penseront que nous sommes sur les crêtes. A mon avis, on a plusieurs heures. C’est lorsque Oréade ne nous verra pas, tous les deux revenir avec les commandos qu’elle déclenchera les recherches. A cet instant, les trois autres restés ici, devront avoir quitté le château. Si vous ne découvrez pas de souterrain, n’oubliez pas que nous avons des cordes dans nos sacs, il faudra franchir les murs de ce côté, puisque nous sommes à l’arrière de la citadelle, l’endroit le moins surveillé. Vous devrez vous échapper en direction du lac en vous cachant bien. La falaise me semble très à pic, mais vous êtes tous des montagnards expérimentés. En assurant bien vos cordées vous réussirez à passer. Les soldats eux vont se masser, à l’opposé, c’est à dire au Sud, face aux assaillants.

- C’est bon, acquiesça Mario, Tu as raison, je ne vois pas d’autres solutions.

Pierrot n’était toujours pas de retour. Je me refusais à penser qu’il lui était arrivé quelque chose. Nous n’en parlions pas mais étions tous très inquiets. Personne n’abordait ce sujet de peur de paniquer les autres vraisemblablement.

- Ah ! surtout n’oublie pas les lampes à carbure, me rappela Robert.

- Pierrot les a prises, il projetait d’en laisser une dans le cachot pour nous. Il pensait qu’il était plus facile de les transporter en cachette maintenant que lorsqu’il nous faudra fuir.

Nous avions tous besoin de repos et avons regagné nos chambres. Personne ne dormit évidemment. Submergée par tant de sentiments contradictoires je ne savais plus où j’en étais. La peur, l’émotion, l’excitation et la forte tension, engendrées par ce qui allait se passer dans ces prochaines heures où nous allions jouer nos destins. Avec malgré tout, ce petit espoir, ce faible espoir. Je m’accrochais à ce minuscule roseau, le corps suspendu dans le vide.

Nous terminions notre déjeuner lorsque Castagne fit son apparition.

En silence les deux garçons endossèrent leurs sacs qu’ils avaient soigneusement préparés. Puis nous nous sommes étreints longuement. Jeanne et moi ne pouvions contenir nos larmes, nous étions tant émus que nous restions silencieux tous les quatre. Nous les avons accompagnés jusqu’aux portes de la citadelle où 200 soldats en tenue de guerre les attendaient. Un dernier adieu et les portes de la citadelle se sont refermées. J’aperçus Oréade à une fenêtre qui assistait au départ de ce petit détachement. Lorsqu’ils eurent franchi la grande porte, Castagne se dirigea vers le palais, certainement pour la rejoindre. Ouf ! Je redoutais qu’il ne reste avec nous. Pour l’instant personne se semblait s’intéresser aux deux filles bouleversées par le départ de leurs amis. L’air désœuvrées et contrites, nous nous sommes avancées près des murs du palais afin d’échapper à la vue des fenêtres. Ce secteur semblait calme, personne dans ces parages. Nous en avons alors profité pour nous engouffrer dans le couloir. Notre fuite démarrait ici. Où finirait-elle ? contre un mur ? Au fond d’une oubliette ? Notre rage d’évasion nous poussait. Personne dans le couloir. Nous avons dévalé les escaliers, récupéré nos sacs et la lampe. On aurait dit deux folles en cavale. Très vite, nous avons atteint le fond de la grande salle enterrée, près du départ éventuel du tunnel dont les coordonnées restaient gravées dans ma tête. Je m’attendais à y trouver une ouverture faite pas Pierrot. Rien ! J’ai allumé ma lampe à acétylène et tâté les pierres. En bas à gauche, une grosse pierre bougea. Sans aucun doute, il s’agissait d’une pierre descellée. Je compris aussitôt la tactique de Pierrot. Il l’avait remise en place pour ne pas attirer l’attention, sachant très bien que moi, connaissant parfaitement le coin, je la découvrirais. Puis, très certainement il était parti en reconnaissance en nous attendant quelque part …. peut-être au fond d’une oubliette. Je chassais aussitôt cette pensée lugubre de ma tête, déjà suffisamment pleine, prête à éclater. C’était maintenant ou jamais ! Jeanne et moi nous sommes faufilées par cette minuscule ouverture. Nous avons bien essayé de remettre la pierre en place, mais sans succès tant nous étions fébriles. Impossible de la remettre telle que Pierrot l’avait placée, elle restait légèrement en biais. Tant pis ! Le temps pressait nous devions partir. Nous étions dans un tunnel, large, bien carrossé où nous pouvions avancer sans nous courber. Nous marchions d’un bon pas, attentives aux moindres détails, redoutant des pièges, comme c’est souvent le cas dans des souterrains. Je constatai avec plaisir qu’il descendait en pente douce, un bon signe puisqu’ ainsi, il se rapprochait du niveau de l’eau. Quoique j’estimais que nous en étions encore bien loin. Nous avons parcouru une bonne distance avant que ne survienne le premier problème. Le tunnel se séparait en deux. L’un certainement bon, l’autre piégé où alors partant dans une mauvaise direction. Et pire encore l’énorme de risque de louper Pierrot en nous égarant. Obliger les autres à nous chercher annihilerait toutes nos chances de fuite. Sans trop savoir ce que nous faisions, nous inspections les abords, moi avec ma lampe à acétylène Jeanne avec sa lampe de poche qu’elle avait allumée. Nous étions perplexes, embarrassées, lorsque soudain Jeanne m’appela.

- Anaïs ! Viens voir.

Elle me désigna quelque chose sur la paroi, à auteur des yeux, qu’elle tenait sous le rayon de sa lampe. J’examinais la chose. On aurait dit une flèche, tracée avec une pierre plus claire qui laissait des traces sur les parois.

- Les traces sont fraîches. Ce ne peut-être que Pierrot qui les a faites.

Nous sommes tombées dans les bras l’une de l’autre. Pierrot était vivant et nous précédait. Ce petit signe confirmait son passage. Seul, loin devant nous dans ces longs couloirs sombres sous terre, il endossait tous les risques. " Sacré Pierrot murmurai-je. Nos garçons sont vraiment des types bien ". Sans hésiter nous avons suivi la flèche en accélérant le pas. Plusieurs bifurcations surgissaient de temps à autre et toujours une flèche nous indiquait le chemin. Maintenant, je comprenais pourquoi Pierrot était si long. Depuis des heures, il cherchait le bon chemin. Cette reconnaissance en avait exigé des pas, des allers et retours, des recherches. Maintenant, je ne pouvais imaginer comment en si peu de temps, quoique le temps nous ait paru très long, il avait réussi à explorer tous ces souterrains. Oubliant notre fatigue nous accélérions encore l’allure. Ce souterrain n’en finissait pas. Où nous tournions en rond ou alors nous étions loi de la citadelle. Je me suis soudain arrêtée. Il me semblait avoir entendu un bruit. Jeanne aussi. Nous sommes restées immobiles, effrayées. Le bruit se renouvela. Nous nous sommes enterrées dans un trou de souris : " Coucou ! Coucou !". Devant nous la lumière d’une lampe de poche perça les ténèbres. Elle avançait sur nous.

- Pierrot ! Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre, puis je me dégageais, pour laisser Jeanne seule avec lui n’ignorant pas l’attirance qu’ils avaient l’un pour l’autre.

- Vous avez été longs, finit-il par dire. Je partais à votre recherche. Et les autres ?

- Ils sont partis il y a plusieurs heures.

- Ca veut dire que nous avons encore de longues heures à attendre. Je ne savais plus ce que je devais faire. Je m’apprêtais à retourner dans l’appartement car mon absence prolongée risquait d’éveiller des soupçons.

Nous l’avons mis au courant des dernières nouvelles et de l’éminence de l’attaque.

- Ouf ! fit-il en poussant un long soupir. Je commençais à penser que j’avais fait une connerie en partant si vite. J’étais tellement omnibulé par la découverte du souterrain que j’ai négligé les précautions indispensables. Si Méléagre attaque de suite, ça nous arrange. On a plus besoin de retourner à la citadelle. On va attendre sagement près du lac.

- On est loin de la sortie ?

- Non, à 300 mètres. Il y a un petit sentier qui descend vers l’eau. Pour nous tout va bien. Reste à savoir si eux réussiront à s’échapper et à récupérer la barque avant qu’Oréade ne découvre le pot aux roses. Maintenant mesdemoiselles, par ici la sortie, fit-il en pointant son bras devant lui.

D’habitude la sortie d’un tunnel s’annonce par une lumière loin devant mais ici, pas de lumière. Nous avons abouti contre un mur fait d’un gros rocher. Robert se pencha sur le côté, appuya sur une grosse pierre plate et le mur pivota.

- Si ces dames veulent bien se permettre, nous invita-t-il en faisant une courbette agrémentée d’un geste engageant. Surtout ne vous avancez pas à découvert, restez cachées dans les rochers. On ne sait jamais, une paire d’yeux indiscrète pourrait nous causer des ennuis.

Nous avons choisi un abri contre la falaise, bien caché entre des rochers. A 100 mètres sous nous, l’eau étalait sa plate immensité dans un calme envoûtant plein de mystères. Je sortis de mon sac deux galettes que je tendis à Pierrot qui n’avait pas déjeuné. Il me remercia et avala vite fait les deux galettes.

- Maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Jeanne.

- Rien ! On attend !

- Dis-moi, Pierrot, comment avec tous ces souterrains tu as aussi vite découvert lequel était le bon, tu n’as pu tous les explorer ?

- Pour la forme je n’ai parcouru que leur début et ensuite, j’ai toujours choisi celui qui partait le plus au Nord. La boussole ma petite Anaïs, répondit-il en la brandissant.

- Maintenant, on ne fait pas une petite reconnaissance des lieux ?

- Non ! Nous devons rester cachés. Plus tard, j’irai faire un tour, mais moi seul. Je ne sais pas vous, mais moi, je suis crevé. Nous avons des heures d’attente devant nous, un petit somme nous fera du bien.

- Reposez-vous tous deux, proposai-je. Moi, je veille.

Jeanne s’allongea près de Pierrot qui bien vite s’endormit. Un instant, je les regardai tous les deux en pensant : " Si nous regagnons un jour la surface, je crois que dans quelques années on les mariera tous les deux. Ils font un couple charmant ".

Pierrot dormit plusieurs heures, puis ce fut mon tour. Lorsque je m’éveillai je vis Jeanne aux aguets entre les rochers.

- Ca fait deux heures que Pierrot est parti et il n’est pas encore revenu, me dit-elle inquiète.

- Oh, tu le connais, il est allé un peu plus loin qu’il n’avait prévu. Ne t’inquiète pas trop, il est très prudent, et puis, dans les rochers il est plus leste qu’un chamois.

Il ne revint qu’une heure plus tard. Je remarquai sa façon féline de se déplacer et le soin qu’il prenait à se cacher.

- Rien d’anormal ? lui demandai-je, un peu d’inquiétude dans la voix.

- Si ! Justement. Je suis allé jusqu’à la partie Nord, sur la côte où nous sommes arrivés. J’ai vu des patrouilles qui surveillent le bord de l’eau. Robert n’avait pas parlé de soldats dans ce secteur. C’est bizarre, ils ne sont pas habillés comme ceux d’Oréade.

- Tu crois que ce serait des soldats de Méléagre ?

- Oui, j’en ai bien peur. Tout comme Oréade a envoyé des espions autour de leurs châteaux, je crois bien qu’eux aussi ont envoyé des patrouilles. Je pense qu’ils viennent inspecteur l’arrière de la citadelle pour voir s’il n’y aurait pas une faille dans sa défense de ce côté. Méléagre n’est pas un imbécile.

- Ils seront bientôt ici ?

- Ils progressent lentement en se cachant. Reste à savoir dans combien de temps Robert et Mario vont arriver. Pourvu qu’ils n’arrivent pas trop tard. J’ai vu parmi eux des archers.

- Ils sont nombreux ?

- Beaucoup trop pour nous trois, une cinquantaine, répartis en plusieurs groupes.

Nous avons scruté la surface de l’eau à la recherche d’une barque qui n’arrivait toujours pas. Pour l’instant, nous avions déjoué les plans d’Oréade, mais un autre ennemi nous tombait dessus.

- Regardez ! cria soudain Jeanne en étouffant sa voix.

Elle désignait un petit point qui surgissait au loin parmi les rochers séparant la côte Nord de la côte Est. Nos amis avaient certainement découvert un passage parmi les rochers. Ils piquaient sur la côte, vers nous.

- Allez-y les filles, nous cria Pierrot. Je vais faire un feu pour leur signaler notre présence.

Nous nous sommes élancées sur le sentier qui dévalait vers l’eau, pendant que Pierrot mettait le feu au tas de bois qu’il avait préparé et auquel il avait ajouté des pastilles de carbure pour dégager de la fumée.

Une flèche ricocha sur le rocher tout près de moi, puis une autre. Je me retournai et vis des têtes qui surgissaient des rochers derrière nous. Puis j’entendis une explosion. Pierrot s’était arrêté et avait jeté une grenade sur les assaillants.

- Allez ! Foncez ! hurlait-il. Je vais les calmer.

J’entendis une deuxième explosion. Maintenant, j’étais tout près de l’eau, je me retournai anxieuse. Les têtes avaient disparues et Pierrot surgissait comme une fusée.

- Jetez vos sacs et nagez vers la barque.

C’est ce que nous fîmes alors que Robert et Mario souquaient ferme. Derrière nous des têtes surgissaient de partout. Nous avons rejoint la barque qui, à notre approche virait sous les impulsions de Mario pendant que Robert relevait les panneaux pour nous protéger des flèches qui recommençaient à pleuvoir sur nous.

Des hommes couraient sur la pointe rocheuse qui s’avançait dans le lac pour nous intercepter en nous criblant généreusement. Une salve de flèches enflammées s’abattit sur nous et les panneaux commencèrent à brûler. Hébétée je subissais cette attaque sans réagir. Nous ne pouvions lutter contre l’incendie sans nous découvrir. Les archers nous auraient transpercés. Devant moi, j’apercevais un banc de brume qui s’avançait vers nous. Aussitôt, je pensais à la brume qui protégeait l’île à notre arrivée et où les sortilèges d’Oréade nous avaient piégés. Etait-ce de nouveau une manifestation d’Oréade pour nous récupérer. Mais cette brume me semblait différente. Elle n’avait pas la densité épaisse des brouillards provoqués par l’humidité, elle semblait plus légère, presque irréelle. Impalpable. Mystérieuse. Elle arrivait sur notre gauche en longeant la côte. Pourtant, j’avais déjà vu ce type de brume. Mes yeux se rivaient sur elle, dans l’attente de l’apparition d’un nouveau sortilège.

L’esquisse d’une tâche se forma en son centre, puis la tâche s’affirma progressivement, dévoilant lentement ses contours. Il me sembla deviner une coque et des voiles.

- Le bateau fantôme, murmurai-je.

Mes amis, eux aussi sidérés regardaient venir sur nous ce vestige d’un passé mystique. L’ectoplasme d’un bateau de légendes condamné à errer jusqu’à la fin des temps. L’eau avait pénétré dans notre réserve de carburant et déjà un nuage d’acétylène se répandait autour de nous.

Le bateau fantôme avançant entre la côte et nous, nous protégeait des flèches. Ou alors les assaillants avaient fui en apercevant cette ombre fantomatique qui réveillait en eux leur terreur de l’eau, car la pluie de flèches avait cessé.

- Tout le monde à l’eau ! cria Robert. Droit sur le fantôme.

Nous avons nagé sur lui, nous attendant à le voir disparaître tout comme il était apparu. Nous nagions ferme dans sa direction sans trop savoir l’issue de cette tentative désespérée. Il semblait avoir ralenti son allure. Une échelle de corde traînait derrière lui. Je l’attrapai surprise de ne pas la voir s’évaporer au contact de mes doigts.

- Il y a une échelle ! criai-je en enjambant ses barreaux qui semblaient fuir sous mes pieds.

Mes amis me suivaient tout aussi sidérés que moi.

Et nous voici, tous les cinq, sur le pont du vaisseau fantôme, éberlués, n’en croyant pas nos yeux.

- Je rêve, je rêve, ne cessait de répéter Mario. Qui veut bien me foutre une bonne claque pour me réveiller.

- Eh bien moi, je préfère être ici qu’avec ce porc de Xilias, s’exclama Jeanne.

- Moi aussi, approuvai-je.

- Peut-être qu’Oréade va le faire accoster, gémit Jeanne.

Où que nous allions, au fil de nos péripéties, l’angoisse ne nous lâchait jamais, les mauvaises surprises aussi.

- Oh ! Je ne crois pas. Le vaisseau appartient à un autre mystère, un autre domaine mystique, contre lequel Oréade ne peut rien, expliqua Robert.

- Alors, nous allons être condamnés à errer jusqu’à la fin du monde sur cet engin.

- J’en sais rien, soupira Robert. Attendons.

Je ne sais si cette brume en était la cause mais j’entendis les dernières paroles de Robert comme venues d’un lointain horizon fait de résonances irréelles. Je sentis ma tête tourner, mes jambes devenir molles et je m’écroulai d’une seule masse.

 

21.

Dans ma tête défilait un ciel nuageux, je flottais dans les airs, bercée par une houle. Un ronronnement rappelant celui d’un moteur, toujours accompagné de ce roulement comme celui d’un bateau naviguant sur la mer. L’air marin me transportait dans un autre monde. Je sortais lentement des vapeurs hypnotiques de mon sommeil. Tout me semblait diffus, confus, embrumé. Je percevais des murmures, j’entendais des sons qui m’emportaient dans une errance au delà du réel. Bizarres sensations qui apparaissaient et disparaissaient, comme une vie qui s’arrête et repart et où la notion de temps n’existe plus. Il m’a semblé un instant que j’approchais du réel que mon corps inconscient cherchait à revenir et c’est alors que j’entendis une voix familière dire.

- Ils peuvent pas parler français comme tout le monde.

J‘ouvris les yeux. Nous étions tous les cinq allongés sur des matelas et autour de nous plusieurs têtes nous dévisageaient avec des yeux grands ouverts de merlans frits.

- Ils parlent anglais, murmurai-je à Mario. A l’école au lieu d’apprendre l’italien tu aurais mieux fait d’apprendre l’anglais.

J’entendais des voix, puis elles s’estompaient, disparaissaient. Je prononçais des mots, puis il m’était impossible d’ouvrir la bouche. Je vivais par intermittences de petites périodes, comme les premiers instants d’une personne sortant d’une anesthésie. Puis tout disparaissait de nouveau.

- Vous êtes français ? me demanda l’homme au visage rond fleuri d’une barbe broussailleuse.

- Oui.

- Que faites-vous là ? On vous a repêchés tous les cinq accrochés à une poutre en bois.

- Où sommes nous ?

- Au large des côtes d’Afrique du Sud, me répondit un grand noir au sourire ouvert sur de grandes dents blanches. Votre bateau à coulé ? Vous étiez sur quel bateau ? Y avait-il beaucoup de monde à bord ?

- Le vaisseau fantôme, murmura Mario qui avait quand même compris cette question en anglais.

Le groupe partit d’un grand rire.

- Oh ! Ils ne vont pas si mal que ça puisqu’ils ont le courage de plaisanter, fit l’un d’eux.

Robert qui reprenait ses esprits se tenait la tête entre les mains.

- L’Afrique du Sud, s’exclama Jeanne. Dieu soit loué nous avons retrouvé la surface.

Et elle éclata en sanglots.

- Laissons les se reposer, dit celui qui paraissait être le responsable, je crois qu’ils sont fatigués. Ils ont certainement vécu une dure épreuve et ils ont besoin de récupérer. Leur bateau a dû faire naufrage loin d’ici puisqu’on ne nous a pas signalé de bateau en difficultés.

- J’aimerais quand même bien comprendre comment cinq jeunes gens sans connaissance ont pu survivre en mer en restant accrochés à une poutre.

- Patience, on le saura plus tard quand ils auront émergé.

Nous approchions d’un port. J’entendis le vacarme de plusieurs hélicoptères qui passèrent au dessus de nous et se dirigeaient vers la mer, certainement pour entreprendre des recherches. D’autres bateaux croisaient le chalutier qui nous avait repêché en le saluant de plusieurs coups de cornes. Une corvette de la police nous accosta et plusieurs officiers montèrent à bord. Leur capitaine, un jeune homme élégant dans sa tenue d’officier de marine nous demanda tout d’abord le nom du bateau qui nous transportait, combien nous étions à bord, d’où nous venions.

C’est Robert qui se chargea de la réponse.

- Il nous est impossible de vous répondre sur ce point car nous ne le savons pas. Par contre nous pouvons vous communiquer nos identités afin que vous puissiez rassurer nos familles.

- De suite, approuva-t-il. Je vous écoute.

Nous avons communiqué nos identités et coordonnées à l’officier qui transcrivait nos paroles sur son calepin, tandis que l’autre transmettait les informations par radio. Les pêcheurs nous servirent du thé et des biscuits. Nous n’avions pas terminé notre petite collation que le second officier plongeait sur son supérieur.

- Nous avons tous les renseignements. Ce sont les cinq petits français qui ont disparu dans des conditions mystérieuses il y a 3 semaines. Les autorités françaises avertissent leurs familles.

- Ca par exemple ! C’est vrai, tout le monde en a parlé. Comment ont-ils pu atterrir ici ?

En entendant cette bonne nouvelle je ne pus m’empêcher d’éclater en sanglots, des sanglots de joie. Je commençais à réaliser. Nous étions sauvés. Par quel miracle ? Mystère ! Comment un tel miracle a-t-il pu se réaliser ? Depuis l’île des sorciers dans les entrailles de la terre, comment avons nous pu surgir ici au large de l’Afrique du Sud. Une image passa devant mes yeux, une brume épaisse et le vaisseau fantôme. L’échelle qui pendait derrière. Le bateau du capitaine hollandais faisant parfois des apparitions prés du Cap, exactement là où il défia Dieu un jour de tempête. Comment expliquer que nous avons été sauvés par le vaisseau fantôme ? Qui nous croira ? On risque tout simplement de se faire enfermer dans un hôpital psychiatrique. De toutes façons notre aventure est trop extraordinaire pour qu’on puisse en parler et de plus, nous n’avions pas l’intention de révéler l’existence des nains sous nos pieds.

Le chalutier pénétrait dans la Baie de la Table, (Table Bay) et se dirigeait sur le port, non pas à l’emplacement réservé aux bateaux de pêche mais sur le quai central déjà noir de monde. C’était comme un interminable bourdonnement de nouvelles autour de nous. Les journalistes affluaient de la ville. Le consul de France était en route pour nous recevoir. Nous aurions préféré une arrivée plus discrète, mais nous étions tellement heureux de nous retrouver sur terre que nous contemplions cette foule de curieux avec beaucoup de sympathie. Robert se traîna vers moi et me serra dans ses bras. Nous étions tous tellement heureux. Les marins qui nous avaient repêchés eux aussi, mais pas autant que nous. Personne sur Terre ne pouvaient être aussi heureux que nous. Nous pleurions à chaudes larmes. L’officier me prit par le bras pour m’aider à descendre. D’autres marins assistaient mes amis.

- On va vous diriger sur un hôpital pour vérifier votre état de santé, ensuite on vous mettra dans le premier avion. Si avant de partir vous pouviez nous raconter comment vous êtes arrivés ici, j’en serais très heureux, me supplia l’officier.

- Nous ne le savons pas, lui dis-je, bien que j’aurais tant aimé lui dire la vérité. Malheureusement, comment des gens sensés, normaux, ne mettraient-il pas en doute notre bonne foi en écoutant le récit de notre Odyssée extraordinaire ? Notre histoire n’était pas crédible. Galilée fut condamné pour avoir dit un peu trop tôt que la terre était ronde.

Mario avait déjà essayé de raconter que nous avions été enlevés par des extra-terrestres, mais il semble que sa version passait mal. Plusieurs ambulances nous attendaient et les policiers avaient grand mal à nous frayer un passage parmi les curieux et les journalistes qui nous bombardaient de questions auxquelles nous ne répondions pas et ne pouvions répondre tant elles arrivaient nombreuses dans un brouhaha indescriptible.

Enfin ! L’arrivée à l’hôpital nous apporta un peu de calme. Nous fûmes reçus par le directeur en personne.

- C’est bien ! fit-il, je vois que vous n’êtes pas en trop mauvais état. Nous allons néanmoins procéder à quelques petits examens de routine. Avant de commencer, que désirez-vous ?

- Manger ! s’exclama Mario.

- D’accord. Que désirez-vous ?

- Des huîtres, du poisson, du fromage.

- On vous sert de suite dans notre salle d’accueil. Je fais le nécessaire.

Plusieurs caméras étaient déjà installées ainsi que des micros mais les questions étaient interdites aux journalistes tenus à distance à notre demande.

Je fus la première à avoir mon père au téléphone. Je le soupçonne d’avoir usé de ses prérogatives de divisionnaire pour m’obtenir au bout du fil, aussi vite. Il me parlait de sa voix douce. Je ne sais ce qu’il me disait car mon attention se fixait sur le son de sa voix plus que sur le sens des paroles. C’était comme un agréable bourdonnement qui enchantait mon ouïe. Puis ce fut ma mère débordante de joie et qui elle aussi pleurait.

A l’hôpital on nous déclara tous en bonne santé, malgré une tension très basse qui d’après le docteur se rétablirait vite après un petit repos.

Tout se passa très vite. Le consul de France avait réservé une partie des premières classes dans l’avion. Il nous accompagnait ainsi que l’officier de marine et le capitaine du chalutier qui pour la première fois prenait l’avion. Quelques journalistes étaient aussi du voyage autorisés à nous filmer mais interdits d’interviews.

Une escale à Abidjan, une autre à Nice où nous avons changé d’avion et nous voici chez nous sur le petit aérodrome de Saint Etienne de Saint Geoirs, plein à craquer. Nos parents, nos amis, le maire de Renage, des curieux et des journalistes.

Nos parents avaient accordé quelques minutes à la presse qui nous attendait dans la salle d’honneur de l’aéroport.

L’histoire de Mario avait plu à Robert et c’est donc ce farfelu qui raconta aux journalistes comment des extra-terrestres nous avaient enlevés en plein jour à Beaucroissant, nous avaient conduits dans un lieu secret où nous avions vraisemblablement servi de cobayes, c’est tout au moins, ce que nous avions supposé, car nous ne nous souvenions de plus rien.

Son histoire n’eut pas plus de succès que celle de Mario au Cap, mais nous restions sur cette version. Je vis un journaliste parler en cati-mini avec un cameraman qui aussitôt pointa son appareil sur moi où il fit un gros plan. Je pâlis en apercevant sur l’écran de contrôle le superbe collier que m’avait offert la reine des Illiques et que j’avais récupéré dans mon sac avant notre évasion. Il s’approcha de moi, vivement intéressé, passa sa main entre ma peau et le collier.

- Vous avez là un superbe collier mademoiselle. Il est magnifique, les pierres précieuses semblent authentiques. Ce sont les extra-terrestres qui vous l’ont offert ?

Je n’avais encore jamais vu un regard aussi méchant sur le visage de mon père.

J’ôtai le collier de mon cou et le tendis au journaliste.

- Puisqu’il vous intéresse, je vous charge de le remettre au musée de Grenoble. Il s’agit d’une pièce authentique en effet.

Furieux, mon père se leva et interrompit la séance.

- Vous comprendrez mesdames et messieurs qu’il nous tarde, nous les parents qui avons tant souffert de la disparition de nos enfants de nous retrouver enfin réunis chez nous. Cet interview tourne à l’interrogatoire sur des enfants fatigués. Ils ont besoin de repos. Nous transmettrons dès demain à la presse un compte rendu précis des événements tragiques que nos enfants ont vécu. Merci de votre compréhension.

Un des inspecteurs de police de Grenoble, le capitaine Marini, après m’avoir longuement serré dans ses bras, des larmes dans les yeux, prit le volant.

Dans la voiture qui nous conduisait chez nous à Renage, notre domicile, bien que mon père était divisionnaire à Grenoble et ma mère, correspondante d’un grand journal, aux Etats Unis, où elle résidait. Papa se pencha vers moi et me glissa à l’oreille.

- J’espère qu’à ton père tu lui diras toute la vérité. Tu ne m’as jamais rien caché.

- Bien sûr papa, mais tu seras alors détenteur d’un lourd secret que tu n’auras pas le droit de divulguer.

- C’est juré ma chérie ! Parole de flic !

- Et moi ? demanda maman.

- Si je révèle un secret à mon père je le révèlerai aussi à ma mère. Mais attendez-vous à entendre une histoire encore plus extraordinaire que celle des extra-terrestres que Robert a racontée en reprenant les divagations de Mario.

- Méfie toi Anaïs, ta mère est journaliste, elle ne pourra résister à un tel scoop.

- Certainement pas ! Comment oses-tu dire de telles  horreurs ! Ma fille est mon bien le plus sacré, je respecterai son secret. Elle passe avant mon métier et mes ambitions.

Elle me serra si fort dans ses bras que j’en eus le souffle coupé, sous les yeux attendris de papa.

Le soir, pendant le repas, je fis un petit résumé de notre aventure à mes parents.

Ils m’écoutèrent en silence ainsi que le capitaine Marini qu’ils avaient gardé avec nous. Ils ne posèrent aucune question, m’écoutant tout en respectant mes silences. L’évocation de ces périlleuses aventures me replongeaient dans mes anciennes terreurs. Je ne pus terminer mon récit et ressentis un impérieux besoin de sortir, goûter à la fraîcheur de la nuit qui tombait. Voir des étoiles briller dans le ciel.

Je ne sais pourquoi, mes yeux se tournèrent là bas, au pied de la montagne où vit dans une grotte, la grotte de Sassenage, la plus prestigieuse des fées. Je me surpris à murmurer :

- Merci Mélusine. Merci de nous avoir sauvés. Je sais que c’est toi.

Je sentis le bras affectueux de mon père se poser sur mes épaules et je l’entendis me dire.

- Cette histoire restera notre secret. Viens rentrons. Tu as besoin de repos.

 

Fin

 

Vincent Patria Echirolles le 25 Mars 2003

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