CHAPITRE 5

LE ROYAUME DES SORCIERS

15.

Les Mious-Mious s’étaient massés sur les rochers pour nous regarder partir. Je n’avais pas le cœur à répondre à leurs gestes d’adieu tant j’étais angoissée. Nous quittions le port et avancions prudemment dans la baie en direction de la passe. Nous avions tous en mémoire la terrible attaque des 2 monstres à notre arrivée dans ces lieux. Il s’en était fallu de si peu que nous ne finissions en charpies, pulvérisés par ces deux animaux antédiluviens. Qu’un des deux garçons manque la gueule de l’un d’eux et s’en était fini de nous. Les mêmes pensées hantaient nos esprits. Peut-être existaient-ils d’autres anguilles géantes et d’autres monstres dans ces eaux maléfiques.

Nous arrivions à la passe. Mario et Pierrot ramaient lentement. Robert, perché sur un banc, plusieurs grenades placées devant lui, scrutait les eaux. Je tenais un seau de carbure serré entre mes jambes alors qu’à mes côtés Jeanne veillait sur les gourdes d’eau destinées à amorcer les grenades. Nous étions dans la passe. Tout semblait calme. Je me retournai et lançai un dernier au-revoir aux Mious-Mious qui continuaient à agiter leurs bras décharnés. La barque bifurqua sur la droite en direction de l’Est. En quelques coups de rames, la baie et nos amis disparurent, cachés par les rochers. De nouveau ce terrible sentiment de solitude qui me serrait la gorge, provoqué par la conscience de la fragilité de notre petit groupe, isolé, en totale perdition, emporté comme un fétu de paille dans l’ouragan tumultueux où nous avions sombré. En somme, ces deux jours de repos dans cette baie nous fut salutaire. Si ce n’étaient en ce moment, nos visages crispés par l’angoisse, dans l’ensemble, nous avions tous meilleure mine. Nous disposions maintenant d’un important stock d’eau fraîche et de nourriture. Par contre, quoique nous possédions encore une bonne provision de carbure, notre stock de petits pots de grenades avait sérieusement fondu. Jeanne restait silencieuse, moi je n’éprouvais pas le besoin de parler. Nous naviguions dans un silence pesant.

Un peu plus tard, Robert descendit de son perchoir et vint nous rejoindre.

- Tout va bien les filles. On est sur le chemin du retour, on va s’en sortir.

Jeanne peu convaincue fit la grimace sans répondre. Quant à moi, je n’étais pas dupe. Robert essayait de nous remonter le moral. En réalité nous poursuivions notre route vers l’inconnu et vers de nouveaux dangers. Je me remémorais les paroles de Hug qui parlait d’un monde peuplé de sorciers démoniaques. J’évitais d’en parler en présence de Jeanne, car, contre les sorciers, nous étions totalement désarmés. Nos grenades ne peuvent nous protéger des maléfices. Notre seule chance sera de franchir leur domaine sans se faire remarquer. Mais, ça, c’est une autre histoire. Peut-être, savent-ils déjà que nous nous dirigeons vers eux et préparent-ils notre accueil.

Robert posa ses deux mains sur ses genoux et se tourna vers moi.

- Dis-moi, Anaïs, tu m’as dit que ton père savait que nous étions en bonne santé mais que nous ne maîtrisions pas notre destin. J’aimerais savoir comment tu t’y es prise ?

- C’était très simple, lui fis-je en souriant, heureuse qu’il n’ait pas trouvé la solution. Comme tu le sais, ma mère est, ou était à ce moment là aux Etats Unis. Sur le message remis à Mélusine, je me suis adressée à ma mère.

Robert émit un petit sifflement admiratif.

- Futée ! Très futée ! Tu es bien la fille d’un commissaire. Fin limier, il a dû comprendre de suite. Malheureusement, ils ne nous retrouveront jamais. Les nains ont certainement bloqué les passages et tout le monde ignore cet Univers sous leurs pieds. En définitive, tu n’as fait qu’augmenter leurs inquiétudes.

- Oui, je sais, je n’aurais pas dû.

- Tu as cru bien faire. Chez les nains, il leur restait une possibilité de nous retrouver mais ici, je ne crois pas. Nous ne pouvons absolument pas compter sur une aide extérieure, il ne faut compter que sur nous. Pourtant, je suis convaincu que nous nous en sortirons, si nous ne perdons pas confiance.

Nous avons reprit le rythme précédant notre arrivée à la baie. Deux aux rames, deux qui se reposent, un qui veille. C’est avec plaisir que je pris à mon tour les rames. Jeanne insista pour prendre la deuxième paire. Cet exercice ne pouvait que lui faire du bien.

- Inutile de vous éreinter les filles, nous conseilla Robert, le principal est d’avancer. Allez à votre rythme.

Nous atteignions les limites de l’île. Devant nous, une immense étendue d’eau sans aucune terre ou rochers se prolongeait jusqu’à l’horizon, hormis l’île que nous venions de quitter et qui ici se terminait en pointe, comme une lance fendant l’eau. Il faut dire qu’ici, peut-être à cause de la faible luminosité, l’horizon n’atteignait pas les distances que nous lui connaissions à la surface. Tout était calme, sinistrement silencieux. A noter, un seul point positif précisément offert par la luminosité qui avait sensiblement augmentée. Nous piquions vers l’Est tout étonnés de ne rencontrer aucuns problèmes. Je vis devant la barque plusieurs poissons sauter, signe encourageant venant s’ajouter à la luminosité légèrement croissante. Pierrot et Mario dormaient, l’un dans la cabine à l’avant, l’autre dans celle à l’arrière. Robert faisait le guet. Je pensais aux derniers propos de Robert. J’avais noté dans le ton de ses paroles un manque de conviction qu’il essayait en vain de cacher. Malgré moi, je revivais les propos idiots que l’on a coutume de tenir aux familles endeuillées lors d’un décès : "  le pauvre a maintenant cessé de souffrir. Il a retrouvé la paix et le repos .. etc.. ". Que ne dit-on pas de bêtises quand le sort frappe vos proches ou vos amis ! Oui ! Nous étions sur le chemin du retour. Nous ne savions pas où nous allions, nous nous débattions dans un monde hostile pour essayer de survivre, mais nous étions sur le chemin du retour. Mais quel retour ? Je pensais au film : " Retour vers le futur ", nous, nous étions projeté vers : " Retour vers l’inconnu. Retour vers l’angoisse ".

Nous avions exécuté plusieurs rotations dans notre cycle repos ou rames et toujours aucune terre en vue. Nous naviguions toujours sur de l’eau douce, donc toujours sur un lac et toujours pas de mer en vue.

- Si ça continue, on va peut-être remonter vers le Nord, me dit Robert. Depuis le temps que nous naviguons nous devrions arriver à la hauteur du territoire des nains.

- Pas évident, le reprit Pierrot. Dans les Marais, nous avons longtemps dérivé vers l’Ouest. D’abord la rivière qui s’enfonçait à l’Ouest, ensuite la cascade et après nous avons toujours progressé dans cette direction. Par contre, je suis d’accord avec toi pour piquer vers le Nord si d’ici un ou deux jours on ne voit rien de nouveau. Prenons patience, ici, c’est pas les Marais, depuis notre dernier départ, nous n’avons eu aucune mauvaise surprise. Profitons-en. Pour passer le temps je vais essayer de pêcher.

Il pénétra dans la cabine avant, prit une canne à pêche dans le coffre et s’installa à l’arrière. 15 minutes plus tard, il brandissait un poisson.

- Regardez les gars, la poissonnerie est ouverte, on va pouvoir varier notre menu. On va le faire griller sur une lampe.

- T’es fou, lui criai-je, il va avoir le goût de l’acétylène. Il faut le faire bouillir.

- Pouah ! Bouilli, c’est pas bon.

- Il suffit de faire un court-bouillon avec des herbes et des oignons, fit Mario dans un petit sourire entendu.

- D’accord ! Va au jardin et ramène moi des herbes, répartit Pierrot.

- Pas de chances, notre jardin est inondé.

Finalement, nous avons mangé notre poisson simplement bouilli. Pas folichon comme repas, mais il était mangeable. C’était surtout un test, peut-être qu’à l’avenir, dans un avenir plus ou moins proche on serait bien contents de manger du poisson bouilli.

Nous éprouvions tous beaucoup de difficultés à dormir. En général, nous nous contentions de petits sommes.

Nous avions quitté la baie depuis bientôt trois jours, j’étais aux rames avec Pierrot lorsque Mario qui depuis quelques minutes s’agitait à l’avant, nous interpella.

- Je crois que je vois quelque chose devant nous. Droit devant.

Rames hors de l’eau nous avons scruté l’horizon avides de découvrir une terre ferme. En effet au dessus de l’eau on commençait à distinguer une tâche sombre. Nous avons repris les rames en accélérant l’allure. Je sentais le rythme de mon cœur s’accélérer. Etait-ce sous l’effet de l’effort ou de l’émotion ? Je crois que c’était surtout à cause de l’émotion. Je me retournais de temps en temps pour mieux voir.

- C’est bien une terre, annonça Mario. Je réveille Robert ?

- Non ! répondit Pierrot. Nous sommes encore loin, laisse le dormir. On va approcher un peu. Il nous faudra encore du temps avant d’y arriver.

Après plus de deux jours coincés sur une barque nous étions heureux d’approcher d’une terre ferme. Un impérieux besoin de bouger, marcher courir. Heureux, certes, mais inquiets aussi. Et si c’était la fameuse île sorciers ? Avant notre départ la reine Illique m’avait confié : " Surtout, ne vous approchez pas de l’île des sorciers. Ils sont terribles ". De nouveau l’angoisse m’envahissait et avec elle la lassitude de cette peur perpétuelle.

Mario prit mes rames et avec Pierrot accélérèrent encore l’allure, impatients d’observer de plus près ce nouveau monde qui surgissait des eaux. Maintenant, on distinguait les sommets d’une montagne, par contre la base restait floue. De temps à autre je me retournai vers Robert qui dormait d’un profond sommeil. Il est vrai qu’il avait peu dormi jusque maintenant. Le fait de s’être octroyé de son propre chef la responsabilité des événements y était certainement pour quelque chose. Je m’approchai de Pierrot.

- Tu crois pas qu’on devrait réveiller Robert ? lui demandai-je inquiète.

Il secoua la tête dans un geste négatif.

- Non ! Laisse le dormir. On est encore assez loin, il aura le temps de se réveiller avant que nous n’atteignons la terre. Pour l’instant, on se contente d’approcher pour voir de quoi il en retourne. Et si c’était le Paradis ? Toi et Jeanne, surveillez les environs, il faut parer à toute attaque, quoique le secteur me paraisse calme. Profitons-en pour approcher en douce.

Et Robert qui dormait toujours, alors que les deux garçons en mettaient un coup en souquant ferme sur les rames. Nous approchions mais impossible de distinguer la base de la montagne, seuls les sommets restaient visibles.

- Tiens ! Du nouveau, fit une voix derrière moi. C’était Robert qui enfin terminait son somme. Bizarre ajouta-t-il, on voit les sommets mais pas la base. Elle est cachée par de la brume. Oh ! Je n’aime pas ça. Ce sont toujours les malhonnêtes qui ont des choses à cacher.

Pierrot ! cria-t-il en se penchant dans sa direction, je t’avais dit que lorsqu’on apercevrait une terre, on essayerait de la contourner par le Nord. Tu piques droit dessus. Remonte !

- Ouais, je voulais seulement m’en approcher un peu pour voir ce dont il en retourne. C’est le cirque on voit rien.

Pierrot et Mario rectifièrent la direction de la barque. Nous, on essayait de voir à travers la brume, mais sans succès. Ou la brume gagnait du terrain ou alors nous continuions à nous rapprocher de l’île. Les deux garçons accentuaient leurs efforts pour changer de direction, les fesses décollées du banc quand ils ramenaient les rames. Ils accompagnaient leurs mouvements de " Hans ! " bruyants qui déchiraient le silence des lieux.

- Mais qu’est-ce qui se passe, vociféra Robert. On ne va pas au Nord, on continue à se rapprocher de l’île.

Les deux rameurs presque droits sur leurs rames, suaient et juraient comme des charretiers, mais rien n’y faisait, la barque s’enfonçait dans la brume, piquant droit sur l’île.

Debout à côté de moi, Robert contemplait le spectacle. Je le vis secouer la tête dans un geste d’incompréhension. Nous commencions à comprendre que nous n’étions plus maîtres de la barque, qu’elle obéissait à des forces obscures. Notre barque, notre seul espoir, notre abri, notre forteresse. Elle nous trahissait ou plus exactement était elle aussi, soumise aux ordres, à l’emprise de quelque chose de surnaturelle.

Découragé, Mario jeta ses rames dans la barque et se redressa.

- Ca- y est, c’est reparti. Que nous arrive-t-il ? On n’aura jamais la paix dans cette saloperie de pays.

- Les sorciers, le monde maléfique, fit Pierrot le visage torturé. On devait l’éviter et on est en plein dedans. Je crois que cette fois on est foutu.

Sans grande conviction, Robert sortit des coffres des arcs et des flèches et commença à disposer quelques grenades dans la barque à côté des gourdes d’eau.

- Tu comptes t’attaquer aux sorciers avec ton armement ? lui lança Pierrot septique.

- Je compte sur rien. Je me prépare à me battre, un point c’est tout. Moi, on ne m’aura pas sans combats. Pour avoir ma peau, il faudra venir la chercher.

Les trois garçons se placèrent à l’avant, armés de leurs arcs. Je sortis du coffre plusieurs épées et de longs couteaux. Moi aussi, je me battrai s’il le faut.

Quelques instants plus tard, Mario rompit le silence.

- Dis moi Robert, quand on tranche la tête d’un sorcier, il en sort du sang rouge ou vert ?

- Tu dois confondre sorciers et extra-terrestres, fit remarquer Pierrot. Les dictateurs littéraires ont décidés que les extra-terrestres avaient un sang vert, donc ils ont un sang vert.

La barque continuait son approche, la brume devenait moins épaisse, des voiles s’étiraient, se déchiraient. On commençait à apercevoir des rochers et de la végétation. Nous découvrions devant nous une partie dégagée où la terre apparaissait. Nous en étions tout proche. Ce que je pris au début pour des rochers n’en étaient pas. Des êtres difformes semblaient nous attendre. Les garçons braquèrent leurs arcs. Nous étions maintenant à quelques pas de la rive. J’eux un mouvement de répulsion, Jeanne plongea dans la barque. Jamais je n’avais vu de tels êtres. Les uns velus aux têtes allongées avec des oreilles pointues démesurées, de longs pieds étroits. D’autres gros comme des ballons de baudruche, la tête ronde avec pleins de protubérances sur le crâne, les uns barbus, d’autres imberbes, avec chapeaux ou sans coiffes, des cheveux longs, des cheveux courts, mais tous plus affreux les uns que les autres. Dans l’ensemble ils étaient plus petits que nous mais ou plus gros ou plus maigres. Ils attendaient impassibles que la barque se range. Je remarquais plusieurs d’entre eux affublés d’un grand bec de canard qui leur donnait un aspect repoussant.

La barque accosta en douceur contre la berge. Le plus gros d’entre eux, le ballon de baudruche à la tête ronde, aux yeux globuleux exorbités, s’avança.

- Venez ! dit-il. Notre reine vous attend au château.

- Désolés, nous n’avons d’ordres à recevoir de personne. Nous désirons continuer notre route envers et contre tous, déclama Robert droit comme un I.

- Vous devez obéir, suivez-nous. Vous y êtes contraints.

- Ah ! Oui ! Et comment ? continua Robert.

- Par ceci ! fit la baudruche, en passant son bras dans son dos qu’il brandit ensuite armé d’une énorme épée.

Mario décocha sa flèche qui atteignit la chose en plein cœur, traversa tout son corps et se planta dans la terre plus loin. La chose étonnée se retourna, contempla un instant la flèche puis renouvela son ordre.

- Venez ! La reine n’est pas patiente, si vous la contrariez elle risque de vous pulvériser.

Nous étions atterrés. La flèche avait traversé son corps en n’y laissant aucune trace, sans l’avoir le moins du monde incommodé. Nous découvrions le monde des sorciers et des sortilèges, nos premiers pas dans le monde de l’épouvante. J’avais tout d’abord redouté une réaction brutale au geste de Mario avec par exemple une pluie de flèches venant de toutes parts. Mais il n’en fut rien, comme si nos actions n’étaient que sauts de puces.

- Manquait plus que ça vociféra Robert ! Ces êtres sont irréels, immatériels.

- Des fantômes, murmura Pierrot d’une voix agonisante.

Jeanne éclata en sanglots, je me précipitai sur elle pour essayer de la réconforter. Et pourtant, comment le pouvais-je tant j’étais abasourdie par ce qui nous arrivait. Nous ne pouvions même pas nous battre, nous n’avions aucune arme pour lutter contre les sortilèges. Cette fois, c’en était bien fini de nous et de notre randonnée aventureuse.

16.

La baudruche nous faisait signe d’avancer alors que nous restions immobiles, figés, vidés de toute énergie, terrassés par ce qui nous arrivait. Je sentais un fluide glacial courir dans mes veines. L’empreinte terrifiante du monde des sorciers dans lequel nous venions de basculer. Difficile pour nous de nous résoudre à abandonner notre barque. Elle était pour le cordon ombilical qui nous reliait à la surface. L’abandonner c’était abandonner tout espoir de retour, aussi restions nous là, droits dans notre barque, transis de crainte.

- On leur balance une grenade, demanda Pierrot en s’adressant à Robert ?

- Ca ne servirait à rien. Le danger, ce ne sont pas eux, mais la force qui a conduit notre barque ici et contre elle on ne peut pas grand chose.

Robert descendit le premier et amarra la barque à un rocher après avoir relevé les panneaux de protection. Résignés, nous l’avons suivi sur la terre ferme. Puis, sans un mot, notre hétéroclite comité de réception s’engagea dans un chemin qui partait à l’assaut de la montagne. On aurait dit des Zombies, nous aussi d’ailleurs à voir les têtes affreuses qu’on trimbalait et notre allure écrasée. Le cœur serré nous les avons suivis comme de petits toutous bien dressés, arcs et sacs en bandoulières et épées à la ceinture. Nous savions que nos armes ne nous seraient d’aucune utilité car la force mystérieuse qui avait conduit à distance notre petite forteresse aquatique se souciait bien peu de notre armement ridicule. La largeur du chemin aurait permis le passage d’un carrosse, à condition qu’il eut un bon attelage à cause de sa raideur. Avant d’aborder le premier virage, je me suis retournée comme pour lancer un dernier adieu à notre barque. Mes amis obéirent à un même réflexe. Stupéfaite, les yeux hagards, je constatai que la barque avait disparu. Je ressentis cette disparition comme un violent coup au cœur, tout comme mes compagnons d’ailleurs dont les traits torturés de leurs visages trahissaient l’intense émotion qu’ils vivaient. A cet instant, nous avons tous abandonné notre dernier espoir. Le chemin grimpait parmi les rochers recouverts d’une végétation rabougrie. Des arbustes clairsemés aux teintes sombres, aux branches tordues, parmi une végétation rêche, sans couleurs et sans fleurs. Un paysage de désolation sans beauté, sans attraits, recouvert de laideur. Quelques arbres aux branches noueuses dressaient leurs misérables squelettes de ci de là, éparpillés dans la rocaille. Moi, je ne regardais plus le paysage tant il était fait de désolation, je marchais les yeux rivés sur la pierraille du chemin. Plus haut, à un détour nous nous sommes arrêtés pour regarder le château qui se dressait au loin, sur un sommet. Les murs de son enceinte sinueuse, suivaient les arêtes sur lesquelles ils étaient construits comme un gigantesque serpent. On apercevait les tours sombres coiffées de toits pointus bardés de flèches où s’accrochaient des objets bizarres que l’on ne pouvait identifier d’où nous étions. Une vision sinistre qui nous donnait la chair de poule. Pourquoi cette invitation, que comptaient-ils faire de nous ? Faire de nous des esclaves ou agrémenter leurs potages de nos chairs ? Etions nous destinés à devenir la matière saignante des sacrifices de ces horribles sabbats dont sont friandes les sorcières et dont nous avait parlé Hug le vieil Illique ?

J’observais le visage fermé de Robert à côté de moi. Ses traits s’étaient durcis, ses yeux brillaient d’une féroce lumière. Je devinais en lui l’homme qui refuse la fatalité, le découragement, toujours prêt à se battre même si la cause est perdue d’avance. Je crois que je lui portais une véritable admiration, presque de la vénération. Pour me redonner du courage, un instant je me mis à penser que Robert nous sortirait de ce piège, mais je mesurais aussitôt l’extravagance de ce fol espoir et sombrai de nouveau dans mes pensées les plus noires.

Nous approchions du château. Les murs enjambaient plusieurs falaises que des ponts vertigineux reliaient et sur ces falaises, d’autres tours tout aussi sinistres se dressaient jusqu’aux brumes ténébreuses qui coiffaient l’ensemble. Aux abords du château toute végétation avait disparu. Ce n’étaient que rocailles noirâtres. Le chemin serpentait sur la crête de la falaise alors que l’arête s’élargissait à l’approche des murailles. Nous étions maintenant sur une grande surface plane large de plusieurs centaines de mètres. Un autre chemin carrossable partait sur notre droite. Devant nous, au centre de ce plateau, se dressaient les lourdes portes de bois étayées de traverses en ferraille. Les portes s’ouvrirent lentement dans un concert de grincements et de résonances métalliques sur une immense cour tapissée de petits bâtiments sordides courant le long de la muraille. Des animaux inconnus tiraient des charrettes, des êtres dans le même style que notre comité d’accueil allaient et venaient, portant des sacs, des outils ou divers ustensiles, sans prêter attention à notre arrivée ou alors, si peu. Je remarquai une autre race d’êtres disséminés un peu partout, d’une taille similaire à la notre, ne participant à aucune activité, simplement occupés à surveiller ce qui se passait. Ils avaient un profil simiesque avec leurs faces velues, leurs bouches en forme de museau et leurs longues oreilles pointues. Par contre ils se tenaient droits comme des humains, ce qui les différenciait des singes. Ils portaient un casque de cuir sur la tête et une épée sur le côté.

Face à nous une tour imposante d’une hauteur imposante occupait le centre de la cour. Quelques ouvertures perçaient ses murailles en divers points sur une grande hauteur. Des saignées verticales comme de grands yeux noirs. Notre guide nous dirigea sur la tour et lorsque les deux ventaux de la porte furent ouverts la baudruche s’arrêta sur le seuil pour nous inviter à entrer.

Une pâle lumière bleue inondait une vaste salle soutenue par de lourdes colonnes de marbre. Quelques êtres de la même race que ceux que j’avais remarqué à l’extérieur mais habillés de vert, dans une tenue plus soignée, s’alignaient le long de ces imposants piliers. La baudruche avait repris sa place à la tête de notre cortège. Elle s’arrêta devant une marche, délimitant une surface surélevée, comme la scène d’un théâtre, s’inclina et se plaça derrière nous. Nous étions face à une femme assise sur un trône au centre d’un vaste chœur rappelant celui d’une église. Derrière elle des cierges scintillaient sur un autel en pierres. Derrière l’autel sur le mur arrondi, de grands vitraux s’ornaient d’effigies qui me glaçaient le sang. Au centre, la plus grande représentait Belzébuth, le prince des anges noirs et autour de lui d’autres vitraux commémoraient ses vassaux aux pieds fourchus, à la longue queue, au visage velu encadré de cornes. Ils apparaissaient en noir sur un fond bleu parsemé de cristaux rouges sang. Leurs yeux rouges brillants d’avidité nous dévoraient déjà.

Assise sur son trône la sorcière, reine de ce royaume maudit, nous dévisageait. Une femme âgée au visage ridée, la taille d’une femme de chez nous, habillée de noir, une cape rouge sur les épaules, de longs cheveux noirs retombant jusqu’au milieu du dos. Deux lourds colliers de perles pendaient sur son décolleté en V. Un des colliers se terminait par une grosse émeraude alors que le deuxième soutenait une minuscule tête hirsute aux yeux fixés sur nous. La reine, sans être belle, n’avait rien de repoussant, mais le regard de ses yeux allongés comme des amandes trahissait sa sournoise méchanceté.

Deux de ces êtres simiesques l’encadraient, faisant certainement partie de sa garde rapprochée. Ils portaient une épée sur le côté gauche et un long poignard sur le côté droit.

La reine nous dévisagea longuement, un sourire diabolique sur son visage sévère.

- Voici donc les cinq petits héros que j’attendais avec impatience. Vous êtes de beaux enfants et je suis heureuse de vous accueillir dans mon palais, fit-elle les yeux brillants de satisfaction. Vous avez certainement aperçu en venant ici, l’aspect du personnel à mon service. Avouez qu’il n’est pas très attrayant. Grâce à vous je vais maintenant disposer d’un personnel plus convenable, plus approprié à l’environnement d’une reine. Ah ! J’oubliais de me présenter. Je me nomme Oréade et suis la reine de ce grand royaume. Quant à vous, il est inutile de vous présenter, je vous connais tous les cinq et je vous ai déjà attribué les charges, toutes honorifiques qui feront de vous des êtres privilégiés qui graviteront autour de moi.

Les paroles de la sorcière tombaient sur nous comme une cruelle sentence. Je sentais mes tripes se nouer. Seul Robert réagissa, niant délibérément l’évidence.

- Ne vous fatiguez pas madame, à spéculer sur nos destins, coupa-t-il d’une voix sèche. Nous n’avons nullement l’intention de nous attarder dans cet affreux pays. Nous désirons retourner chez nous, à la surface et vos offres de service ne nous intéressent absolument pas.

Le visage de la sorcière prit soudain un aspect terrifiant. Ses longs yeux verts en amande lançaient des salves d’éclairs capables de démolir un char d’assaut. Une frayeur immense me paralysa de nouveau alors qu’elle apostrophait mon ami.

- Petit insolent ! C’est ainsi que tu parles à une reine. Je vais te transformer en rat pour t’apprendre à respecter ta souveraine, en attendant je me contente de te transformer en statue.

Je vis le corps de Robert se raidir, s’immobiliser, se statufier. Ma frayeur prit de telles proportions que je vacillai sur mes jambes alors que Jeanne perdait connaissance et s’écroulait lourdement sur les dalles du sol. Je me précipitai sur elle ainsi que mes deux autres compagnons sous l’œil indifférent de la reine qui essayait de maîtriser sa colère. Robert quant à lui, restait immobile dans sa rigidité de statue. Sous nos efforts, Jeanne reprit connaissance et se releva, soutenue par les deux garçons. Mario, serrait le poing de sa main libre, je le devinais prêt à bondir sur cette affreuse reine.

- Je crois, fit la reine, que nous n’avez pas bien compris la gravité de votre situation. Vous êtes sous mon pouvoir. Vous m’appartenez et me devez obéissance et dévouement sans compter et sans failles, sinon il pourrait vous en cuire. Comme je vous l’ai dit je vous réserve à tous les cinq un régime privilégié en offrant à chacun une position honorifique pleine d’intérêts. Jeanne sera ma femme de chambre, Anaïs s’occupera de la gestion de mon château. Robert, s’il revient à de meilleurs sentiments sera responsable de l’ordre sur mon territoire, sinon, il sera exécuté. Mario aura la responsabilité du personnel et Pierrot de l’intendance du château, de ses approvisionnements en nourriture et en matériel. Ainsi vous me délivrerez de ces nombreuses tâches fastidieuses qui me prennent un temps fou car je dois vous avouer que le personnel dont je dispose actuellement ne brille pas par son intelligence et son esprit d’initiative. J’aimerais bien me débarrasser d’une foule de petits problèmes matériels auxquels je suis sans cesse confrontée avec tous ces abrutis qui m’entourent.

- L’équipe est à l’image du chef, lança Mario ironique.

De nouveau le visage d’Oréade s’empourpra sous l’effet d’une rage folle mal contenue, pointant son doigt sur Mario elle hurla :

- C’est le dernier avertissement ! A la prochaine incartade je vous transforme en rats. En attendant, je vais vous enfermer dans un cachot, ce qui vous aidera à réfléchir. Je vous offre une chance, ne la loupez pas, car je ne reviendrai pas en arrière. Puis elle se tourna vers le garde, posté à sa gauche et lui dit : Castagne, enferme les dans le cachot des suppliciés. Puis, nous faisant face de nouveau, elle fit un petit geste de la main qui libéra Robert de sa rigidité.

Nous sommes sortis derrière Castagne. Dehors, il se dirigea sur la droite de la tour et un peu plus loin, poussa une porte et s’engagea dans un long couloir. Ce couloir desservait de nombreuses salles de part et d’autre. Beaucoup étaient closes de solides portes, d’autres grandes ouvertes. Dans quelques unes, des êtres s’affairaient à des tâches diverses. Certaines salles étaient vides, meublées de tables, bancs, bahuts, tonneaux ou baquets. Des statues, des animaux empaillés soulignaient l’aspect lugubre de ce large couloir. Quelques torches accrochées aux murs diffusaient une faible lumière projetant sur les parois nos ombres qui dansaient comme des fantômes dans un sinistre ballet. Puis nous avons traversé une grande salle encombrées d’animaux empaillés. Autour d’une table plusieurs taxidermistes s’affairaient autour de la dépouille d’un loup. Au fond de la salle, Castagne s’engagea dans un large escalier de pierres qui plongeait dans les entrailles du château. Nous avons descendu une centaine de marches pour déboucher sur un grand et long couloir bordé de salles sombres fermées par de lourdes grilles certainement destinées dans un temps lointain à enfermer des prisonniers et dont la plus grande était équipées de roues, de carcans, de poulies et de chaînes, de forges et de tout un assortiment d’ustensiles de tortures. De quoi vous donner la chair de poule.

Castagne s’arrêta devant une porte verrouillée de plusieurs imposantes serrures et nous invita à pénétrer dans le cachot, lorsqu’il eut déverrouillé la porte. Quand nous fûmes à l’intérieur il referma la porte derrière nous. Nous entendîmes le sinistre bruit des serrures qui se verrouillent puis un silence pesant s’installa autour de nous. Le cachot ressemblait à un gros tonneau en pierres avec une petite ouverture fermée de barreaux à 2 mètres au dessus du sol. Une humidité poisseuse régnait dans la pièce à l’atmosphère empestant la moisissure. Quelques planches supportées par des ferrures scellées au murs, des tabourets faits de rondins de bois et une table de bois pourri constituaient le seul mobilier de notre nouveau logement. Jeanne en pleurs s’écroula sur un des grabats, Pierrot s’assit à ses côtés, alors que Robert tournait en rond dans la cellule. Mario découragé s’installa sur un tabouret près de moi.

- Jusqu’à maintenant, on s’en était bien tirés, mais cette fois, je crois que les carottes sont cuites. Jamais on arrivera à sortir de ce bourbier.

Robert piqua sur nous.

- Je vous interdis d’avoir de telles conversations. D’accord, on est dans de sales draps, mais c’est pas une raison pour se laisser aller et se décourager. Sauf erreur de ma part, on est toujours vivants.

- Ouais, général, marmonna Mario. Tu vois juste, pour l’instant, on est toujours vivants. Alors maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? On tord le cou à la sorcière et on démolit son château ?

- Pour l’instant on ne fait rien. On va se contenter de réfléchir. Que ceux qui ont un cerveau s’en servent. Moi, je crois qu’il faut dans un premier temps, se montrer dociles, faire tous les caprices de la sorcière sans la contrarier. Pendant ce temps, on étudie les lieux, on analyse la situation et on finira bien par trouver le maillon faible.

- Ah oui ! Avec les pouvoirs qu’elle a, je ne pense pas qu’on pourra faire quelque chose contre elle. Tu as vu comme elle a fait disparaître la barque ! Déplacer une telle masse à distance, faut être fort.

- Je sais ! J’ai bien réfléchi à ce problème. A mon avis, elle n’a pas déplacé la barque.

- C’est ça, dis de suite qu’on est tous dingues, coupa Mario. Mais sans relever ses propos, Robert continua.

- A ce stade, ce phénomène prouve seulement qu’elle possède un pouvoir hypnotique et télépathique un point c’est tout. Elle a créé en nous l’illusion de la disparition de la barque. C’est sur nous qu’elle a agi par son pouvoir hypnotique. De même quand elle a dirigé la barque sur l’île, c’est sur nous qu’elle a agi en nous laissant croire que nous avions changé la direction de la barque alors qu’il n’en était rien.

- D’accord avec toi, Robert, fit Pierrot, je veux bien admettre qu’elle n’a pas transporté la barque, n’empêche qu’elle a sur nous un pouvoir hypnotique contre lequel nous ne pouvons rien. Tu vois, malgré tes belles théories, on n’est pas plus avancé.

- Désolé de te contrarier Pierrot mais entre déplacer des montagnes ou des barques à distance et influencer des gens il y a une différence. Je dirais même une grande différence. Bien sûr, si nous l’affrontons de face, nous perdons et c’est précisément sur ce point que nous devons réfléchir. N’oubliez pas que l’influençabilité c’est aussi une condition dépendante de l’individu et surtout de sa volonté. Plus les gens sont faibles, plus ils sont influençables. C’est la raison pour laquelle nous ne devons pas baisser les bras, mais nous concentrer, conserver la foi, la conviction qu’on réussira à s’enfuir.

- Bien, d’accord avec toi, j’abonde en ton sens, fit Mario en chantonnant sur un ton désuet et précieux, un peu ironique, mais maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

- Je te l’ai déjà dit. Pour l’instant, on ne fait rien, on se montre dociles mais sans zèle intempestif pour ne pas éveiller ses soupçons. On rechigne un peu, c’est tout. On commence par obéir tout en se faisant un peu tirer l’oreille, puis on devient de plus en plus dociles pour endormir sa méfiance et au moment venu, on avisera. Les sorcières ont fait beaucoup de mal au Moyen âge, n’empêche que beaucoup ont péri, brûlées sur des bûchers, ce qui prouve qu’elles ne sont pas invulnérables.

- Ouais, mais a-t-on bien brûlé les vrais sorcières ? fit Pierrot en faisant la moue.

- Si j’ai bien compris vos histoires, autrefois, on a brûlé les forêts pour détruire les nains et ils se sont réfugiés ici, ensuite, on a brûlé les sorcières et elles aussi se sont réfugiées ici. En définitive ce monde souterrain est le domaine des anciens brûlés. Notre présence ici est donc une erreur et il serait bon de rectifier cette erreur historique en abandonnant ces lieux dans les meilleurs délais, persifla Mario toujours cynique.

- Mario a raison, approuva Pierrot en se levant. Venez, on s’en va.

Jeanne émit un triste sourire en regardant Pierrot s’acharner sur la porte.

- Il n’y a donc plus de sorcières chez nous, à la surface ? émit-elle naïvement.

- Tu parles, il n’y en a jamais eu autant, répondit Robert, heureusement, en majorité, ce ne sont que de prétendus sorciers. Les vrais, ceux qui pratiquent les messes noires et jettent des sorts, sont plus discrets. Autrefois ils étaient redoutés, maintenant, on a des moyens de rétorsion. La police a même des brigades spéciales pour lutter contre ce fléau ainsi que l’église.

- Pour l’instant, fit Pierrot, pour aborder un sujet plus terre à terre, comme par exemple notre propre situation dans ce maudit château, permettez moi de vous faire remarquer qu’il n’est pas question, je dis bien, pour l’instant, de nous immoler ou de nous sacrifier dans un rite quelconque. C’est déjà une bonne chose. Elle veut nous utiliser comme domestiques. Vu qu’on ne peut rien faire contre elle, on a intérêt à suivre les conseils de Robert et accepter ses propositions. Nous n’avons aucune autre alternative.

Après quelques discussions où Mario ne manqua pas de sortir des bêtises nous nous sommes tous mis d’accord sur cette tactique à adopter. Après quelques petites réticences, nous allions devenir de véritables gentils petits agneaux…. et à la première occasion, on file.

- C’est bizarre, dit Mario, ils ne nous ont pas pris nos armes et nos sacs.

- Peut-être une ruse pour mieux gagner notre confiance. Elle sait que nous ne pouvons rien contre elle, d’ailleurs elle nous en a fait la démonstration avec la flèche de Mario qui a traversé le corps de la baudruche sans provoquer le moindre dégât.

- Tu crois que les singes, je veux dire les êtres qui leur ressemblent, sont eux aussi insensibles aux flèches ? demandai-je.

- J’en sais rien. A mon avis elle doit avoir une équipe de fantômes pour distraire la galerie mais à côté posséder des êtres faits de chairs et de sang, comme par exemple ses gardiens dont tu parles et certainement tous les autres employés.

- Quand Castagne reviendra, lui ou un autre de ses compères, pour en avoir le cœur net on peut essayer de lui envoyer une flèche.

- Bonne idée Mario, je te vois bien transformé en rat, répliqua Robert avant de poursuivre. Pour l’instant, on ne sait pas pourquoi ils ne nous ont pas désarmés, mais plutôt que dire des bêtises on ferait bien de les planquer, dans la mesure où ici on peut les cacher. Evitons de les laisser trop en vue, on va les mettre sous nos grabats en espérant qu’ils les oublient. On ne sait jamais, ça peut toujours servir.

Sur chaque lit il y avait une couverture, nous avons placé notre matériel sous les lits, au fond contre les parois, et tiré la couverture pour qu’elle retombe jusqu’au sol afin de mieux les soustraire aux regards indiscrets.

Puis Robert s’est allongé sur un lit et nous en avons fait de même.

Quelques heures plus tard Castagne vint nous chercher. Il ouvrit la porte et d’un ton autoritaire nous ordonna de le suivre.

- Qu’est-ce qu’elle nous veut encore ta reine ? demanda Robert.

- Elle reçoit les quatre princes du royaume et je crois que chacun d’eux réclame l’un de vous pour le servir. Ils ont chacun leur propre château et domaine sur l’île.

- Hein ! s’exclama Robert. C’est sérieux ? On veut nous séparer ? Alors là, pas question, je refuse.

- Vous n’avez malheureusement pas le choix. Ce sont eux qui commandent. Si je peux vous donner un conseil, évitez de vous opposer à leurs décisions, ils sont tout puissants et à la moindre incartade suppriment ceux qui désobéissent ou leur manquent de respect. Ils font ça sur la place, devant tout le monde pour servir d’exemple et croyez moi, ils y prennent un grand plaisir.

Je faillis défaillir. Voilà qu’une nouvelle menace nous accablait. Alors que je reprenais un faible espoir après les propos de Robert, j’apprenais que nous allions être séparés, disséminés dans les quatre coins du royaume des sorciers. Groupés nos chances restaient minimes, mais séparés elles devenaient nulles. Nous étions condamnés à finir nos jours dans ce maudit pays, asservis par des sorciers, isolés, désespérés, définitivement séparés de notre famille, nos amis, notre pays. La fin la plus lugubre que le sort puisse nous infliger.

17.

Les Majestés des ténèbres nous attendaient dans la grande salle à manger autour d’une table bien garnie où seuls brillaient l’or et les pierres précieuses des couverts. Oréade trônait au centre, entourée de ses princes qu’elle nous présenta. D’abord l’homme à sa droite, celui au visage le plus approchant de celui d’un humain normal. Un vieillard aux longs cheveux gris et à la barbe blanche, vêtu d’un manteau noir.

- Voici le prince Méléagre, à ses côtés le prince Argos.

Ce deuxième personnage imberbe à la face laminée et osseuse dépassait tout le monde d’une tête. Ses petits yeux de serpents nous dévisageaient sans ciller. Puis elle poursuivit par l’autre sorcier à sa gauche, de petite de taille avec de longs cheveux clairsemés sur son crâne demi chauve, au visage orné d’un long nez pointu.

- Le prince Calcius et à ses côtés le prince Xilias.

Ce dernier, gras comme une truie engraissée au maïs, le visage rouge et gros comme une citrouille, le nez caché par ses énormes joues bouffies ne semblait s’intéresser qu’aux 2 filles qu’il dévorait des yeux en particulier la jolie Jeanne.

De nouveau une grande panique m’envahit à la pensée de finir chez un tel personnage, bien que les autres me paraissaient tout aussi répugnants avec néanmoins une nuance moins repoussante pour Méléagre, le vieillard à la longue barbe blanche. L’ambiance entre la reine et ses invités était si tendue que j’en ressentis les effets dès que je pénétrai dans la salle. On se serait cru à la foire aux bestiaux de Beaucroissant, déshabillés par ces regards pénétrants qui nous évaluaient sur toutes les coutures. Moi qui ne supportait pas les regards indiscrets des voyeurs, j’étais ici bien servie.

Ce fut Méléagre qui le premier rompit le silence en s’adressant à Robert.

- C’est donc toi le petit génie qui a sauvé les nains de ses envahisseurs grâce à ses judicieux conseils alors qu’ils devaient logiquement être submergés, écrasés, anéantis. Félicitations jeune homme.

Enfin, une bonne nouvelle. Dieu que j’étais heureuse de savoir les nains sauvés. Nous avons tous les cinq échangés des regards de satisfaction malgré la situation tragique dans laquelle nous étions plongés. Une question me venait aux lèvres mais je préférais ne pas la poser tant je désirais éviter toute conversation avec ces monstrueux sorciers. J’aurais aimé savoir si les nains malgré leur victoire avaient subi de lourdes pertes.

- Grâce à ton génie, bien que je crois savoir que l’idée d’utiliser des bombardes fut suggérée par Pierrot, ils ont ainsi réussi à tenir à distance leurs envahisseurs, les encercler et les anéantir avec des pertes insignifiantes pour eux.

Ainsi, Méléagre répondait à la question que je me posais, sans que je l’eusse formulée. Lisait-il, lui et peut-être ses compères dans nos pensées, ou était-ce un hasard, ou une déduction logique ? Si de plus, nous devions surveiller nos pensées intimes la partie qui déjà s’annonçait perdue risquait bien de l’être définitivement.

- Prince Méléagre, le reprit Urgos, le grand escogriffe décharné, je trouve vos félicitations outrancières. La victoire des nains ne nous arrange pas.

Devant notre mine déconfite suite à cette remarque Méléagre nous apporta quelques explications.

- Notre triste île n’a rien de comparable avec le territoire des nains. Autant leurs terres sont riches, agréables, autant le notre est aride desséché, lugubre. Bien sûr, nous pourrions attaquer les nains et les anéantir, malheureusement, ils sont protégés par les fées et un pacte céleste nous interdit d’envahir leur territoire. Si bien sûr, les nains venaient à disparaître, le pacte deviendrait caduque et nous pourrions alors nous installer sur leurs terres.

Puis il se tourna vers la reine et lui dit assez sèchement.

- Moi, je prends Robert. J’ai des problèmes avec mon voisinage et ce garçon peut m’être utile. Ton refus m’offenserait et risquerait de compromettre les bonnes relations que nous avons toujours eu.

- Moi, je prends Jeanne, fit le gros lard, sa beauté illuminera mon sombre château.

Urgos réclama Mario et Calcius s’octroya Pierrot sachant que la reine désirait une femme de compagnie, sentiment qu’elle avait certainement manifesté avant notre arrivée dans la salle.

- Ce partage me semble équitable, continua Méléagre, nous aurons chacun un humain à notre service et toi qui désirais tant la compagnie d’une jeune femme tu seras comblée avec Anaïs, la fille la plus intelligente du groupe.

Les traits crispés du visage de la reine se durcirent encore et elle répliqua vertement après avoir balancé ses longs cheveux noirs autour de sa tête.

- Je vous le répète et vous le dis pour la dernière fois, il n’en est pas question. Je les garde tous les cinq pour deux raisons. D’abord parce que je suis la reine et c’est donc moi qui décide, ensuite, parce que c’est moi qui les ai capturés. Ils sont mes prisonniers et vous n’avez aucun droit sur eux.

Ses derniers propos soulevèrent une vive réprobation chez ses visiteurs qui commençaient à manifester un profond agacement

- Tu es notre reine, parce qu’on le veut bien et qu’il s’agit d’une vieille tradition que nous avons eu la gentillesse de bien vouloir tolérer, jusqu’à maintenant. Tu n’as sur nous aucun critère de puissance ou de prestige qui le justifie et il nous serait très facile de te dépouiller de ton trône, s’exclama Méléagre qui visiblement avait perdu son calme.

- Méléagre à raison, tonna Calcius, tu devrais te méfier Oréade de toujours vouloir tout t’accaparer. C’était gentil de notre part de fermer les yeux sur ton titre folklorique mais si tu nous pousses à bout, il pourrait t’en cuire. Nous sommes tous lassés de tes caprices et du manque de considération que tu nous portes. Tu nous a toujours traités en vassaux alors que nous sommes tes égaux. Les choses risquent de changer si tu ne mets pas un peu de miel dans ton vinaigre.

- Des menaces ? Méfie toi Calcius, je supporte mal les insubordinations. Ce n’est certainement pas un minus sorcier de ton espèce qui me fait peur. Je peux t’écraser en un instant, quand je le veux et je te conseille de manifester un peu plus de respect à mon égard.

- Je crois que nous perdons notre temps à discuter. Oréade ne veut rien savoir. Il n’y a que la force qui lui rendra raison, fit Urgos le rameau desséché en se levant.

Les trois autres en firent de même et prirent la porte sans saluer. On entendit leurs lourds sabots résonner dans le couloir. Quelques instants plus tard succédèrent les bruits des 4 carrosses qui s’ébranlaient parmi les aboiements des chiens, les cris des laquais et les crissement aiguës des roues sur les cailloux. Puis ce fut le martèlement tumultueux des sabots des chevaux d’escortes sur les pavés de la cour du château.

Après ce vacarme un silence lugubre retomba sur le château.

Lentement les traits crispés de la reine se détendirent alors que des lueurs furieuses brillaient encore dans ses yeux.

- Vous avez vu ? Vous avez entendu ? nous dit-elle d’une voix acidulée en dressant ses mains ouvertes autour de sa tête, ces minables pourceaux qui viennent chez moi me donner des ordres. Ils ont le culot de venir vous réclamer. Puis elle se radoucit et ajouta. Je suppose que vous préférez ne pas être séparés. C’est pour ça que j’ai refusé … Pour vous faire plaisir. Alors, ne dites pas que je suis une méchante reine.

Nous savions très bien que ce n’était pas la raison exacte de son refus, mais il n’eut pas été très judicieux de la contrarier, aussi avons nous préféré ne rien répondre. Mais elle insistait.

- N’est-ce pas Jeanne ? Je crois t’avoir sauvée des griffes de cet ignoble Xilias qui malgré ton jeune âge ne se serait pas gêné pour abuser de toi.

- Oh oui ! Merci madame, répondit-elle émue.

- On dit : merci Majesté.

- Merci Majesté.

- Très bien. Et toi, notre fin stratège tu ne dis plus rien ? je te trouve bien silencieux.

- J’ai trop peur d’être transformé en rat madame, alors, je préfère me taire.

- Si tu n’es plus insolent mais obéissant et dévoué, il ne t’arrivera plus rien de fâcheux. Alors donne moi ton avis, puisque tu sembles réticent à me remercier.

- Oh vous savez madame, être le domestique de l’une ou de l’autre ça ne change pas grand chose pour moi.

- Oui, mais grâce à moi, vous n’êtes pas disséminés, vous restez ensemble et selon la qualité de vos services, vous serez largement récompensés. Vous gagnez sur tous les tableaux.

- Je crois madame que vous désirez nous garder avec vous non pas pour nous faire plaisir mais parce que c’est votre intérêt.

- Mon intérêt ? Tu divagues Robert. Quel intérêt ?

- Je crois madame que ces maudits sorciers vont tout faire pour vous déchoir. Vous êtes en danger, en grand danger et vous préférez m’avoir avec vous plutôt que contre vous, aux côtés de ce maudit Méléagre. Les bons conseils que j’ai donné aux nains vous portent à penser que je suis un petit génie de la guerre.

Le visage crispé de la reine se détendit et un léger sourire effleura ses lèvres.

- Tout en reconnaissant tes qualités, je crois que je t’ai sous estimé. Oui … je l’avoue, tu as vu juste. Je préfère t’avoir avec moi plutôt que contre moi. Seuls, contre moi, vous ne pouvez rien faire, mais je reconnais qu’il en serait tout autrement si vous étiez au service d’autres sorciers. Et puis je dois vous dire aussi que si mon plus cher désir est d’avoir une jeune fille de compagnie, j’apprécie aussi autour de moi la présence de beaux garçons comme vous. Je suis lassée d’avoir autour de moi des êtres aussi affreux et votre intrusion dans notre monde n’est pas pour me déplaire. Mais nous verrons ça plus tard, pour l’instant il m’importe de savoir si en cas de conflit, avec ces princes abrutis, vous accepteriez de m’aider.

- Désolés madame, nous ne possédons aucun pouvoir et contre les sorciers nous sommes désarmés. En cas de conflit, nous ne pourrions pas faire grand chose d’autre que de couper les citrons… et peut-être aussi prier Dieu pour que vos assaillants périssent … et vous avec.

Oréade blêmit, en entendant prononcer le nom de Dieu, furieuse elle redressa la tête, puis soudain se ravisa. L’heure était aux négociations et non pas aux punitions. " Ces petits malotrus ne perdent rien pour attendre, se dit-elle ".

- Je vous avais imaginé intelligents mais je crois m’être fourvoyée. Je ne peux pas vous forcer à vous battre pour moi, alors, je me contenterai de vous laisser croupir au fond de votre cachot. Si je perds la bataille, devinez ce qu’il adviendra de vous. Ils détruiront le château et si vous ne périssez pas avec lui, ils vous emporteront. Pauvres jeunes filles, vous ne savez pas ce qui vous attend. Décidément vous manquez d’imagination et d’intelligence.

Mon esprit révolté s’était fermé aux propos de la sorcière, mais force était d’admettre que sur ce point elle avait raison. Le moindre mal incontestablement fut que nous restions tous les cinq avec elle et en conséquence, que nous prenions parti pour elle.

- D’accord, fis-je, mais Robert vous l’a dit, nous ne pouvons rien pour vous aider. Comme vous le savez, nous sommes désarmés contre des sorciers.

- Ah ! Enfin ! Quelqu’un de raisonnable, fit-elle. Détrompe toi, Anaïs, vous pouvez m’aider car il y aura deux guerres. Il y aura une guerre entre sorciers : une guerre de sortilèges, d’incantations et de toutes sortes de manœuvres magiques qui ne vous concernent pas. Sur ce point, je suis d’accord, vous ne pouvez intervenir, mais rassurez-vous je me sens capable de leur tenir tête. Et puis, il y aura aussi une autre guerre que j’appellerai conventionnelle et c’est là que vous pourriez m’être utiles. Ils enverront des troupes pour détruire mon château. Je possède une armée puissante et dévouée, malheureusement j’aurais à affronter les 4 princes qui se ligueront contre moi. Je pense que tout d’abord, ils m’attaqueront personnellement ce qui m’obligera à me réfugier dans mon laboratoire pour faire face et me protéger de leurs sortilèges. De ce fait, je ne puis diriger efficacement mon armée. Mes soldats obéissent mais sont incapables de prendre des initiatives intelligentes. Ils ne possèdent pas ce génie inventif dont vous avez fait preuve tout au long de votre parcours. Avec votre aide, je n’en ferais qu’une bouchée de ces affreux princes rebelles.

- Alors, d’accord, fit Robert, mais à une condition.

- Oui je t’écoute.

- Qu’après la bagarre, vous nous rendiez notre barque et nous autorisiez à poursuivre notre route.

- Ca, il n’en est pas question ! vociféra-t-elle furieuse, puis elle se ravisa, esquissa un sourire et enfin accepta. D’accord, je vous le promets. Si vous m’aidez à me débarrasser d’eux, vous aurez droit à une récompenseL. Je ne vous refuserai pas le droit de partir.

Nous n’étions pas dupes de son revirement.

- Promesse de sorcière. Je veux des garanties ! scanda Robert d’un ton ferme. Des garanties sérieuses !

Coléreuse, pas habituée à être soumise à des conditions, elle explosa, se tourna vers Castagne.

- Ramène les dans leur cachot et qu’ils y pourrissent jusqu’à ce que les princes viennent les chercher …. s’ils sont encore vivants.

Un peu plus tard, nous nous retrouvions dans notre cachot sordide. Deux zozos, c’est ainsi que Mario avait baptisé, les êtres mi-singes, mi-hommes, déposèrent sur la table un repas. Baptisés ? Dans ce monde démoniaque ce mot n’était certainement pas le mot qui convenait le mieux

- Allez Robert, arrête de tourner en rond, vient manger quelque chose. Ta copine, la reine, malgré ses propos violents, nous a bien soignés. Des hors d’œuvre, de la viande et des légumes que demander de plus ? lui lança Mario.

Il prit un tabouret, l’avança vers la table et grogna.

- Ouais, je sais ce que vous allez tous me reprocher. Vous allez me dire que nous aurions mieux fait de nous cacher à l’entrée des Marais et d’attendre la fin des combats. Les nains victorieux grâce à nos conseils nous auraient bien accueillis et nous n’aurions pas eu à affronter les dangers auxquels nous avons échappé par miracle et ne serions pas dans ce maudit pétrin où l’on ne s’en sortira pas.

Tiens, tiens, lui qui refusait d’entendre des propos pessimistes, c’était lui maintenant qui les tenait. Robert se culpabilisait. C’était à nous à présent à lui remonter le moral.

- Mais non Robert, ce n’est pas ta faute. Nous avons été piégés par la chute d’eau qui nous interdisait de revenir en arrière. Au contraire, c’est bien grâce à toi qu’on s’en est sorti.

- Anaïs a raison renchérit Jeanne. C’est pas de ta faute.

- N’empêche que je m’en veux. J’ai quand même commis une faute. Quand le courant s’est accéléré on pouvait prévoir la chute d’eau, c’était tellement logique. On aurait dû s’arrêter.

- C’était trop tard quand on a réalisé, on ne pouvait plus revenir en arrière, ajouta Pierrot. Faut vivre avec le présent : On est ici, on est vivants, et maintenant, il faut qu’on essaie de mettre les bouts. A mon avis, nous devons coopérer avec la reine, hein ? Qu’en penses-tu ?

- Comme toi. Mais je me demande si c’est la bonne solution car si elle gagne, jamais elle ne nous laissera partir. Les sorcières ne tiennent leurs promesses que dans l’accomplissement du mal, jamais quand il s’agit de faire le bien. Elle a suffisamment insisté sur les raisons qu’elle avait de nous garder. Jamais elle ne nous laissera partir, répéta-t-il découragé.

- Si il y a guerre entre eux, comment tu vois ça Robert ? Aucun livre d’histoire ne relate de tels faits, j’aimerais bien savoir comment ils vont s’y prendre, demanda Mario.

- Je n’en sais pas plus que toi, mais Oréade, nous en a tracé le schéma. Tout d’abord il va y avoir une guerre d’incantations. Chacun va faire appel à des armées de démons pour combattre l’autre camp. Alors là, je ne sais pas comment cela va se passer car les démons en principe sont tous dans le même camp. Peut-être que chacun des sorciers dispose de ses propres légions démoniaques. En principe le sorcier quand il invoque les démons le fait selon un rituel bien précis au centre d’un cercle magique qui le protège des caprices de ces serviteurs fidèles qui néanmoins s’ils t’attrapent risquent de te faire passer un mauvais quart d’heure. La réalisation de ce cercle magique met en œuvre des techniques excessivement complexes et demande une longue initiation aux pratiques magiques. Sans ce cercle pas d’incantations possibles.

- Attends ! Si je te comprends bien, si le sorcier n’est pas dans son antre avec tous ses ingrédients, il ne peut rien faire.

- Exact ! Si tu le sors de son antre, sans ses chaudrons, ses fioles, ses ingrédients, il ne peut rien faire.

- Désolé de te décevoir mais tout à l’heure quand elle t’a statufié elle n’était pas dans son labo et ne disposait pas d’ingrédients, contra Mario

- Ca c’est autre chose, c’est pas de la magie noire, c’est de la suggestion, de l’hypnotisme si t’aimes mieux. N’importe quel fakir peut le faire. Tu as entendu parler de la catalepsie ?

- Oui bien sûr. Maintenant je comprends. Avant je mélangeais tout.

- Comme tout le monde.

- Dis moi, ton père a aussi préparé une thèse sur ces sujets ? demanda Pierrot.

- Non ! Mais quand il invite ses copains toubibs, ils passent la soirée à traiter d’un sujet scientifique et l’hypnotisme, la suggestion et l’autosuggestion reviennent souvent d’autant plus qu’un de ses collègues psychiatre l’utilise dans ses thérapies.

- Eh bien, quand on va sortir d’ici, qu’est-ce qu’on va être intelligents, moi je crois bien que je vais ouvrir un cabinet de psychiatre, lança Mario en bombant le torse.

- Excellente idée, approuva Pierrot. Je suis sûr que tu auras du succès. Quand un neurasthénique viendra te voir en pleurant qu’il est le plus idiot de la terre je suis certain qu’il ressortira de ton cabinet convaincu qu’il n’est pas le plus idiot et qu’un autre le détrône.

Pour la première fois depuis des lustres nous avons tous éclaté de rire.

Nous avons terminé notre repas, lui aussi le meilleur depuis longtemps. Jeanne rangea les couverts sur un coin de la table puis, s’adressant à Robert lui dit.

- Très intéressant ce que tu nous as dit, par contre tu as oublié de nous dire comment se déroulerait l’autre guerre.

- Elle découle de ce que je viens de vous dire. Oréade est certainement la sorcière la plus puissante, c’est à dire qu’elle dispose de plus de sortilèges, de plus de connaissances et peut-être dispose-t-elle de légions diaboliques de plus haut niveau que les autres. Peut-être est-elle en communication avec le plus haut de tous, le prince Belzébuth. Tu as certainement remarqué le vitrail derrière elle à l’effigie de ce démon. Si ses ennemis parviennent à détruire son château, ils détruiront par la même occasion, son laboratoire, son antre, je veux dire l’endroit où elle invoque ses démons et alors il ne lui sera plus possible de communiquer avec eux et perdra leur soutien et leur puissance. Voilà pourquoi, il y aura deux guerres et qu’elle a besoin de bons généraux.

- Ouf ! Enfin j’ai compris, exulta Jeanne en jetant ses longs cheveux en arrière. Jamais je n’avais abordé ces sujets, je ne savais même pas que ces choses existaient. Je croyais que c’était de la blague.

- Comme tout le monde, tu confonds la magie noire avec la prestidigitation.

- Bon, on va donc l’aider à protéger son château. Moi je veux pas aller chez cet horrible prince Xilias. Plutôt me suicider que devenir l’esclave de ce monstre.

Pierrot se précipita vers elle et la serra dans ses bras.

- Je t’en prie Jeanne, ne dis jamais ça. Tu verras on s’en sortira.

- Ouais, fit Robert, on s’en sortira, mais pour l’instant je ne vois pas comment. On a un problème à deux inconnus à résoudre. Il ne faut pas que les autres gagnent et il ne faut pas qu’Oréade gagne. Si quelqu’un a la solution, je suis intéressé. Le mieux est de dormir un peu pour faire reposer nos méninges. Il paraît que la nuit porte conseil.

- Malheureusement, ici, il n’y a ni jour, ni nuit, soupirai-je

- Dans combien de temps la guerre aura-t-elle lieu ? demanda Jeanne en se dirigeant vers une couche..

- Le temps de se réunir, de mettre au point une stratégie, de rassembler les armées et préparer l’intendance, il leur faudra plusieurs jours. Ils sont condamnés à préparer minutieusement leur campagne car s’ils échouent, notre douce Oréade ne leur fera pas de cadeaux. Ouf ! J’en ai marre. Bonne nuit les petits, conclut Robert en s’allongeant sur sa paillasse.

 

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