Chapitre 4

LE MONDE DES MIOUS-MIOUS

12

Lentement, notre barque nous portait vers ce nouveau monde. Difficile de décrire ce que nous ressentions à son approche. De la crainte, de l’appréhension bien sûr mais aussi un mélange d’une foule d’autres sentiments comme la curiosité, la fascination, l’hébétement, le refus inconscient d’accepter ce que nos yeux découvraient. Tant de choses semblaient irréelles, comme par exemple ces parties plus éclairées que d’autres, parfois à la cime des crêtes, parfois sur certains flancs de ces pitons inhospitaliers. Comment expliquer les tâches claires aux pieds des rochers et celles plus sombres sur des aspérités, souvent noires, laissant malgré tout apercevoir leurs contours torturés. Aucune logique n’était respectée. Les cours de notre professeur de dessin sur les ombres par rapport à un point lumineux devenaient caducs. Lorsque Robert estima que nous étions à distance raisonnable, il fit signe à Mario qui avait pris les rames de remonter vers le Nord en longeant ce monde des plus inquiétants.

- Je crois que nous n’avons pas intérêt à y pénétrer tête baissée. Essayons de trouver un endroit plus favorable, plus sympathique, se justifia Robert.

Sa décision ne souleva aucune contestation. Il fallait bien en prendre une. Pour l’instant, nous naviguions sans problèmes. Tout était calme, du moins, paraissait calme. Nous nous sommes arrêtés un instant, face à une trouée dans les rochers. L’eau luisait au bas des rochers resserrés et leurs flancs rappelaient par leurs découpes des immeubles au bord de l’eau, comme par exemple " les maisons suspendues " sur les bords de la Bourne, à Pont en Royans, toutefois sans leur aspect pittoresque de là bas, mais ici, dans une apparence lugubre et menaçante. Et toujours aucun signe de vie. Face à cette trouée, nous avions stoppé la barque. Les trois garçons s’étaient alignés sur le côté de l’embarcation pour mieux voir. A droite, le grand Mario puis Robert et ses 10 centimètres de moins et notre menu Pierrot les yeux toujours noyés dans les nuages de son esprit.

Jeanne rejoignit les 3 garçons alors que moi, je suis restée assise. J’avais besoin de faire le point. Ce qui d’ailleurs, fut vite fait. Nous étions dans une situation désespérée, avec aucune possibilité de nous en sortir. Jusqu’à maintenant, nous avions eu de la chance mais la chance n’est pas éternelle. Notre chance se concrétisait par notre stock de carbure et de bocaux. Si nous étions partis un jour plus tôt, ou si les Trolls avaient attaqué un jour plus tard, nous n’aurions pas disposé de ce carbure qui pour l’instant à plusieurs reprises nous avait sauvé la vie.

Nous en avions terminé avec notre contemplation, nous reprenions notre route vers le Nord à la recherche d’un lieu moins inhospitalier. Les pics torturés et les petites trouées peu sympathiques se succédaient inlassablement. Nous devinions derrière ces pics des montagnes abruptes, rien pour nous encourager à entreprendre une expédition dans ces lieux repoussants.

- Peut-être aurions nous dû piquer vers le sud, avança Mario qui commençait à s’inquiéter.

- Oui, peut-être, répondit Robert. Mais n’oublie surtout pas que vers le Nord, nous nous rapprochons de lieux connus comme le royaume des Nains, alors que vers le Sud c’est encore l’inconnu. Pour l’instant, c’est la mer que nous cherchons, en l’absence d’autres buts.

- Tu penses que la mer serait derrière ce pays ? demanda de nouveau Mario.

- Tout au moins, je l’espère, mais ici il ne faut s’étonner de rien. Si on abandonne nos repères, on risque de tourner en rond. Et si on tourne en rond, aucune sortie possible.

- La barrière rocheuse, s’incline légèrement vers l’Est, annonça Pierrot aux rames.

- C’est bon signe, continuons.

Depuis notre dernier arrêt, nous naviguions depuis plusieurs heures. Nos pensées allaient aussi vers les nains, vers cette guerre horrible qu’ils menaient contre les Trolls et les Gramards.

- Ils ont dû être submergés, pronostiqua Robert. Leurs assaillants étaient trop nombreux.

- Pas sûr, répliquai-je. Ce sont d’excellents artisans, s’ils ont fabriqués leurs catapultes avec le même soin que les barques, ils ont certainement fait des ravages. Et puis, les guerriers nains sont très valeureux.

- Admettons qu’ils gagent la guerre, si nous retournons vers eux, je suis convaincu qu’ils nous accueilleront bien, mais jamais ils ne nous permettront de rejoindre la surface, c’est la raison pour laquelle nous devons les éviter. Si nous atterrissons dans leur royaume, il faudra nous cacher.

- Moi, je crois que s’ils gagnent, ils enverront une patrouille pour nous rechercher, dis-je.

- D’accord avec toi. Ils iront jusqu’à la cascade, nous chercheront dans le secteur et s’ils ne nous trouvent pas, penseront que nous sommes de l’autre côté et que par conséquent nous ne reviendrons jamais.

- Convaincus que nous sommes morts, ils abandonneront la surveillance du tunnel, fit Pierrot.

- Raison pour laquelle il faudra bien nous cacher si on veut l’utiliser pour rentrer chez nous, expliqua Robert.

- Formidable ! On parle comme si on était déjà sur le chemin du retour, intervint Mario en gesticulant.

- On a le droit de dresser des plans, le contra sèchement Robert. D’accord, on n’est pas sur le chemin du retour et je crois que nous aurons d’autres problèmes à résoudre, mais il faut avant tout ne pas perdre espoir et toujours avoir en tête l’objectif qu’on s’est fixé, donc nous avons le droit d’en parler ce qui nous impose de faire le point de temps à autres et surtout de prendre des décisions.

- Ca va, ça va, t’as toujours raison, fit Mario énervé.

- Non ! je ne n’ai pas toujours raison, mais je me bats pour qu’on s’en sorte et surtout pour qu’on ne baisse pas les bras. Nous devons tous rester animés de la même foi, sinon on est foutu.

- Tu as raison, Robert. Je te le dis sincèrement, confessa Mario en adoucissant le ton de sa voix. C’est vrai, faut qu’on garde confiance. Pardonne moi, par moments, je flanche.

Je pris à mon tour les rames alors que les autres évaluaient les provisions qui nous restaient. Bien que lourde, la barque avançait allégrement une fois lancée. Sa pointe à l’avant fendait l’eau comme une faux bien affûtée. Un peu plus tard, Robert me rejoignit.

- Pas fatiguée Anaïs ?

- Non, pas du tout. Bien au contraire ramer me fait du bien, ça me dérouille les muscles. Ah ! Autre chose, je ne sais si je rêve, mais les sommets me semblent moins hauts qu’au début.

Robert scruta la montagne que nous longions et secoua la tête.

- En effet. C’est exact, ils sont moins élevés. Les trouées me paraissent aussi plus larges. Continuons, ne nous pressons pas, on va bien déboucher sur quelque chose.

Sur le dernier banc, pierrot racontait des histoires à Jeanne qui souriait. Les forces démoniaques de ce nouveau monde nous offrait-elle un répit ? Entre nous, nous l’avions bien mérité. Même Mario semblait moins maussade, il vint vers nous pour nous raconter des salades. Robert le laissait parler, qu’importe les sujets de conversation, ça nous faisait du bien de bavarder, comme si nous étions sur un banc du lycée. J’ai continué à ramer pendant plus d’une heure, puis je laissais les rames à Mario qui insistait pour que j’aille me reposer. Décidément, nos trois garçons étaient pleins de bonnes intentions pour les deux pauvres filles qu’ils avaient entraînées dans leurs rocambolesques aventures. Robert s’allongea sur le banc des deuxièmes rames et commença un petit somme. Il avait décrété qu’à partir de maintenant, deux dormiraient, pendant que les trois autres feraient le guet et rameraient. Je m’installai dans la cabine du fond et fis comme lui. Je somnolai plusieurs heures, l’esprit moins tendu. Je ne sais pas ce qui me réveilla, peut-être le sentiment d’un changement comme s’il se passait quelque chose de nouveau. En effet, la barque était arrêtée. Mes quatre compagnons, debout faisaient face à la montagne. Je démarrais ma prise de conscience par une bonne impression. Il faisait moins sombre. Oh ! Pas du tout la lumière d’un grand jour mais une pénombre qui nous permettait de voir assez loin. Mes amis étaient en arrêt devant une large passe qui trouait les rochers. Les rochers se prolongeaient de part et d’autre sur plusieurs centaines de mètres et ensuite s’ouvraient sur une grande surface d’eau, car c’est à peine, si nous distinguions les massifs montagneux du fond. Sur la droite, une montagne abrupte se perdait à l’infini. Sur la gauche, quelques sommets puis plus rien. Ils restaient tous silencieux devant cette passe qui nous invitait à nous y engager. Mais nous restions méfiants.

- Nous allons commencer par casser la croûte, laissa tomber Robert perdu dans ses réflexions. Après on verra. Nous avons beaucoup de nourriture en provisions, mais nous risquons de manquer d’eau. Qui dit montagne, dit source. Quoi qu’il en soit, ne nous pressons pas. Observons avant de nous hasarder. Si d’ici une heure il ne se passe rien d’anormal, on fera une première approche.

Nous avons fait cuire sur deux lampes à acétylène dont nous avions ôté les chapeaux de verre des haricots dans de la graisse d’oie. Malheureusement les haricots demandaient beaucoup de temps pour cuire, alors nous nous sommes rabattus sur du saucisson, le tout accompagné de brioches et de confiture, tout en laissant mijoter les haricots pour le prochain repas. Par contre nous avons commencé à économiser l’eau potable. Pour les grenades, Robert avait rempli une gourde vide avec l’eau des marais.

Nous mangions en silence. Robert ne quittait pas des yeux la passe. Moi, j’observais la surface de l’eau, intriguée de n’y découvrir aucun signe de vie, j’aurais tant aimé y voir évoluer des ablettes, des gardons, des gentils petits poissons de chez nous. Cette absence de vie accentuait le caractère insolite des lieux. J’observais Robert, lui aussi m’intriguait. Sa brusque maturité me surprenait. Il avait soudain prit en charge le destin du groupe. Lui qui semblait si farfelu, si prompt à plonger dans l’imaginaire déboussolé de Pierrot qui vivait en permanence dans les nuages, prenait spontanément la responsabilité de notre survie. Nous profitions de ce calme, mangions lentement sans nous presser.

Un peu plus tard, Notre général en chef se leva.

- Je crois qu’il est temps d’aller voir ce qui se passe là-bas. Pierrot, tu prends les rames. Mario et moi, nous préparons deux grenades, les filles, préparez-vous à nous approvisionner en flèches ou carbure. Pierrot, tu avances doucement, au milieu de la passe, tu m’entends, je dis bien doucement, c’est compris ?

Je sentais des nœuds se nouer dans mon ventre, nous étions tous crispés. La barque prit la direction du passage. Nous étions à 100 mètres. Plus que cinquante mètres. Soudain il se passa quelque chose. Un long sillage venant de la baie avançait sur notre droite. Pierrot arrêta de ramer. Le sillage traçait une longue ligne sinueuse comme le ferait un gigantesque serpent. Une peur viscérale m’envahit. La bête passa sur notre droite à une cinquantaine de mètres de nous. Puis sa trace disparut. Nous restions immobiles transis d’effroi.

- Elle est partie ? murmura Mario d’une voix chevrotante.

- Je ne crois pas. A mon avis, elle nous observe. La bête vient d’effectuer une petite reconnaissance, avança Robert. Restons sur nos gardes.

Nous attendions l’attaque. Les agressions devenaient notre lot quotidien. Quelques instants plus tard, Mario tendit le bras en direction du passage sans rien dire.

. A une centaine de mètres de nous, deux sillages se dirigeaient sur la barque. Ils arrivaient très vite et soudain, deux têtes monstrueuses se dressèrent au dessus de l’eau. Elles fonçaient droit sur nous. A une cinquantaine de mètres elles ouvrirent leurs gueules énormes sans freiner leur allure.

- Attention Mario. Tu vises la gueule. Attends qu’elles soient tout près. Surtout ne loupe pas celle de gauche, sinon on est foutu. Je me charge de celle à droite. Attends mon signal.

Mario et Robert versèrent l’eau dans leurs pots, vissèrent le couvercle. Déjà les gueules énormes surplombaient notre barque. C’en était fini de nous.

- Go ! Hurla Robert à Mario. Les autres, plongez dans la barque.

Les deux explosions presque simultanées provoquèrent un véritable cataclysme dans des gerbes d’eau, de sang et de débris de chair. J’avais préparé une grenade que je jetai à mon tour ainsi que Pierrot qui lui aussi ne voulait pas demeurer en restes. Nous étions au centre d’un volcan qui chahutait dangereusement notre barque, prête à chavirer. Mario courageusement avec une rame s’efforçait à repousser le corps des monstres.

Enfin, les eaux se calmèrent. Des eaux sanguines parsemées de détritus de chairs. Une puanteur mélangée aux odeurs d’acétylène s’abattit sur nous. Les corps énormes des deux monstres surnageaient de part et d’autre de la barque. Pierrot se remit aux rames pour nous éloigner de ce charnier pestilentiel.

- Félicitations Mario, lui dit Robert souriant. Tu as fait un beau carton.

- Bah, je ne pouvais pas la louper, une gueule aussi énorme. Je t’avoue que j’ai eu une sacré trouille. J’en tremble encore.

- Rassure-toi, tu n’es pas le seul à avoir eu peur, puis il se tourna vers moi. Toi aussi Anaïs, toutes mes félicitations. Tu as fais preuve de sang froid. On fait vraiment une bonne équipe.

Malgré la fréquence des attaques, nous avions du mal à récupérer. Longtemps après, je tremblais encore. Les garçons eux aussi accusaient le coup.

- Général ! Où va-t-on maintenant ? cria Pierrot.

Robert désigna la passe : " Doucement ! Gardons les yeux ouverts ! lui dit-il".

La passe s’ouvrait sur une grande étendue d’eau, comme une mer intérieure avec à droite des montagnes escarpées, au fond, d’autres montagnes que l’on distinguait à peine, tout comme celles de gauche qui se perdaient dans l’horizon. Pierrot dirigea la barque à notre droite où une baie profonde s’enfonçait dans la montagne. Nous longions prudemment la falaise, les yeux fixés sur les rochers ne révélant pour l’instant aucune trace de vie. Maintenant que nous approchions de la baie, c’est elle qui mobilisait notre attention. Bien qu’abrupte, la montagne laissait une surface plane au bord de l’eau surtout sur la rive droite. On aurait pu sans trop d’imagination penser à un parking au bord de l’eau, comme dans un port. Nous nous en approchions lentement de plus en plus intrigués. Prudemment, nous avons accosté, les yeux grands ouverts, intrigués par le sol plat qui semblait fait de dalles de pierres. Robert et Mario se glissèrent en douceur sur la berge. Ils inspectaient les lieux le long du bord offrant de nombreuses similitudes avec l’apparence d’un quai, puis ils tombèrent en arrêt sur des aspérités semblables à des bites d’amarrage telles que l’on peut en apercevoir dans les ports. Ils revinrent vers nous médusés.

- Incroyable ! On dirait un quai d’amarrage pour bateau on est certainement victime d’hallucinations d’autant plus qu’il ne traîne sur le sol aucun détritus comme on a l’habitude d’en voir dans un port, nous dit Robert en secouant la tête dans un geste d’incompréhension.

Instinctivement nos yeux balayaient l’étendue d’eau à la recherche d’un éventuel bateau. Recherche bien inutile car jusqu’à l’horizon les lieux ne décelaient aucune trace d’engins flottants.

 

13.

Un port sans vie et sans bateau, incrusté dans des montagnes. Un monde fermé, austère, repoussant. Une escale impromptue dans un monde parsemé de pièges mortels. Voilà où nous en étions dans cette folle équipée qui se poursuivait. Heureusement, force était de constater que nous étions toujours vivants, miraculeusement vivants devrais-je dire. Je crois que le mot miracle n’est pas usurpé après les terribles combats que nous venions de livrer qui nous ont fait tutoyer de si près la mort. Epreuves révélatrices de notre infinie faiblesse face à ces monstres dotés d’une telle énergie évoluant dans un monde aussi infernal.

Comme dans toutes les précédentes étapes de notre périple, nous nous retrouvions singulièrement embarrassés et comme toujours très angoissés. Accostés à ce port fantôme, une forte envie de nous dégourdir les jambes nous propulsa sur la terre ferme.

- Ne vous éloignez pas, ordonna Robert. Je reste en poste dans la barque. On ne sait jamais.

Mario se mit à courir de long en large sur le quai alors que Robert Jeanne et moi marchions prudemment vers la montagne. Au bout du quai une surprise nous attendait. Nous découvrîmes un sentier tortueux partant à l’assaut du massif. Une nouvelle question vint s’ajouter à la foule de questions qui emplissaient nos têtes. Après ce port dans un lieu désert, venait maintenant ce sentier mystérieux. Décidément, les découvertes incongrues ne cessaient de se manifester. Sans répit, que de questions dans leur linceul de frayeur nous assaillaient ! Pourtant, le calme des lieux nous incitait à prendre un peu de repos, mais l’endroit était-il vraiment bien choisi ? Nous sommes retournés à la barque amarrée à une bite par Robert pendant notre promenade et lui avons fait part de notre découverte.

Il récupéra le cordage qui lui avait servi à amarrer la barque et le déposa sur le plancher.

- Votre découverte confirme ce à quoi je pensais pendant votre ballade. Nous sommes ici, trop à découvert. Les agressions que nous avons subies ne nous ont pas servi de leçon. On va aller de l’autre côté de la crique et essayer de trouver un coin dans les rochers pour nous cacher. Elle n’est pas très large, on y sera vite.

Sans plus attendre Mario prit une rame pour faire éviter la barque et s’installa au premier poste. C’est presque avec regrets que nous avons quitté ce quai mystérieux, à la recherche d’un coin tranquille, caché des regards indiscrets. La crique faisait quelques centaines de mètres de large et très vite nous avons atteint l’autre bord. Là nous avons progressé lentement le long de la roche déchiquetée.

- Il nous faut trouver un coin pas trop loin de la montagne avec une possibilité d’y accéder, expliqua Robert.

- Là, regarde ! cria Pierrot.

Il désignait une saignée dans les rochers offrant un couloir protégé, s’enfonçant assez profondément dans la barrière rocheuse. Aussitôt Mario y dirigea la barque. Le couloir s’élargissait et se terminait sur un petit plan d’eau.

- Pour une fois, on a de la chance, s’exclama Pierrot. Voilà un gentil petit endroit tranquille à l’abri des curieux.

- Ouais, reste à voir ce qui va encore nous tomber sur la tête, répartit Mario en grimaçant.

Robert lui ne disait rien et inspectait les lieux.

- En effet, je crois qu’on a de la chance. Regardez au pied des rochers il y a une petite roche plane qui court tout le long et nous permettra de rejoindre l’extrémité du port si on décide d’explorer la montagne. On pourra amarrer le bateau, sur ce côté où il y a un terre-plein perpendiculaire au port. Du port, on ne peut nous voir alors que nous entre les rochers, on peut voir. On ne pouvait pas trouver mieux.

- Ah ! Si seulement on pouvait avoir un moment tranquille, soupira de nouveau Mario. Au juste, c’était quoi ces deux monstres qui nous attaqués à l’entrée de la passe.

- T’as jamais lu des histoires où des explorateurs partent à la recherche d’un trésor. Quand ils le trouvent, il y a toujours des serpents près du trésor pour le protéger. En général des najas, ça fait plus exotique.

- A ton avis, c’étaient des serpents ?

- Je ne sais pas. Ils m’ont fait penser à de monstrueuses anguilles. On est en bordure des marais et les anguilles aiment bien les marais. A mon avis, c’étaient les gardiens de la baie pour empêcher des intrus d’y pénétrer.

- Alors là, tu m’inquiètes Robert en parlant de gardiens. Ca pourrait signifier qu’il y a des créatures qui utilisent des gardiens pas très sympathiques. J’ai lu des articles qui prétendent que des incidents nucléaires peuvent engendrer des monstres, des mutations.

- Oh ! J’en sais rien, une soucoupe qui aurait explosé sous terre ? Laissons tomber, je me contente de supposer. Pour l’instant, tout est calme, on va en profiter pour se reposer. En cas de pépins, dans ces rochers on pourra mieux se défendre. Même une armée ne réussirait pas à nous déloger d’ici.

- Tu me sembles bien optimiste.

- Il le faut Mario. Garder confiance, faire face, et on s’en sortira.

- Puisque tu le dis. Je te crois. Y’aurait pas un drugstore dans le coin ?

- Peut-être qu’en cherchant bien, ironisa Pierrot.

- Selon toi, Robert, on a trouvé la Terre promise. Quelle chance ! Tu vois, on a bien fait d’amener des filles avec nous, comme ça, on va pouvoir engendrer une communauté et repeupler ces montagnes désertes comme l’avait fait Abraham.

- Hein ! Protestai-je suffoquée. Avant de parler de créer des enfants, tu ferais bien de construire une maternité. Avoir des enfants dans un lieu pareil, sans docteur, soins, lait … quelle horreur !

- Heureusement que la première femme était plus courageuse que toi, sinon on serait tous en train d’attendre notre naissance.

- Oh ! En ce temps là, ils n’enfantaient pas comme maintenant, ils avaient des trucs. J’ai lu sur une revue scientifique que le premier homme avec des chromosomes Y semblables aux nôtres est apparu des siècles après la première femme. Je ne sais pas si leur premier est né in-vitro ou in-nébulo, intervint Pierrot en riant. Je crois qu’il y a 83 000 ans de différence entre la première femme et le premier homme de notre branche.

- Ils ont peut-être enfanté par télépathie post-mortem, glissa Robert avec un petit sourire malicieux sur le visage. Nos ancêtres avaient de sacrées combines. Puis, pointant son index sur nous, il continua : Maintenant, revenons à nos moutons. Dans la cabine, un coffre contient tout le nécessaire pour la barque : cordages, ancre, pelle, seau, écope, il y a même du matériel de pêche. Pour l’instant il nous reste suffisamment de nourriture, par contre l’eau potable risque de nous faire défaut. Bien sûr il nous sera toujours possible de faire bouillir de l’eau, mais à mon avis, avant de repartir nous devons refaire nos provisions d’eau. Demain matin, façon de parler, je veux dire après un bon repos, nous ferons une petite expédition dans la montagne à la recherche d’une source.. Nous savons maintenant, qu’il y a, ou qu’il y a eu des êtres vivants ici, donc, il doit y avoir de l’eau.

Nous nous sommes reposés 6 heures en assurant une surveillance, chacun à notre tour. Cachés dans nos rochers, nous nous sentions en sécurité d’autant plus que durant tout ce temps, rien de suspect ne se manifesta. Mais, mais … nous restions sur nos gardes. Il n’était pas question de partir tous les cinq et de laisser la barque sans surveillance. Robert et Mario se proposèrent pour l’expédition eau potable. Devant mon insistance ils finirent par accepter ma présence avec eux. Nous avons récupéré tout ce qui pouvait contenir de l’eau et nous sommes partis. Robert et Mario s’étaient équipés chacun d’un arc et de grands couteaux, moi, j’avais choisi une petite épée.

– Et surtout, soyez sages tous les deux, recommanda Robert à Pierrot et Jeanne en brandissant une lunette. De là-haut, je vous surveillerai.

Tout comme moi, Robert avait certainement remarqué l’inquiétude qui se lisait sur le visage de Jeanne lorsqu’elle nous vit partir. La petite plate-forme au raz de l‘eau s’avérait très praticable et nous rejoignîmes le flanc de la montagne sans difficultés. Ce sentier au bord de l’eau ainsi que celui qui partait à l’assaut de la montagne étaient-ils le fait du hasard ? Un hasard de la nature ? Certainement pas. Nous devions rester vigilants, aussi avancions nous prudemment. Le sentier était assez raide, mais nous étions tous de bons marcheurs habitués à la montagne. Il zigzaguait parmi les rochers et n’offrait aucune difficulté majeure. Malgré ses zigzags, il nous conduisait vers l’Est. Nous avons grimpé pendant une heure pour déboucher sur un plateau verdoyant. Nous ne fumes qu’à demi surpris car chez nous de tels paysages existent comme par exemple le plateau du Vercors au sommet des falaises surplombant la vallée de l’Isère. Nous nous sommes arrêtés pour contempler le paysage qui à bien des égards rappelait le notre : des bosquets, des prairies, des bois. Devant nous, l’espace sur 200 mètres était découvert puis le sentier plus loin s’enfonçait dans un bois. Nous surplombions la grande baie qui s’étalait sous nous jusqu’aux montagnes à l’horizon. Par contre nous ne pouvions apercevoir le petit port, loin derrière nous.

- Je crois que nous allons facilement trouver de l’eau ici, fit Robert réjoui.

Nous nous sommes enfoncés dans le bois à la suite de Mario qui ouvrait la marche, une flèche engagée dans son arc. Un peu plus loin, nous avons débouché sur un espace dégagé, mais déjà une mauvaise surprise nous attendait. Un énorme oiseau posé sur le sol, tourna la tête vers nous à notre arrivée. Il était effrayant, surtout par ses dimensions.

- Je rêve, on dirait un ptérodactyle, murmura Mario.

- Vite retournons dans le bois, cria Robert, là bas il pourra pas voler.

Le saurien-oiseau se retourna vers nous pour faire face.

- Regarde il tient quelque chose dans ses serres.

Je faillis m’évanouir, à la vue de cette grosse tête ronde offrant de nombreuses similitudes avec un visage humain et de ce petit corps minuscule doté de petites jambes et de petits bras très maigres.

Courageusement Mario s’avança vers le monstre menaçant qui se redressait face à l’intrus.

- Reviens Mario ! hurla Robert, tu ne peux pas le tuer avec ton arc. Tu risques de le blesser et de le rendre furieux.

Mais déjà Mario bandait son arc et décochait sa flèche qui atteignit le monstre au bas du cou. A son tour Robert se précipita pour protéger Mario et décocha une flèche sur la bête qui avançait. La flèche se planta dans le cou du monstre. Le saurien poussa un cri terrible, alors que Mario lui envoyait une deuxième flèche. La bête se retourna, se mit à courir et s’envola en abandonnant sa proie sur le sol. La pauvre créature était dans un piteux état, couverte de sang. Une source coulait à côté, Robert prit de l’eau et nous avons commencé à nettoyer les plaies. La créature souffrait. Elle ouvrit sur nous d’énormes yeux tout ronds, ne comprenant pas ce qui se passait. Elle était blessée mais encore vivante. J’étais bouleversée. Jamais je n’avais vu une telle créature et la voir dans un si piteux état me fendait le cœur.

Absorbés par nos soins, nous ne les avons pas vu arriver et lorsque je relevai la tête je vis plusieurs de ces créatures derrière nous qui nous observaient.

- Bonjour, fis-je, en me relevant et en inclinant la tête.

Ils nous regardaient craintifs. Nous nous sommes écartés et trois d’entre eux se penchèrent sur le blessé. D’autres arrivaient. Plusieurs partirent dans les bois et revinrent avec des branchages qu’ils transformèrent rapidement en civière sur laquelle il déposèrent le blessé. Puis le groupe s’enfonça dans le bois alors que plusieurs se retournaient vers nous en inclinant la tête comme pour nous remercier avec toutefois sur leurs visages les stigmates d’un mélange de surprise et de crainte.

Chez nous aussi, cette rencontre nous avait surpris mais avec ce que nous vivions depuis plus d’une semaine, plus rien ne nous étonnait. Comment aurions nous pu imaginer l’existence de tels êtres, si petits, de 50 à 60 centimètres avec une aussi grosse tête et un corps si menu aux membres disproportionnés ? Nous aurions aimé parler avec eux, les interroger sur ce monde, sur son étendu, ses particularités, ses dangers, sur les autres mondes voisins et surtout savoir où nous diriger pour retrouver la mer. De toutes évidences, notre présence les avaient effrayés et face à nous, pressés de s’enfuir.

Nous avons remplis nos jerricanes et bidons d’eau et avons sans plus attendre rebroussé chemin. De temps à autre, nous faisions une petite halte pour nous reposer et dégourdir nos bras fatigués par nos lourdes charges. Enfin deux heures plus tard, nous réintégrions notre barque où nos deux amis commençaient à s’inquiéter.

- Nous avons vu un énorme oiseau qui a fait plusieurs tours au dessus de nous, nous annonça Jeanne. On a eu peur, on s’est réfugié dans la cabine.

- Eh bien, nous aussi nous l’avons vu, fit Mario, on lui a même offert plusieurs flèches.

- Vous l’avez tué ?

- Non ! Malheureusement, répondit-il à Jeanne. Je crois qu’il est reparti pas très content. Et il lui raconta ce qui nous était arrivé, près de la source, sur le plateau.

Difficile de décrire ces êtres étranges que nous avions rencontrés.

- C’est quoi au juste ces créatures ? demanda Jeanne.

Nous étions perplexes et ne pouvions répondre. Finalement Mario trouva la solution.

- Des Mious-Mious.

- Des Mious-Mious ? fit Jeanne étonnée.

- Il faut bien qu’on leur donne un nom. Anaïs en aura besoin pour écrire nos mémoires.

Et voilà, comment on enrichit le vocabulaire français. A l’unanimité, ce nom fut adopté.

Nous avons fait honneur au repas que nos deux amis nous avaient préparé et nous sommes allongés pour nous reposer. De peur que le veilleur ne s’endorme, Robert avait décidé par mesure de prudence, que deux feraient le guet, car le danger venait aussi du ciel.

Quelques heures plus tard, je fus réveillé par un cri de Mario.

- Attention ! Les Mious-Mious attaquent ! Aux armes !

Je rejoignis mes amis qui observaient l’extrémité du port par une anfractuosité des rochers. Une longue colonne débouchant du sentier s’avançait sur le quai. Pierrot la lunette à l’œil les observait attentivement.

- Bizarre, fit-il. Ils ne semblent pas armés. Ils sont habillés de couleurs vives on dirait qu’ils vont à une fête. Beaucoup portent des corbeilles.

Chacun à notre tour avons examiné avec la lunette cette curieuse procession qui à n’en pas douter venait vers nous. Ils s’engagèrent sur la petite plate forme qui longeait les rochers jusqu’à notre petit abri. A priori ils ne semblaient pas animés d’intentions hostiles. Par mesure de sécurité, nous avons néanmoins sorti nos arcs et préparé des explosifs.

En tête du cortège une femme et deux enfants portaient des corbeilles. Derrière eux suivaient un homme âgé à longue barbe blanche, revêtu d’une cape verte sur une robe rouge brodée d’or, encadré par deux Mious-Mious. Puis derrière, toute une cohorte chamarrée.

Spectateurs surpris, nous étions alignés sur la barque. L’homme âgé prit sur la corbeille tenue par la femme une couronne sertie de pierres précieuses, s’avança et s’arrêta vers Mario.

- Etrangers, déclara-t-il, vous avez affronté courageusement un des monstres qui déciment notre peuple et par votre courage et votre audace, avez sauvé un des nôtres. En reconnaissance, moi, Rolt, roi des Illiques vous cède ma couronne et vous proclame roi de notre royaume.

Bizarre, je ne connaissais aucun des mots qu’il prononçait, mais je comprenais parfaitement le sens de ses propos. Je devinais entre nous, une communication télépathique, mais, je n’en fus qu’à demi surprise, car ici, qui et quoi pouvaient encore nous surprendre ?

14.

Soudain, une folle envie de rire me prit. Mario sacré roi des Mious-Mious. Quelle histoire ! Le vieillard tendait les bras mais il lui manquait presqu’un mètre pour la déposer sur la tête de Mario. Ce grand benêt ouvrait de grands yeux étonnés, ne sachant quelle contenance prendre. La femme s’approcha de Mario pour lui faire comprendre qu’il devait se baisser.

Pendant ce temps les Mious-Mious envahissaient le terre-plein et l’allée y conduisant dans une attitude respectueuse. Harcelée par le fou rire provoqué par ce surprenant spectacle du couronnement de Mario je concentrai mon attention sur eux, les lèvres pincées pour ne pas m’esclaffer. Jeanne décontenancée se serrait contre Pierrot alors que je devinais sur le visage de Robert une moue ironique à peine contenue. Courbé en deux, la couronne sur la tête, Mario nous regardait à la recherche d’une solution à son problème. Il attendait certainement une intervention de Robert, mais ce dernier trop heureux de la situation cocasse dans laquelle nous étions plongés se gardait bien d’intervenir. La décence nous interdisait de rester indéfiniment ainsi, alors je me dévouai une nouvelle fois et me lançai dans un discours éloquent.

- Majesté, sire … nous sommes très touchés par l’honneur que vous nous faites en sacrant l’un de nous. Oui … nous sommes très touchés, très honorés. Malheureusement, nous ne pouvons accepter. Nous sommes des voyageurs et demain, nous repartons.

  • Rolt se tourna vers moi, ses yeux énormes démesurés par la surprise.
  • - Vous ne pouvez pas partir. Il est impossible de partir d’ici. De ce côté, la baie est gardée par deux monstres qui vous pulvériseront, dès que vous franchirez la passe.

    - Il n’y a plus de monstres, nous les avons détruits, intervint Robert

    Une exclamation monta de la foule stupéfaite. D’abord de la surprise, puis de l’admiration et du respect. Rolt incrédule restait bouche bée.

    - Ce n’est pas possible ! Les gardiens de la baie sont invulnérables.

    - Allez donc voir, majesté, vous y trouverez certainement des débris de leurs corps flottant sur l’eau.

    Il nous regardait abasourdi, alors qu’un grand silence succédait aux exclamations de nos visiteurs.

    - Incroyable ! Inimaginable. Jamais nous n’aurions pensé qu’une telle chose pouvait arriver. Mais, alors, qui êtes-vous ? D’où venez-vous ?

    - Nous venons du pays des nains et avons traversé les Marais.

    Rolt sursauta, dressa le torse, les bras semi-écartés et s’exclama incrédule :

    - Impossible ! Les Marais sont eux aussi gardés par des monstres invincibles. Qui êtes-vous  donc ? il resta ainsi un instant, puis son corps se ratatina, s’inclina et il balbutia en tombant à genoux : Vous êtes des Dieux.

    Robert se précipita hors de la barque pour le relever.

    - Nous ne sommes pas des Dieux, tout simplement des humains qui désirent retourner chez eux à la surface de la Terre.

    A l’exemple de leur roi, les Mious-Mious s’étaient prosternés. Robert leur faisait de grands signes pour les inviter à se relever. J’en fis de même, ainsi que Pierrot, Jeanne et Mario, sa couronne toujours sur la tête.

    Robert ôta la couronne de la tête de Mario et la reposa sur celle de Rolt.

    Le roi des Illiques essayait de reprendre ses esprits, tant ces révélations l’avaient bouleversé. Des exploits que seuls des Dieux peuvent accomplir.

    - Une de nos vieilles légendes dit qu’un jour des Dieux viendraient et nous débarrasseraient des Horros.

    - Les Horros ? C’est quoi ? demanda Mario.

    - Ce sont ces monstrueux oiseaux que vous avez affronté tout au moins l’un d’eux, en sauvant l’un des nôtres.

    - Malheureusement, on ne peut rien contre eux. Désolés, nous ne savons pas voler.

    - Vous êtes des Dieux car seuls des Dieux peuvent traverser les Marais et détruire les deux gardiens de la baie. Vous pouvez vaincre les Horros par votre pouvoir et votre courage.

    Cette conclusion, frappée de la logique des Illiques paraissait à nos yeux moins logique, plutôt saugrenue. Nos précédentes victoires ne tenaient qu’à un petit fil et à beaucoup de chance. Malheureusement, la chance est très capricieuse et si la prochaine fois, elle nous fait défaut adieu notre retour à la surface, adieu nos familles, nos amis. Robert essaya de les persuader que nous ne pouvions rien contre des monstres ailés. Je crois que les Mious-Mious avaient fondés tous leurs espoirs en nous à voir la triste figure qu’ils affichaient à présent. Leurs grands yeux brillaient comme s’ils étaient humectés de larmes, leurs minuscules corps se ratatinaient dans un profond désespoir. Robert avec beaucoup de patience s’efforçait à convaincre Rolt que nous ne pouvions voler et que nos flèches ne pouvaient tuer ces monstres, seulement les blesser légèrement. Le désarroi de ces petits êtres m’attristait. J’en avais des larmes aux yeux. Enfin nous avons réussi à les convaincre que nous ne pouvions rien faire pour les libérer.

    - Je comprends, finit par admettre Rolt très abattu avant de poursuivre : Nous sommes venus vers vous non pas uniquement pour solliciter votre aide mais aussi et surtout pour vous remercier d’avoir sauvé un des nôtres. Nous avons préparé pour vous des corbeilles de nourritures fraîches, je pense qu’elles vous feront plaisir. Ce sont principalement des fruits et des légumes.

    - Des fruits, m’exclamai-je radieuse. J’en ai tellement envie.

    Rolt fit un geste et une colonne d’Illiques s’avança pour nous offrir les corbeilles. C’étaient de petits fruits mais qu’importe. Nous nous sommes jetés dessus comme des affamés, ce qui sembla réjouir nos visiteurs, puis nous les avons rangés dans nos coffres, ainsi que les légumes. Ils étaient délicieux. Beaucoup ressemblaient à des fraises, des framboises, de petites pêches et des pommes.

    Pendant que nous rangions ces précieuses provisions, Rolt dit à Robert.

    - Nous serions heureux de vous recevoir tous les cinq dans notre village. Vous êtes nos invités. Nous désirons organiser une petite fête en votre honneur.

    - Je vous remercie de votre offre, mais il nous est impossible d’abandonner le bateau et de nous absenter trop longtemps. Nous serions perdus s’il arrivait quoi que ce soit à notre bateau. C’est notre seule chance de retourner chez nous. Par contre, je serais très heureux de vous garder quelques temps avec nous, j’ai plein de questions à vous poser sur ce pays et ses environs.

    C’est alors que j’intervenais.

    - Robert, nous pourrions y retourner tous les trois, comme nous l’avons déjà fait. J’aimerais bien voir leur village. Bien sûr, nous ne nous attarderions pas.

    Surpris par ma proposition Robert fronça le sourcil, réfléchit un instant et répondit.

    - C’est d’accord. Nous vous ferons une petite visite dans quelques heures, mais il n’est pas question de nous attarder. Pendant notre absence, pourriez-vous laisser quelques hommes avec les deux personnes qui garderont le bateau ? Ainsi, elles se sentiront moins seules.

    Les Mious-Mious repartirent en nous faisant de grands gestes d’au revoir de leurs longs bras décharnés. C’était touchant.

    - On ne peut pas partir comme ça, me dit Robert. Nous devons en profiter pour apprendre le maximum de choses sur les Terres ou étendues d’eaux voisines. D’un autre côté Pierrot et Jeanne pourront discuter avec les 5 Mious-Mious qui leur tiendront compagnie.

    2 heures plus tard, Mario, Robert et moi, gravissions le sentier tortueux conduisant au village. Nous avions pris le même armement que la première fois, mais Robert, par précautions emportait aussi dans son sac du matériel pour faire plusieurs grenades. Cette fois, nous n’étions pas embarrassés de jerricanes et bidons. Sur le plateau, plusieurs Illiques nous attendaient pour nous conduire au village, en passant à travers bois pour éviter les attaques des ptérodactyles.

    Le village était adossé à un rocher, sous une végétation particulièrement dense, certainement pour empêcher les sauriens ailés d’y pénétrer. De petites huttes s’espaçaient entre les fûts de gros arbres tout autour d’une grande place. Le rocher face à l’entrée était truffé de cavités desservies par un réseau d’escaliers taillés dans le rocher. Rollt nous attendait devant son domicile, une bâtisse en bois plus importante que les autres, au centre du village. Nous nous sommes installés sur des rondins de bois autour d’une table. Plusieurs femmes déposèrent sur la table des pots en terre cuite et des gobelets taillés dans le bois. Rolt nous proposa des jus de fruits de pommes de pêches de framboises. J’optais pour un jus de pommes ainsi que Robert. Mario préféra la fraise. Les villageois se massaient sur la place pour nous voir. Rolt invita plusieurs Illiques à s’asseoir à notre table. Après nous être désaltérés et mangé quelques fruits, le roi nous dit.

    - Vous désiriez me poser des questions ? fit-il d’un ton affable. Si je puis y répondre….

    Robert avait dessiné sur un papier un plan sommaire dans lequel il situa le royaume des nains et la mer, les Marais et la baie où nous nous trouvions actuellement.

    - Nous désirons rejoindre la mer, sans passer par les Marais évidemment. Nous pensons qu’elle se trouve vers l’Est. Est-elle loin d’ici ? Y-a-t-il des problèmes pour la rejoindre ?

    Rolt semblait très embarrassé.

    - Nous vivons dans ces forêts depuis des temps infinis. Jamais nous ne nous en éloignons car nous sommes systématiquement attaqués par les oiseaux, tant et si bien que nous connaissons mal les pays voisins.

    - Il existe certainement chez vous comme chez nous des récits, des histoires relatant des faits ancestraux, des aventures, des contes transmis de générations en générations inspirés de faits réels ou plus ou moins déformés.

    - Bien sûr, rétorqua Rolt, mais nous n’avons jamais vérifié ces récits et nous ne pouvons vous en garantir l’exactitude. Hug est la mémoire de notre passé, ajouta-t-il en se tournant vers le vieillard assis à côté de lui. Peut-être pourra-t-il vous renseigner, mais je vous le répète, nous ne pouvons vous en garantir la véracité.

    Le vieil Illique toussota pour s’éclaircir la voix et d’une voix lente commença un long récit.

    De toutes les histoires qu’il nous raconta, nous en avons conclu qu’après ce pays, il existait une vaste étendue d’eau, comportant une grande île en son centre où vivaient des sorciers qui enlevaient tous les êtres qui s’approchaient de l’île pour en faire soit des esclaves, soit des bêtes de traits, soit pour les sacrifier dans leurs rites diaboliques. Il semblerait qu’ensuite, il existât une grande étendue d’eau que l’on ne peut pas boire. Nous avons aussitôt pensé à la mer. C’est tout ce que nous avons pu apprendre de nos nouveaux amis. A leur tour, ils nous posèrent beaucoup de questions sur le royaume des nains et surtout sur les combats que nous avions livrés dans les Marais et contre les gardiens de la baie. Ils étaient fascinés par la description de nos grenades de carbure de calcium. Puis la conversation revint sur les ptérodactyles qui provoquaient chez eux une angoisse épouvantable. C’est ainsi que nous apprîmes que ces monstres nichaient sur une plate forme à mi-hauteur de la falaise qui surplombait la baie. Il y avait deux nids et les deux couples venaient de faire éclore chacun deux petits. Il y aurait donc bientôt 8 prédateurs au lieu de quatre à écumer la région et à semer la terreur parmi les Illiques. Je lus dans leurs yeux l’immense désespoir qui les accablait.

    - Quand ils emportent un des nôtres, nous allons au sommet de la falaise jeter des fleurs sur leurs nids, nous précisa Rolt larmoyant.

    - Ah ! Parce que vous avez accès au sommet de la falaise au dessus de leurs nids ?

    - Oui, nous avons un sentier dans la forêt qui nous y conduit. Il ne reste qu’un petit espace à découvert pour y parvenir. Si vous désirez voir leurs nids, on peut vous accompagner sur votre chemin du retour. Ce petit crochet ne vous occasionnerait qu’un petit détour.

    Mario et Robert échangèrent un regard.

    - C’est d’accord. J’aimerais bien voir ça avant de quitter la région. Deux nids de ptérodactyles c’est pas ordinaire, ça vaut le détour, déclama Robert en se levant.

    Les Illiques emplirent nos sacs de friandises. La reine m’offrit un superbe collier serti de pierres précieuses que je mis aussitôt autour de mon cou. Puis nous prîmes le chemin du retour accompagnés de Rolt et d’une vingtaine d’Illiques. Quoique petits, nos nouveaux amis se déplaçaient très rapidement sur leurs longues jambes grêles. Ils trottinaient d’un bon pas et très vite nous fûmes aux abords de la falaise. Nous sommes restés à l’orée du bois pendant que l’un d’eux s’avançait prudemment vers l’à pic. Il revint en courant.

    - Ils sont tous là, occupés à nourrir leurs petits, ils ont ramenés du gibier qu’ils dissèquent.

    Sans faire de bruits, nous nous sommes avancés, suivis de Rolt et de plusieurs Illiques.

    Ils étaient à une cinquantaine de mètres sous nous. Un spectacle impressionnant que ces monstres nourrissants leurs petits. Nous les avons observés discrètement puis Robert échangea quelques mots à l’oreille de Mario. Ensuite, Robert vida son sac sur le sol, sortit les pots le carbure et la gourde d’eau. Il plaça le carbure, un peu de sable et des graviers anguleux et tendit 2 pots à Mario, après en avoir placé deux devant lui.

    - Attention, il faut les jeter ensemble, alors pas de précipitations. Tu te règles sur moi.

    Tremblante d’émotion, je donnai ma gourde d’eau à Mario.

    - 1 ! fit Robert en prenant le premier pot, imité par Mario. 2 ! continua-t-il en versant l’eau. 3 ! en vissant le couvercle. 4 ! en laissant tomber la grenade sur le nid sous lui et Mario sur celui sous lui. Deux fortes explosions s’en suivirent, mais sans y prêter attention ils recommencèrent leur manège à la même cadence bien rythmée. Deux nouvelles explosions retentirent. A plat ventre à côté d’eux, j’assistais à la scène 50 mètres sous moi. Les quatre grenades avaient atteint leurs objectifs. Sous nos yeux les monstres se tordaient, se débattaient dans de violentes convulsions. Des plumes volaient dans tous les sens, la roche rougissait aspergée de jets de sang. Un des sauriens ailé bascula dans le vide. Son corps rebondissait sur les rochers déchiquetés, puis tomba dans l’eau, un deuxième le suivit. Les contorsions désordonnées qui secouaient leurs corps blessés entraînèrent les deux autres sur le même chemin. Quand aux petits monstres eux aussi atteints, ils essayaient d’échapper à leurs souffrances en rampant péniblement sur la plate forme ce qui les conduisit à la même chute. Un immense cri de joie jaillit derrière nous. Ce n’était plus seulement la vingtaine d’Illiques faisant partie de notre groupe, mais tout le village qui nous avait suivi à distance qui laissaient explosaient leur joie. Mes deux héros, malgré leur grande taille croulaient sous les effusions chaleureuses de ce petit peuple enfin débarrassé de ses prédateurs. J’en avais des larmes aux yeux tant leur bonheur était intense et me donnait du baume au cœur.

    Rolt vint vers moi.

    - Je savais que vous étiez des Dieux .

    - Non ! Nous ne sommes pas des Dieux, nous sommes de simples humains, lui répondis-je radieuse, heureuse de la réussite de cette opération bien hasardeuse.

    - Si vous n’êtes pas des Dieux, alors ce sont les Dieux qui vous ont envoyés. Pour moi, c’est la même chose.

     

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