Conte n°1 :
LES MYSTERES DE RENAGE
Chapitre 1
DEPART VERS LINCONNU
1.
Etait-ce bien raisonnable ? Personne parmi nous cinq ne sétait posé cette question. Des adultes auraient répondu : Non ! Evidemment ! A cela, rien détonnant puisque ce sont eux qui édictent les lois, les normes, les barrières qui nous emprisonnent. Mais nous les adolescents, nous avons aussi nos propres lois, nos principes, nos normes qui dailleurs, il faut bien lavouer, ne sont pas toujours très normales. Peut-être que les trépidations de ce monde moderne, laccélération dans laquelle nous vivons nous prédisposent-elles, au rêve, à lévasion, à laventure. Toujours est-il quil serait vain de chercher la raison, pour le moins raisonnable, qui pourrait justifier notre présence face à ce trou béant plongeant dans les entrailles de la terre. Cinq copains du lycée de Rives, tous natifs de Renage le bourg voisin. Cette tâche sombre à la voûte épaisse, presquau sommet de ce pré pentu, semblait nous narguer de son il sombre. Linconnu, à 2 pas de chez nous, dans ce pré serré entre deux routes fréquentées, à la sortie de Renage. Il faut aussi vous dire que Pierrot est particulièrement doué pour nous emporter dans des aventures extraordinaires, souvent farfelues. Cest le dernier de la classe, ce qui ne veut pas dire quil ne soit pas intelligent. Je crois que pendant les cours, il passe son temps à rêver, lesprit toujours ailleurs dérivant au dessus des paroles de nos professeurs.
Hier, à la sortie de lécole, dès que le car nous eut déposé à Renage, il nous entraîna vers un des bancs que la municipalité a installé sur les boulevards bordés de gros platanes.
- Jai tous les documents. Les plans des galeries, et aussi là il marqua un arrêt, ferma les yeux le visage inspiré et mystérieux, pour ajouter : le vieux grimoire, le vrai, lunique grimoire qui renferme tous les secrets de ce domaine souterrain qui fut construit au 9 ième siècle. A cette époque, notre région faisait partie de la Lotharingie, ce qui ne plaisait pas aux seigneurs régionaux qui projetaient de posséder leurs propres domaines, indépendants du pouvoir central. Cest ainsi quils créèrent le royaume indépendant de Burgundie. Lothaire étant très puissant, par peur des représailles, ils eurent lidée de relier tous les châteaux de la région par des souterrains leur offrant ainsi la possibilité soit de fuir, sils étaient submergés, soit de se porter secours mutuellement, même si lennemi occupait le terrain. Ces souterrains sont truffés de salles immenses, pouvant accueillir de nombreux soldats et dont laccès est protégé par des mécanismes secrets comportant des pièges redoutables pour les non initiés. Mais, nous, les nobles descendants des comtes dAlbon, ceux qui ouvrirent la lignée des Dauphins, nous allons reprendre possession de notre domaine souterrain et de ses richesses. La gloire est devant nous et ne peut attendre plus longtemps.
Et cest ainsi que le lendemain après midi, nous étions tous les 5 réunis devant ce minuscule trou bouché par un grillage pour éviter aux animaux de sy perdre. Il y a longtemps déjà, le paysan, propriétaire du terrain, y avait perdu un âne.
- Vous avez tous, dans votre sac à dos, le matériel que je vous ai demandé demporter : lampes, piles, nourriture, couteau. Bien chaussés, bien vêtus. Très bien. Maintenant allons y.
Il débarrassa le passage du grillage qui lobturait, se retourna vers nous, tête déjà baissée :
- Nous devons économiser nos lampes de poches pour ne les utiliser quen secours. La route est longue, laventure est devant nous. Nous allons démarrer avec nos torches. Vous pouvez les allumer.
Sitôt le seuil franchi, le plafond sélevait et nous pouvions progresser sans nous baisser. Nos torches faites de résines attachées à lextrémité dun bout de bois avec un cordon imbibé dhuile, projetaient nos ombres contre les rochers. On aurait dit des fantômes exécutant une sarabande diabolique. Nous progressions lentement car nous devions faire très attention, le parcours étant semé dembûches. Parfois, cétaient des dalles du plafond qui faisaient saillies, parfois le sol nous piégeait de ses creux tapis dans lombre. De temps à autre le cri de lun de nous, souvent accompagné dun juron, nous avertissait dun de ces dangers.
Une forte odeur de résine se répandait dans ce boyau souterrain. Certaines torches fumaient plus que dautres bien que toutes de fabrication presque identique. Allez savoir pourquoi. Ce qui au début nous amusait devenait gênant maintenant car les fumées commençaient à nous piquer les yeux. Malgré tous ces petits ennuis, nous avancions doucement mais sûrement. Soudain Pierrot sarrêta et baissa sa torche. Nous fîmes cercle autour des ossements quil nous montrait en agitant sa torche.
- Nous voici devant les restes dun dinosaure. Un jeune dinosaure évidemment. Nous ramènerons son squelette à notre retour pour en faire don au musée de Grenoble.
- Dis donc Pierrot, je crois quil y a un problème. Si les dinosaures ont disparu depuis 60 millions dannées et que ton souterrain a été creusé dans les années 800, on peut se demander comment ton dinosaure est arrivé ici.
- Cest une longue histoire. Je vais vous expliquer. Celui-ci a vraisemblablement servi de nourriture à des extraterrestres qui ont atterri plus tard, ce qui prouve quil y en a encore sur dautres planètes. Je ne vous lai pas dit mais ces souterrains ont aussi servi de repaire à des extra-terrestres qui se cachaient ici pour nous espionner.
- Et tu es sûr quil nen reste pas de cachés ? demanda encore Robert dun air faussement inquiet.
- Certain ! Ce qui ne mempêche pas de penser quils ont dû oublier dans ces galeries des objets, des témoignages de leur civilisation. Si nous les découvrons, nous deviendrons tous célèbres. Je vous le dis les gars, on est sur un filon.
- Puisque tu le dis, cest indubitablement vrai, fit Mario en toussant, et il partit dans une longue quinte de toux,
Puis ce fut Jeanne qui toussa, puis moi puis la toux devint générale.
- On va sétouffer ici, filons rapidos, cria Robert, en faisant demi tour.
Nous nous engageâmes sur ses pas mais déjà il rebroussait chemin un mouchoir plaqué sur son visage.
- Lair est irrespirable dans le tunnel, murmura-t-il, on est condamné à avancer. Il faut éteindre les torches et avancer.
- Moi je reste devant, je garde ma torche, vous, vous éteignez les vôtres, allons-y, suivez moi, ordonna Pierrot. Tenez-vous près les uns des autres. Tout ceci nest rien, cest un message de nos aïeux qui nous demandent daller de lavant, ajouta-t-il entre deux quintes de toux.
Et nous reprîmes notre marche à la queue leu leu, en silence, chacun essayant de cacher la crainte qui commençait à naître en nous. Au fur et à mesure que nous avancions, le tunnel saméliorait progressivement, maintenant nous pouvions marcher droit. Parfois, un petit éboulement fait dun mélange de terre et de pierres obstruait une partie du couloir. Au ras du sol, sur la gauche un petit filet deau sortait dune anfractuosité et sécoulait silencieusement sur le côté.
Robert fermait la marche. Les garçons avaient placé les deux filles au milieu de la colonne. En tête Pierrot, suivi de Mario.
- Pierrot ! cria Robert, tu nas pas peur de tomber dans une oubliette ? Tu devrais tattacher.
- Non, ici ça ne craint rien, cest le couloir de sortie, par contre, plus loin, près des châteaux, il faudra faire très attention. A mon avis, jusquà la première salle, ya pas de problèmes.
Nous marchions, nous marchions toujours. A vrai dire, je nétais pas très rassurée. Là, sous terre, je ressentais les nuisances de ce sentiment de claustrophobie très désagréable, mais il nétait pas question de le révéler à mes compagnons. Cétait comme une crainte que la terre sécrase sur nous et nous étouffe. Pierrot devant ne ralentissait pas lallure. Soudain il cria.
- Je crois quon a un problème.
Un éboulement barrait le souterrain. Nous faisions tristes mines, groupés contre cet obstacle imprévu pendant que Pierrot inspectait les lieux.
- Regardez, la voûte et les parois ne sont pas détériorées, les vieux construisaient du costaud, à cette époque. Il immobilisa sa torche sur un évidement sur le côté et poursuivit : là, il y a un gros trou dans la paroi. Cest donc pas le tunnel qui sest écroulé, mais quelquun qui la bouché volontairement.
Il revint vers léboulis, balada sa torche.
- Regardez ! Au sommet la flamme de la torche est attirée de lautre côté, en haut il ny a peu de matériaux puisque lair circule, on va dégager.
Sacs à terre, on se mit au travail. Pierrot qui avait bien préparé lexpédition, avait apporté une mini pelle pliante. En peu de temps, nous eûmes réalisé un trou suffisamment grand dans léboulis pour nous permettre de passer.
De lautre côté, Pierrot nous fit face, le petit doigt levé vers le ciel.
- Mes amis, daprès mes calculs, nous approchons dIzeaux et bientôt nous allons nous trouver vers la ramification des différents tunnels reliant les anciens châteaux forts de la région. Le premier a été construit pour alimenter labbaye de Parménie à moins de 3 kilomètres. Comme vous le savez, les sarrasins après avoir été battus à Poitiers, ne sont pas repartis comme on nous lapprend à lécole, mais ont remonté la vallée du Rhône. Sur la colline de Parménie, les gens de lépoque ont construit une abbaye fortifiée pour accueillir les évêques de Vienne et de Grenoble. Malheureusement, en cas de siège il était impossible de les ravitailler et éventuellement de les évacuer. Ils ont alors construit un tunnel en direction de Parménie, située au Sud-Est. Au Sud-ouest, un autre part vers le Château de Marnans à une quinzaine de kilomètres et entre les deux, un autre vers le château de La Forteresse. Au Nord, un autre conduit au Château de Virieu qui certainement était relié à celui des comtes de Clermont au dessus de Charavines. On ne sait pas exactement sils partent du même point, où si les ramifications se font plus loin. Cest là que nous risquons de trouver des pièges. En aucun cas, nous devons en choisir un à la légère. Il faudra exploiter les indices pour trouver une direction sûre. Je vous propose en premier lieu Parménie qui fut un haut lieu culturel et spirituel de lépoque. Cest là que nous avons le plus de chances de récupérer des vestiges précieux de cette époque.
- Tu parles dindices, cest bien gentil mais comment en trouver ? Cest un peu hasardeux ton histoire. Ils sont de quelle couleur tes indices, comment sont-ils faits, que mangent-ils lhiver ? Sil y a des pièges on risque de terminer dans une oubliette, fit Mario dune voix à le fois larmoyante et acidulée.
- Nous les chercherons en temps et lieu opportuns, quand il le sera nécessaire.
Sur ce Pierrot endossa son sac et reprit sa marche aventureuse. Nous, on se posait des questions, déjà plus de 2 heures que nous marchions et cette aventure dans ce monde souterrain inexploré commençait à nous inquiéter sérieusement. Moi, je nosais rien dire mais je sentais la peur menvahir. Je suivais en silence. Comment en étions nous arriver là alors que nous savions tous que Pierrot planait dans un autre monde ? Il faut aussi reconnaître que Robert tout comme lui sévadait souvent dans lirréel. Mario, lui, ne proposait jamais rien de farfelu, il se contentait de suivre, comme moi dailleurs, sauf quil était moins froussard que moi. Jeanne, cétait mon alter ego, elle suivait toujours ces deux idiots. Sûr quun jour, nos aventures se termineront mal. Pourvu que papa ne téléphone pas à mademoiselle Eloïse, notre prof de langues. Nous avions dit à nos parents que lécole organisait une sortie ce week-end.
Soudain un grand cri résonna dans le tunnel avant de se perdre dans les ténèbres de la terre.
- Ca y est. En voilà une !
Pierrot jubilait de joie. Nous nous précipitâmes.
Emerveillés. Nos yeux ébahis découvraient une immense salle souterraine. Une véritable cathédrale avec ses voûtes de pierres ses colonnes aux chapiteaux sculptés reposant sur de larges bases en pierre. Linstant de stupeur passé, poussés par la curiosité, nous partîmes à la découverte de ce lieu mystérieux, à la fois surpris, intrigués, émerveillés. La lumière bien que filtrée tombait de petites ouvertures cylindriques pratiquées dans les voûtes qui se prolongeaient très haut jusquà la surface. Cette faible lumière suffisait néanmoins à sortir les lieux des ténèbres et nous permettait dévoluer sans risque de butter sur un obstacle.
- Le souterrain continue ici, cria Robert, le bras tendu devant lui.
- Surtout ny va pas, ordonna Pierrot dune voix impérieuse.
Nous avons déambulés ainsi un bon quart dheure dans notre nouveau domaine. Bien évidemment nous en revendiquions la propriété. Elle devenait notre salle et de ce fait, la défiance envers Pierrot qui commençait à nous gagner il y a encore peu de temps, senvola comme par enchantement. Nous étions aux anges, tout à notre émerveillement. En fin de comptes, nous découvrîmes quatre départs de souterrains. Chaque départ était entouré de petites colonnes supportant une poutre de pierre. Des inscriptions étaient écrites sur les poutres, rappelant des citations latines. Pierrot les nota avec soin.
- Il est 19 heures, je crois que nous méritons un peu de repos. Nous allons en profiter pour faire un petit casse croûte, ici, nous sommes en sécurité, claironna-t-il rayonnant.
La base dune colonne nous offrait un siége providentiel. Nous avons déposé nos sacs et commencé à manger.
- Tes plans, nont pas lair dêtre bidon. Comment as-tu fait pour te les procurer ? demanda Robert. Je tavoue quau départ je ny croyais pas et je pensais que nous allions vite faire demi tour.
- Tous les anciens racontent quautrefois des souterrains reliaient tous les châteaux de la région. Bien sûr tout le monde pensait quil sagissait dune légende, mais vous savez, souvent les légendes, les contes, partent dun fait réel. Mon père qui est un passionné de lhistoire du Dauphiné, prépare en ce moment un bouquin sur ce sujet. Il a fait des recherches. Comme il est le responsable de la commission culturelle de Renage, on a bien voulu lautoriser à consulter de vieux ouvrages, soigneusement conservés dans une pièce spéciale de la bibliothèque de Grenoble dont laccès est interdit au public. Il a pris des photos que jai retrouvées sur son bureau. Voilà, vous savez tout. Tout le monde pense que ces souterrains ont disparu, éboulés, bouchés. Personne na jamais essayé avant nous.
- Cela peut se comprendre, intervint Robert, le cerveau du groupe, lair pensif. Nos prédécesseurs, ont essayé de les découvrir en partant des ruines de ces châteaux. Comment dans ces éboulis envahis par les ronces pouvaient-ils découvrir des départs de souterrains certainement très profonds sous terre. Nous à linverse, nous avons démarré par une sortie discrète, même très discrète puisquignorée de tous.
- Cest incroyable, jamais jaurais pensé quils puissent exister, murmura Mario en extase.
- Tout à lheure, tu parlais de quatre départs reliant les différents châteaux du secteur, ce sont les quatre que nous venons de découvrir ?
- Attention ! Cest ce quon peut penser si on ny réfléchit pas un peu. A mon avis il ny en a quun de bon. Les départs vers les autres châteaux doivent se faire ailleurs. Ce serait trop facile et contraire à la sécurité de ces châteaux. A partir de maintenant, il faut réfléchir car si on se trompe, adieu la vie. On finira enterrés. Sur le livre écrit par lévêque de Grenoble de lépoque il est écrit une phrase en latin qui veut dire à peu près ceci. " Dans les chemins de terre, létranger sera enterré ".
- Ca veut rien dire quoi ? répliqua Jeanne dubitative.
- En effet si tu lis : " les chemins de terre ", ça ne veut rien dire, mais si tu traduis, " les chemins sous terre ", ça veut bien dire ce que ça veut dire. La calligraphie du " de ", nest pas exactement celle de lépoque. Voilà lastuce. Ce livre, destiné aux archives religieuses de notre région, révèle donc deux indices pour annoncer lexistence de pièges.
- Et comment saurons-nous, quel chemin suivre ? demandais-je inquiète.
- En étudiant les inscriptions au départ de chaque souterrain. Je les ai relevées, à nous de trouver la solution, sans nous tromper. Ici, cest pas un zéro quon aura, si on se gourre, mais on y laissera notre vie. Je vous les lis :
La première : Ave Caesar morituri te salutant
- Ah oui, cest le grand souterrain face au boyau par lequel nous sommes arrivés, cest un hommage à César et cest aussi le plus vaste, pour laisser passer des soldats, fit Robert. Certainement le bon.
- Doucement, pas de précipitations. Nous allons les étudier très sérieusement, pas question de prendre une décision à la légère, les conséquences seraient trop graves, pour ne pas dire catastrophiques. Je continue :
La deuxième : Acta est fabula
La troisième : Ad augusta per angusta
Et la quatrième : Ad patres
2.
Nous fûmes rapidement daccord sur le tunnel à suivre. Il sagissait sans aucun doute de celui désigné par la citation : " Ad augusta per augusta ". Que nous avons traduite par : " A des résultats magnifiques par des voies étroites ". Le sens nous paraissait très clair. Dans notre situation, une première énigme facile à résoudre puisque toutes les autres portaient une allusion à la mort ou à la fin. La fin dune pièce comme la fin dun parcours.
Pierrot nous avait recommandé de prévoir de la nourriture pour 2 jours au minimum. Des aliments consistants ne demandant aucune préparation : pains dépices, biscuits, ufs durs, céréales, chocos. Pour la nourriture le choix ne manquait pas, surtout pour nous habitués à faire des randonnées en montagne. Pour la boisson, une gourde deau devait suffire ce qui se révéla pour linstant exact compte tenu des nombreux filets deau qui apparaissaient un peu partout et qui étaient collectés dans des rigoles courant sur les côtés. Leau dune limpidité cristalline, filtrée par les couches de terre, aboutissait dans plusieurs bassins en pierre répartis dans la salle, puis canalisée dans une rigole pour sévacuer vers le souterrain par lequel nous étions venus.
Après ce léger repas nous avons discuté pendant plus dune heure avant de prendre un petit repos bien gagné. Le principal sujet de notre conversation, tout au moins au début porta sur le choix du tunnel à prendre. La solution paraissait très simple et nous fûmes vite d accord. Javais vainement essayé de raisonner mes collègues mais mes paroles déclenchèrent un véritable scandale. Quavais-je osé dire en faisant remarquer que nous pouvions être très satisfaits de notre découverte et nous en tenir là ? La sagesse bonne conseillère nous recommandait de faire demi tour, quitte à revenir ensuite mieux équipés.
- Tu es devenue folle Anaïs, protesta vigoureusement Robert, ou on ne nous croira pas et on passera comme dhabitude pour des farfelus, ou bien on nous croira et les adultes débarqueront ici avec tout un équipement et nous voleront notre découverte. En guise de remerciements, le site sera classé et on nous interdira dy retourner. Tu sais bien comment ça se passe. Non ! Il faut aller jusquau bout et revenir avec des pièces à conviction indiscutables. Créer des documents qui prouveront que nous sommes les premiers découvreurs. Non ! Ce nest vraiment pas le moment de faire demi-tour.
- Il y a trop longtemps que je prépare en secret cette expédition pour tout abandonner maintenant, renchérit Pierrot.
Mario lui, incapable de faire preuve de la moindre initiative imaginative prenait son pied dans les fantasmes illuminés de ces 2 fous et fonçait toujours tête baissée sur leurs talons. Quant à Jeanne elle suivait docilement. Je crois quelle adorait avoir peur sous réserve dêtre protégée, ce qui était le cas avec ces trois garçons qui jamais ne nous laisseraient tomber si daventure les choses se gâtaient.
A minuit, après un petit somme, nous reprenions notre expédition vers linconnu. Nous étions limités par le temps car nous devions être de retour le lendemain soir. Mais ça, mes petits copains semblaient lavoir déjà oublié ou devenait détail négligeable. Si les grands explorateurs sétaient fixés des limites de temps, nous serions restés dans nos cavernes ou sur nos arbres. Laventure était là et nous tendait les bras, eux fonçaient vers elle, moi elle memportait dans leur sillage comme un fétu de paille pris dans le tourbillon dun torrent.
- Que risquons nous ? Pas grand chose, les souterrains sont en bon état. Notre objectif, ce sont les souterrains et les caches secrètes de Parménie. De somptueux trésors nous attendent. Noubliez pas que Parménie depuis larrivée de lhomme sur terre a toujours été le centre cosmique des forces spirituelles et mystiques. De tous temps, les hommes y ont bâtis sur son sommet des autels, des sanctuaires, des temples. Ce furent dabord des peuplades inconnues pratiquant des cultes païens, puis les Ligures, ensuite les Allobroges, et après ce furent les romains. Avant le christianisme on y vénérait la déesse Isis. Noubliez pas que nous sommes ici à quelques pas du quarante cinquième parallèle là où les forces cosmiques créent un tourbillon entre léquateur et le pôle Nord et au centre dun tourbillon cosmique, il y a toujours un il fixé sur le monde.
- On aurait dû lappeler le mont Borgne sil na quun il, ironisa Robert à la déclaration pour le moins osée de Pierrot.
- Ne plaisante jamais avec ces choses, si tu ne veux pas attirer sur toi la colère du mauvais il, recommanda Pierrot dun ton grave à vous faire frémir les neurones dans les sabots.
Tout en parlant, nous avancions dans ce tunnel étroit qui maintenant sélargissait sensiblement. Par mesure de sécurité Pierrot ouvrait la marche ceinturé par une corde qui quelques mètres plus loin enserrait la taille de Mario et quensuite chacun de nous tenait fermement en mains, jusquà Robert. La fumée de nos torches semblait aspirée par un léger souffle dair qui trahissait dautres ouvertures ou conduits daérations. Et nos ombres reprirent leurs sarabandes fantomatiques contre les parois où suintaient des gouttes deau entre les pierres. La colonne de nos ombres vacillantes, surgissant ou disparaissant brutalement, incertaines et parfois monstrueuses, avait un aspect irréel, comme ces ombres qui vous hantent après un cauchemar visqueux qui vous englue lesprit dans le néant, parmi les tortuosités de linconcevable.
- Quelque chose métonne, dis-je à Robert en me retournant. Nous avons un dénivelé de 500 mètres à gravir en quelques kilomètres et la pente me paraît bien faible.
- Depuis Izeaux la pente est moins abrupte que du côté de Renage où Parménie se dresse comme une vigie face à la montagne, de lautre côté de la vallée. Peut-être que les moines ont allongé le parcours pour rendre la pente moins raide afin que les porteurs puisent amener plus facilement les provisions en cas de siège.
- Ouais, répondis-je peu convaincue.
Un chose était certaine : pour mes compagnons tout paraissait normal, rien ne pouvait les étonner. Ils plongeaient dans laventure sattendant à des surprises encore plus étonnantes que ce que nous vivions. Ils étaient déjà dans un autre monde, ils y pénétraient en conquérants avec le courage de nos aïeux, les vaillants Allobroges qui donnèrent toujours du fil à retordre à ceux qui voulurent leur imposer leur loi. Le premier peuple démocratique du monde, un peuple épris de liberté. La France sappropria le Dauphiné grâce aux fourberies de Louis XI mais il ne fut jamais conquis.
Devant moi, Jeanne marchait tête baissée, parfois elle regardait autour delle, comme si elle cherchait quelque chose, puis baissait de nouveau la tête. Moi, je serrais la corde dans ma main raidie par linquiétude, cette corde qui nous entraînait. Le silence de la terre enfermait notre propre silence dans ses entrailles. Ma montre indiquait deux heures, alors que mon inquiétude grandissait car à mon avis, si mes estimations savéraient exactes, nous étions sous la colline et certainement loin du sommet. Peut-être nous étions nous élevé de 100 à 200 mètres au maximum, mais comment évaluer cette côte quand on est sous terre ? Après la colline de Parménie, une autre colline un peu plus haute la prolonge sur la droite mais elle, na pas cette vue panoramique sur la vallée de lIsère, donc moins dintérêt stratégique, ensuite ce sont les immenses plateaux de Chambaran qui courent à lOuest jusquà la vallée du Rhône pour mourir dans le fleuve, traînant ses boues vers la mer. Le tunnel sélargissait toujours et nous aurions pu marcher trois de front.
A la tête de notre petite colonne Pierrot stoppa, nous nous regroupâmes autour de lui. De sa torche, il inspectait les deux départs qui souvraient devant nous.
- Je crois quon a un problème les gars. Le tunnel se coupe en deux et les deux se ressemblent comme deux gouttes deau. Il faut essayer de trouver une indication, un signe, une flèche, une inscription.
Et nous voici partis avec nos torches comme des sioux à la recherche de signes, d inscriptions, dindices. Rien à lhorizon, ni sous nos pieds, ni sous nos yeux. Nous faisions cercle autour de Pierrot plongé dans ses pensées. Après quelques minutes de longues réflexions, il extirpa de son sac sa petite pelle pliante et se mit à gratter la terre au seuil des deux départs de tunnels.
- Vous comprenez dit-il, le tunnel le plus utilisé, aura des traces dusure plus prononcées sur les dalles du sol.
Il examina les dalles avec sa lampe de poche et sans hésiter annonça : " Cest celui là le bon !". Daccord, pensais-je, mais si ces tunnels ont été creusés dans le but dapprovisionner les évêques et les moines de labbaye en cas de siège et si il ny a jamais eu de sièges, ce qui est fort probable car lhistoire régionale nen parle pas, pourquoi des dalles seraient plus usées que dautres. Peut-être le va et vient des ouvriers qui le construisirent. Je gardais mes réflexions pour moi, car je savais très bien comment elles auraient été accueillies par les autres. Au point où nous en étions, il fallait prendre une décision coûte que coûte. Autre détail inquiétant : le tunnel descendait au lieu de monter. Conservé dans un excellent état il avait passé loutrage des ans avec succès. Deux mètres de large sur deux mètres de haut, un véritable boulevard. Les pierres salignaient impeccablement sur les parois et les voûtes. Du beau travail qui nous encourageait à aller de lavant. Cest à peine si nous étions incommodés par la fumée de nos torches. Elles dégageaient une agréable odeur de sapin. Nous marchions en silence, nous allions de lavant, oui, mais vers quoi ? Mes collègues semblaient grisés par cette aventure alors que moi, je sombrais dans une lourde inquiétude. Une telle aventure ne peut se faire sans un soutien logistique et la progression doit se faire par paliers. Il faut être fous pour persévérer ainsi avec une telle obstination. Dans mon for intérieur je souhaitais quun obstacle infranchissable vienne stopper notre progression. Absorbée par mes réflexions je navais pas remarqué quun fait nouveau venait de se produire. Il était quatre heures du matin et nous débouchions dans une petite salle cylindrique grâce à une petite ouverture dun mètre de haut environ. Rien de comparable avec la dernière salle que nous avions quittée depuis bientôt quatre heures. Très haute au plafond, son diamètre ne dépassait pas les vingt mètres. Aussitôt nous entreprîmes son exploration et très vite pouvions en tirer la même conclusion. Cette salle ne comportait aucune ouverture. Limpasse que javais tant souhaitée ! Le ciel avait exaucé mes vux.
- Alors Pierrot, quen penses-tu ? demanda Robert la voix amère.
- Eh bien, fis-je, réjouie par la survenue de cet obstacle. Nous voici dans un cul de sac, il ne nous reste plus quà faire demi-tour.
- Tu rêves Anaïs. On aura pas fait tout ce chemin pour rien. A chaque problème il y a une solution. Il faut la trouver, répondit-il la tête levée, les yeux inspectant les moindres recoins de la voûte et des murs.
- Avoue que tu tes planté, Pierrot. Parménie est loin derrière nous. Depuis Izeaux nous avons certainement fait plus de 10 kilomètres. Il ny a pas de souterrain qui mène au monastère, affirmais-je avec conviction.
- Tu ny es pas Anaïs, il y a bel et bien un souterrain de secours qui part de labbaye. Les moines de lépoque nétaient pas fous, ils brouillent les pistes pour des raisons de sécurité, mais nous, on est plus malins, on va trouver. On a marqué des points puisquon a trouvé lentrée qui a échappé à des centaines de générations. Faut montrer quon a des neurones et quon sait sen servir. Lendroit nest pas mal, aéré, pas trop sombre, on va faire une petite halte, un petit casse croûte, une petite sieste et réfléchir un peu. Il sortit de son sac sa lampe à acétylène la posa au sol. Suivant son exemple, nous éteignîmes nos torches et entamèrent un repas léger.
Un quart dheure plus tard nous dormions paisiblement. Tout au moins, mes quatre collègues car moi, en ce qui me concernait, dhorribles cauchemars venaient perturber mon repos. Je voyais des ombres partout qui allaient et venaient dans la pénombre autour de nous. Enfin, je réussis à massoupir plus profondément. Nous devions à tout prix dormir pour récupérer nos forces au maximum car sans aucun doute nous en aurions bien besoin par la suite.
A six heures du matin, branle bas de combat. Cest Pierrot qui sonna le réveil. Nous sortions lentement de notre torpeur quand il sécria.
- Qui a fouillé mon sac ? Cest un monde, je nen vois pas la raison. Si quelquun a oublié quelque chose, quil le dise. Tous les cinq on fait bloc, il ne faut pas que lun de nous agisse sournoisement. Je sais comment je range mes affaires et maintenant cest le foutoir.
- Le mien aussi, quelquun la fouillé, laissa tomber Robert dune voix morne.
Effectivement nos sacs avaient été fouillés pendant notre sommeil. Pourtant rien ny manquait rien sauf quelque chose.
- Ma lampe à acétylène que javais posée au milieu devant moi a disparu.
La déclaration de Pierrot jeta un froid parmi nous. Comment au fond dun souterrain désert depuis des siècles un objet pouvait-il disparaître ?
- Le voleur ne doit pas être loin, fit-il en se précipitant vers lentrée de la salle.
Une autre surprise nous attendait. Il ny avait plus dentrée. Nous étions dans une salle close. Il revint vers nous penaud, reprit sa place initiale.
- Je ne suis pas fou. Jétais ici, face à lentrée. Je la voyais pendant que nous mangions, gronda-t-il le bras tendu devant lui. Il avança lentement dans la direction jusquau mur. Aucun doute possible, lentrée se trouvait ici, vociféra-t-il. Et de la base du poing il frappa le mur.
Nous étions atterrés. Langoisse me serrait la gorge. Je savais bien que cette aventure allait mal se terminer. Nous voici perdus sous terre, enfermés par un mystérieux sortilège dans un trou sans issue. Langoisse, la peur, ça narrange pas les choses, maintenant, nous devions réagir, prendre notre sort entre nos mains et tout faire pour nous tirer de ce pétrin.
Pierrot revint vers nous.
- On est piégés Pierrot, on va mourir ci ? murmura Jeanne des sanglots dans la voix. Pierrot ne répondait rien, les bras croisés, il réfléchissait, comme les autres dailleurs. Tout le monde avait compris quil fallait faire quelque chose et surtout ne pas sombrer dans une mortelle apathie. Pour la première fois le danger de la mort se manifestait. Elle était là, présente autour de nous, rôdant insidieusement pour mieux nous surprendre. Un cocktail morbide : notre situation loin et sous la terre, les ténèbres dans lesquels nous évoluions, et maintenant des événements mystérieux.
- Si cétait un piège, il y aurait des ossements et il ny en a aucun, prononça-t-il sur un ton doctoral. Dans toutes les oubliettes, on y trouve des squelettes. Et là, aucun.
- Peut-être quon a affaire à des anthropophages qui mangent les os, avança Mario dune voix sinistre. Ou peut-être lantichambre de la fin ajouta-t-il, de la même voix.
- Déconne pas Mario, tu vas effrayer les filles et ce nest pas le moment. Pas de paniques, je vous dis quil y a une solution. Raisonnons calmement. On est dans un lieu sans issue. Il y en avait une et elle a disparu, ça veut dire quil peut y en avoir dautres et quil suffit de les trouver. Donc il faut chercher.
- On a déjà fait le tour et on a rien trouvé hier soir.
- Bien sûr, on a mal cherché, on a regardé que la surface des parois, maintenant il faut sonder.
- Tas pas amené un sonar, Pierrot, demanda Mario ?
- Toi tu nas pas oublié ta connerie et tu aurais mieux fait de la laisser. Tu nes pas dispensé de chercher. Pour une fois creuse-toi les méninges essaie de trouver comment détecter une ouverture. Je suis sûr quon va trouver. Anaïs tu es la championne en énigmes taurais pas une petite idée. A mon avis, il doit y avoir une sortie tout comme il y avait une entrée. Quand on aura trouvé où elle se trouve on concentrera nos recherches sur ce point pour découvrir le mécanisme qui le commande. A nous cinq, je suis certain quon trouvera.
Il y a un moment que je me creusais la tête. Sûre quil y avait un moyen. Une ouverture qui se referme, ça laisse supposer quil y a un mécanisme.
Pierrot traça sur le sol une flèche en direction du lieu où on avait débouché.
- Moi, je vais chercher à lopposé de lentrée, déclara Robert.
- Ca métonnerait que la sortie soit exactement en face de lentrée. Nos vieux étaient trop malins.
- Ca y est, jai trouvé comment sonder les murs, hurlais-je soudain joyeuse.
3.
Afin de vérifier si lon pouvait se fier à ma trouvaille nous avons commencé par la tester sur la paroi où se trouvait lentrée par laquelle nous étions venus. Il faut reconnaître que les bâtisseurs de ce domaine souterrain possédaient de réelles qualités professionnelles dans lart dassembler les pierres, elles étaient parfaitement taillées sencastraient à la perfection et il nous était difficile den desceller une, tant leur jointure était bien faite. Cest en grattant le sol que nous pûmes en récupérer quelques unes qui nous serviraient de marteau. Pierrot armé de sa pelle commençait déjà les investigations en frappant les parois de petits coups secs. Quelques minutes plus tard, il nous confiait dun petit air inspiré :
- Je crois que jai trouvé un point intéressant. Ecoutez ! Là ! Le son est plein, alors que là, ça sonne creux et il traça avec sa pelle un trait vertical.
Nous avions allumé deux lampes à acétylène lune que nous avons placée près de Pierrot et lautre un peu plus loin. Bien sûr la méthode nétait pas rigoureuse, un peu hasardeuse, mais à force de tâtonnements et de répétitions, nous avions réussi à tracer deux traits verticaux entre lesquels en principe se trouvait le passage, en nous fiant aux diverses résonances des coups frappés sur la paroi avec les pierres récupérées.
- Maintenant, sur votre trait essayez de trouver une anomalie. Moi, jen ai trouvé une, à un mètre du sol jai une pierre en relief. Tout en parlant, il essayait de pousser ou retirer la pierre mais rien ne se passait.
- Moi aussi ! cria Robert quelques instants plus tard, à la même hauteur, jai la même chose.
- Très bien. On chauffe les enfants. Robert, on va dabord essayer de pousser ensemble. Les autres vous poussez sur la paroi pour voir si elle bouge. Attention : 1 ! 2 ! 3 ! Allez ! Poussez !
Oh ! Miracle ! Oh ! Merveille, la paroi bougea, pivota sous notre pression. Un grand hourra retentissant résonna dans la salle et courut le long du tunnel pour se perdre au loin, dans les profondeurs souterraines. La voie du retour redevenait libre. Nous exultions. Nous étions fiers de nous, heureux.
- Bravo les amis hurla Pierrot ! Nous avons létoffe des grands explorateurs, des grands aventuriers. Ce nest certainement pas par hasard que les Dieux nous ont désignés. Ils ont reconnu en nous les qualités des grands conquérants. Ce monde est à nous. Maintenant, ne perdons pas de temps, il faut trouver lautre passage. Mario ! Pendant que nous on cherche, toi, essaie de dégoter une grosse pierre pour coincer la porte. On ne sait jamais.
Et nous voici, une pierre à la main, sondant les murs de la salle. On se serrait cru dans une carrière. Nous frappions avec une telle frénésie les parois quon aurait pu penser à une armée de marteaux piqueurs en train de creuser un tunnel sous les Alpes. Parfois des gerbes détincelles jaillissaient nous transportant dans les forges de Vulcain. Nous faisions un tel vacarme que nous nentendions pas Robert hurler. Enfin lun de nous lentendit et savança vers lui, puis, Jeanne, puis moi. Puis tous réunis, nous contemplions perplexes louverture quil avait découverte. Un petit boyau denviron 1 mètre de haut qui senfonçait dans lobscurité.
Si je néprouvais aucun malaise ou plus précisément, pas trop, dans cette haute salle, par contre, pour rien au monde je ne me serais glissée dans ce trou de rat.
- Ne comptez pas sur moi pour ramper dans ce machin, déclarais-je dun ton définitif.
- Moi, non plus ! Pas question ! clama Jeanne dune voix coléreuse.
Les autres ne répondaient rien, eux aussi ne paraissaient pas très chauds.
Le grand général secoua la tête en grimaçant.
- Je ne sais pas à quoi sert ce tunnel, mais à mon avis, il nest pas prévu pour laisser passer des soldats ou des hommes portant des provisions. Faut laisser tomber et continuer nos recherches. Comment las-tu ouverte Robert ?
- Même système que pour lentrée. Il y avait deux pierres en relief, comme elle nest pas très grande, jai pu appuyer sur les deux pierres avec les deux mains et pousser du genou. Elle sest ouverte sans difficultés.
- Bon, laissons tomber ce trou et continuons nos recherches.
Et nous voici repartis à tambouriner à qui mieux mieux. Nous avons quand même fini par trouver cette deuxième ouverture. Comme lavait prédit Pierrot, elle ne se situait pas en face de lentrée mais à 45 degrés à gauche. Par contre nous avons longuement bataillé pour trouver la clef du système douverture. Ce nétaient plus deux pierres en relief, mais à chacun des sommets, il fallait enlever une pierre et pousser verticalement. Ces pierres étant assez hautes, à un peu plus de 2 mètres, elles restaient difficilement discernables. Cest le grand Mario qui le premier nous mit sur la voie.
Un large tunnel nous narguait de son grand il noir. Serions nous assez courageux pour relever le défi ? Moi, non, mais pour eux, la question ne se posait même pas. Bien sûr, je pouvais faire demi tour. Mais avais-je le droit de les abandonner ? En vérité, pour rien au monde je naurais rebroussé chemin seule. Seule dans ces souterrains avec des choses bizarres tapis dans lombre ! Brou ! Je sais quil eut été plus raisonnable de faire demi-tour, pourtant, il faut avouer que nos brillants succès dans la résolution des problèmes que nous venions de rencontrer nous avaient quelque peu grisés. Nous avions la grosse tête. Celle de ceux qui réussissent, à qui rien ne peut résister. Galvanisés, portés aux nues, tout nous poussait à poursuivre notre aventureux périple.
Il restait bien cette mystérieuse disparition de la lampe à acétylène de Pierrot, nos sacs fouillés et ce minuscule tunnel laissé derrière nous. Peut-être aurions nous dû y réfléchir un peu plus, mais tout cela ne nous parut pas particulièrement inquiétant. Notre esprit était conditionné pour accumuler les surprises que notre aventure ne manquerait pas de nous prodiguer. Peut-être trouverions nous la solution au bout du tunnel.
Déjà Pierrot avait attaché la corde autour de sa taille. Il alluma sa torche et pénétra sans hésiter dans le tunnel. Derrière moi, Robert, sa lampe à acétylène à la main fermait la marche. Nous avancions lentement mais sûrement et nos ombres reprirent leurs ballets fantomatiques sur les parois de pierre. Elles sallongeaient sapprochaient de nous puis repartaient. Bizarre comportement pour des ombres, des ombres capricieuses qui dansaient et jouaient, alors que nous, nous ne jouions pas, surtout moi. Javais envie de lui parler à mon ombre mais je ne sais pourquoi, les mots ne sortaient pas de ma bouche. Javais tant de chose à lui demander. 8 heures du matin. Combien de temps étions nous restés dans la petite salle ? Je navais pas consulté ma montre au départ. Je marchais comme un automate incapable de dire depuis combien de temps nous avions repris notre exploration. Parménie devait être bien loin derrière nous dautant plus que le tunnel manifestait une forte propension à descendre plutôt que monter. Lobjectif Parménie senvolait. Lobjectif aventure vers linconnu se confirmait.
A force de se ressembler, les surprises finissent par ne plus être des surprises. La fatigue commençait à se faire sentir dans nos jambes lourdes lorsque nous aboutîmes de nouveau dans un immense salle. Elle ressemblait à sy méprendre à la première avec des dimensions encore plus vastes, des arcades et des piliers plus sophistiqués. Une nouvelle cathédrale souterraine impressionnante par sa taille et son architecture. La nef centrale était prolongée de chaque côté par de larges couloirs dont les voûtes en pierres reposaient sur des piliers cylindriques alors que limposante voûte de la nef était soutenue par dénormes piliers carrés sur lesquels sappuyaient sur chacun deux, quatre colonnes cylindriques accolées sur chacune des faces du pilier, une sur chaque côté. Jen comptais 20 le côté de la nef. Le fût des colonnes comportait de longues ciselures longitudinales encadrées de sculptures diverses représentant des animaux ou des personnages. Je remarquais une colonne au fût lisse. Avait-elle été remplacée suite à une détérioration, ou bien les artistes navaient pas eu le temps de lachever ? de lorner de sculptures. Encore un mystère.
Je crois que nous nous sommes tous demandés si nous ne rêvions pas. Partis à la recherche dun prétendu tunnel dont lexistence paraissait utopique au départ, nous débarquions dans un autre monde. Là sous les pieds de nos compatriotes vivant à la surface, nous découvrions un monde ignoré du XXI ième siècle. Incroyable ! On part dans lespace explorer des mondes désertiques et inhospitaliers alors que nous possédons dimmenses richesses autour de nous, sous nos pieds. Nous avons erré dans cette pièce, nen croyant pas nos yeux. Du plafond au sol, nous avions tant de choses à voir, tant de choses à contempler. Je ne sais combien de temps nous avons ainsi déambulé mais les impératifs de la réalité nous rappelaient à lordre. Pierrot le premier nous sortit de notre extase.
- Il nous faut à tout prix trouver une sortie si nous ne voulons pas moisir ici.
Alors, nous avons fait une nouvelle fois le tour de la salle à la recherche dun passage sans découvrir dautre ouverture que celle par laquelle nous étions arrivés.
Etait-ce la fin du parcours ? Difficile de se rallier à cette hypothèse sauf si la seule destination de ce domaine fut dy cacher une population, ou une armée, ou les deux le cas échéant.
Les créateurs de ces lieux qui ont demandés tant defforts, tant de persévérances, tant de moyens, jallais dire : " pour voir le jour " les ont certainement conçus dans un but bien précis et non pas pour les laisser inutilisés ainsi que lapparence pouvait le laisser supposer.
- Tu cherches une sortie vers les châteaux, ou tout simplement vers lextérieur ? demanda Robert
- Nous avons beaucoup marché et je pense que nous sommes loin dIzeaux et de Parménie, plutôt que faire demi tour, nous avons intérêt à chercher une autre sortie. Imagine le travail que cette réalisation a nécessité, extraire les pierres, les tailler, les charrier. A mon avis, on ne doit pas être loin dune carrière extérieure.
Les déductions de Pierrot me paraissaient logiques. Maintenant, restaient à savoir si les logiques de la surface sappliquaient aussi aux logiques souterraines. Pour linstant rien ne me semblait foncièrement illogique, un peu bizarre daccord, mais cest tout, outre le côté merveilleux de notre découverte.
Et nous voici de nouveau repartis dans cette quête sans fin en frappant les parois avec nos pierres et Pierrot avec sa pelle. Nous avions allumé nos lampes à acétylène sauf Pierrot qui nen possédait plus. Alors, nous avons fait équipe tous les deux. Nous étions fatigués mais poursuivions nos recherches avec beaucoup de persévérance. Deux heures plus tard tout le monde manifesta des signes de fatigue et désespérés par notre insuccès nous nous sommes regroupés autour de Pierrot .
- Que décides-tu Pierrot ? Je crois que nous sommes contraints à faire demi-tour, laissa tomber Robert dune voix amère.
- Je crois que nous sommes tous fatigués. On va se reposer un peu et réfléchir à la question. Ensuite, on décidera, bafouilla Pierrot qui lui semblait moins désespéré que nous tant sa soif de découverte et sa hargne à poursuivre le transcendait.
Jétais morte de fatigue et je mendormis aussitôt. Bien vite, le stress dans lequel je vivais vint tourmenter mon repos. Ce nétaient plus que de petits sommes entrecoupés de réveils. Il me semblait, quà côté de moi, Pierrot ne dormait pas, il était penché sur son grimoire et ses feuilles de papiers quil consultait. Il mapparaissait dans un défilé de petits flashs irréels, car la fatigue memportait aussitôt dans mon inconscience. Il ma semblé aussi le voir errer dans la salle, sa lampe torche à la main. Dans le fond, je ne désirais quune chose : rebrousser chemin. A ce stade, le fait que nous ne trouvions pas une solution pour continuer ne me préoccupait guère. Jestimais que notre découverte se suffisait à elle même. Ce que nous venions de découvrir pouvait être considéré comme une grande découverte.
Lorsquenfin je repris mes esprits, je vis les trois garçons penchés sur le grimoire, échafaudant des hypothèses alors que Jeanne continuait son somme.
- Où en êtes-vous, leur demandais-je ?
- On pense que la solution se trouve dans un texte du grimoire, répondit Robert.
- Ah ! fis-je étonnée, que dit ce texte ?
- Les tracés ne semblent pas correspondre au parcours que nous avons fait mais il y a un peu partout des annotations et il est difficile de savoir laquelle correspond à notre situation. Sur la copie de loriginal les textes sont incompréhensibles mais sur la copie gribouillée quà faite mon père les indices ne manquent pas, le problème est de savoir laquelle correspond à cette salle. Il y a un moment que je les étudie et je nen vois quune qui pourrait convenir, malheureusement elle ne me paraît pas très explicite, soupira Pierrot.
- Vas-y je técoute, peut-être quà tous les cinq on arrivera à déchiffrer.
- " Dans la cathédrale, la Toscane regarde le monde des petits ". Au dessus de cette inscription mon père a écrit " 100 pas ".
Je restais perplexe. Tout comme mes copains dailleurs.
- La Toscane est une région du Nord de lItalie, je ne vois pas ce quelle vient faire ici, toujours est-il quelle nest pas à 100 pas dici, plutôt à plus de 100 kilomètres à vol doiseau. Et puis, ce nest pas tout, ton grimoire parle dune cathédrale, de quelle cathédrale sagit-il ?
- Je crois que nous avons deux problèmes à résoudre : ce sont les deux mots : cathédrale et Toscane. A mon avis la solution se trouve dans ces deux mots. Il est bien évident quici, nous ne sommes pas dans une cathédrale, mais lorsque nous sommes arrivés dans cette salle, navons nous pas eu limpression de pénétrer dans une cathédrale ? Impression donnée par ses dimensions et son architecture qui si elle nest pas exactement celle des cathédrales, peut, rapportée au fait que nous sommes sous terre aisément nous rappeler celle des cathédrales. Noublions pas que nos ancêtres ont construit Parménie pour mettre à labri les évêques de Grenoble et de Vienne. Parménie nest pas un site imprenable et il se peut très bien quils aient construit en secret un abri souterrain pour parer au pire.
- Si cest un refuge, il doit certainement y avoir dautres salles annexes où ils auraient entreposé de la nourriture, des armes, des couchages pour les religieux, les soldats et la population qui les accompagnait, fit remarquer Robert.
- Je suis daccord avec toi ce sont toutes des éventualités quil nous reste à découvrir.
- Sur ce point, je crois que nous sommes daccord, fis-je, considérons que cette salle est bien cette fameuse cathédrale. Il nous reste à découvrir la chose appelée Toscane puisque en aucun cas il ne peut sagir de la province italienne.
- Quand on parle de cathédrale, on parle toujours de style : Roman ou Gothique, serait-ce une allusion au style, avança timidement Mario ?
Robert partit dans un grand éclat de rires.
- Ca, cest nouveau, jai jamais entendu parler de cathédrale style Toscane.
Pierrot avait le visage quil navait jamais en classe, la tête de quelquun qui réfléchit intensément.
- Tu as tort de rire Robert, Mario ne parle pas dune cathédrale style Toscane, mais peut-être dune création style Toscane, cest pas la même chose, comme par exemple le style dune poterie, dun objet, dune partie dune construction . Je ne sais pas moi. A mon avis cest dans cette direction quil faut chercher.
4.
Il ne nous a pas été nécessaire de débattre longuement pour admettre que la solution résidait dans la signification du mot " Toscane ", sinon les 100 pas ne voulaient plus rien dire. Et pourtant, trouver la corrélation entre " Toscane " et notre monde souterrain ne nous paraissait pas évident. Les hypothèses, cétait toujours Pierrot et Robert qui les échafaudaient. Moi, je me sentais dépassée. Comme dhabitude, Jeanne écoutait et ne disait rien. Mario, lui nouvrait la bouche que pour dire des bêtises. Après sêtre fait reprendre plusieurs fois, il préféra se taire.
Cest donc ici que se terminait notre expédition. Bien sûr, nous aurions pu nous réjouir des importantes découvertes que nous venions de faire, mais, pour mes compagnons elles avaient le goût de linachevé. Nannonçaient-elles pas lexistence de chose encore plus extraordinaires à découvrir ? Et puis, le but de nos recherches nétait-il pas de découvrir les souterrains qui reliaient les différents châteaux forts de la région, en passant par la vieille abbaye de Parménie ? Sur ce point nous restions bredouilles ce qui semblait désespérer mes compagnons, alors que moi, jen étais heureuse. Mario se leva en faisant un geste dimpuissance. Les deux autres garçons en firent autant, le regard fixé sur les parois qui nous environnaient. Les hasard les avait placés par ordre de grandeur. A droite, Mario le plus grand. Je pense quil mesurait 1 mètre 75 environ. Malgré la pénombre, je distinguais ses mèches brunes en désordre. Son visage fin, allongé, ses yeux noirs, le type italien très prononcé. A côté de lui, Robert, 10 centimètres de moins, le visage plutôt rond, les yeux bleus, les cheveux châtain clair très courts et le plus menu des trois, Pierrot, lui aussi châtain clair, les yeux marrons, un visage plutôt efféminé, rappelant celui dun bébé. Jeanne était une belle adolescente aux longs cheveux dorés, à la taille élancée, les yeux dun bleu transparent, un vrai visage de poupée. Moi, je suis plus petite quelle et un peu plus potelée, le cheveu noir, très court. Robert ma dit un jour que jétais mignonne. Peut-être ma-t-il dit ça pour me faire plaisir car je trouve mon physique très banal, sans toutefois être affreuse.
- Cette fois on est coincés et bien coincés, se lamenta Robert en se tournant vers nous. Jusquà maintenant, on a trouvé assez rapidement mais depuis une heure, on tourne en rond. Mario, tu ne dis plus rien ? Tu sais, au point où on en est, on prend tout ce qui vient.
Mario secouait la tête comme un bourricot à la croisée des chemins ne sachant quelle direction prendre. Enfin il se décida à parler au risque de se faire rembarrer encore une fois.
- Je ne voudrais pas dire une bêtise mais je crois me souvenir avoir vu ce mot dans un bouquin de mon père, lâcha-t-il dune voix, timide, hésitante. Il est entrepreneur et il a toute une collection de livres sur larchitecture. Jessaie de me souvenir à quelle occasion. Ah oui, quand on a fait un devoir sur lEgypte. Je me souviens maintenant, il ma montré un tableau pour mexpliquer les différences entre une colonne Egyptienne et une colonne Persique.
- Ah oui, et quel rapport avec notre Toscane ? demanda Pierrot intrigué.
- Ben je crois quà côté, il y avait une colonne Toscane. Cette fois Mario avait marqué un point. Nous le regardions bouche ouverte, pendus à ses lèvres.
- Parle Mario. Comment était-elle cette colonne ? Tu te souviens ?
- Attendez, laissez-moi réfléchir. On comparait les sculptures des colonnes Egyptiennes et Persiques. Ca y est, je me souviens, il a dit que sur les Toscanes, il ny avait pas de sculptures, les fûts étaient lisses.
- Hein ? Que dis-tu Mario ? Oh ! Je me souviens avoir vu une colonne pas comme les autres avec le fût lisse, mexclamais-je.
- Moi aussi, cria Pierrot en bondissant comme un lièvre.
Nous lavions tous remarquée, une des quatre colonnes accolées au dernier pilier. Selon Mario il pourrait sagir dune colonne style Toscane. Nous la dévisagions de bas en haut comme on laurait fait pour une personne, sauf quelle, la colonne, ne daignerait pas répondre à nos questions.
- La logique voudrait quon parte du diamètre perpendiculaire au pilier, fit Pierrot en se dirigeant vers la paroi et en comptant à haute voix.
Evidemment, il dosait ses pas pour arriver à 100. Robert partit dans une direction voisine et fit aussi 100 pas pour atteindre le mur. Chacun prit une direction différente et la minute de vérité se présenta dans son habit de doutes puisque plusieurs avaient atteint la paroi en effectuant les 100 pas, plus ou moins longs selon langle choisi. Résultat que lon ne pouvait évidemment obtenir si lon partait trop en oblique car dans ce cas, on les dépassait largement. Malheureusement, dans le texte la longueur des pas nétait pas précisé, ce qui fit lobjet de nouvelles discussions. Nous lavons lu et relu pour constater que nous avions laissé dans lombre un groupe de mots qui ne nous inspirait guère. " Le monde des petits ".
- Je crois que je commence à comprendre, murmura Pierrot pensif. Si lon part tout droit, on fait 100 petits pas et on en fait plus si on part en oblique ou alors les pas doivent être plus longs. Notre première idée était la bonne, il faut chercher en face. Le " monde des petits " cest une allusion à des petits pas.
Pierrot ayant désigné le point le plus propice sur la paroi, après avoir exécuté ses 100 pas, nous nous sommes alors réparti les tâches. Les uns grattant le sol, cest à dire nous les filles alors que les garçons eux plus grands que nous, entreprirent lexploration de la paroi. Cette fois, cest moi qui ai trouvé la solution, en repoussant une dalle du sol. Je navais pas un grand mérite car après avoir dégagé la mince pellicule de terre qui la recouvrait elle attirait lattention par les diverses ciselures qui lornaient. Jeus quand même droit à de chaleureuses félicitations. Je venais dacquérir le titre sublime de découvreur.
Elle et nous restions immobiles à nous contempler réciproquement. Pour linstant, nous étions aussi bavarde quelle. Ce grand espace noir semblait nous narguer. Après la découverte de la cathédrale nous étions tous conscients que derrière elle, nous allions découvrir un monde fabuleux. Fini les petits souterrains mornes et glauques. Laventure nous tendait les bras. Pierrot balada sa lampe le long des parois derrière la porte, étonné par la qualité des murailles dont beaucoup sornaient de dessins colorés. Après une brève inspection il partit dun bon pas. Nous le suivions, tous convaincus quici il ny aurait pas de pièges, nous étions certains davoir passé avec succès les embûches semées pour dérouter les curieux. Le corridor suivait une légère pente, autrement dit, nous nous enfoncions dans la terre. Depuis longtemps déjà, nous persistions à descendre.
Nous avons marché plusieurs heures sans prendre de repos, grignotant de temps à autre un biscuit ou une barre de chocolat avec un peu deau.
A midi, nous nous sommes reposés 2 heures puis avons repris notre progression, impatients de découvrir où menait cette voie mystérieuse. Ce nétait plus une promenade car nous commencions à ressentir la fatigue, mais plutôt une marche forcée. Chaque pas que nous faisions nous éloignait de notre monde à nous, notre monde civilisé, pour nous enfoncer plus encore dans un monde inconnu. Vers 17 heures, Pierrot loin devant nous cria.
- Courage les amis, je vois une clarté loin devant. On arrive certainement dans un lieu éclairé.
Nous accélérions notre allure. Effectivement, une lumière se dessinait au loin. Le couloir sélargissait, la zone dombre sestompait lentement comme fuyant notre approche.
Le couloir débouchait sur une immensité. Un vaste panorama, qui un instant nous fit penser que nous avions rejoint la surface. De toute évidence, nous étions toujours sous terre. Nous sommes restés là, tous les cinq, hagards, nen croyant pas nos yeux. Une longue plage de sable fin et de galets longeait une étendue deau dont nous napercevions pas les extrémités. De loin, leau nous paraissait claire limpide, calme, pas un souffle de vent. Il ny avait pas de soleil mais latmosphère était claire, une lumière dun blanc phosphorescent. Il nous venait à lesprit tant de questions à la fois que nous nen exprimions aucune, nous contentant de regarder, découvrir ce panorama inattendu. Nous devions nous rendre à lévidence, nous étions transportés dans un autre monde. Instinctivement, nos pas nous ont portés sur le rivage. On y voyait des galets de toutes les couleurs, miroiter sous leau. Pierrot trempa son doigt et le porta à ses lèvres.
- Vous nallez pas me croire les gars. De leau salée. Nous avons une mer devant nous.
- Très bien, répondit Robert, un large sourire aux lèvres, si il y a des poissons on ne mourra pas de faim.
- Peut-être ny a-t-il pas de poissons mais des monstres, rétorqua Mario. Ici, il faut sattendre à tout. On ferait bien dêtre prudents.
- Tara-ta-ta . claironna Pierrot. Tu vas pas nous jouer les rabat-joie. Les monstres ont été inventés par les hommes. Ici, il ny a pas dhommes donc pas de monstres . A part toi.
- Eh ! Regardez ! sexclama Jeanne en tendant le bras vers lhorizon.
Nous avons dirigés nos regards vers le point indiqué par Jeanne. Très loin, à lhorizon un point noir apparaissait sur leau. Au fil des minutes il grandissait.
Pierrot sassit sur la plage et comme de petits singes, nous nous sommes assis à ses côtés.
- Assis, on voit aussi bien. Je crois quon a tous besoin dun peu de repos, profitons-en pour grignoter, fit-il en ouvrant son sac. Jai pas de jumelles mais une petite lunette Pourtant, Je ne pensais pas en avoir besoin dans un souterrain.
Le point grossissait toujours, la grosse masse sombre se dirigeait sur nous. Je nen croyais pas mes yeux. Maintenant au dessus de la masse grise il me semblait voir des voiles.
- Ma parole, je rêve, murmura Robert. On dirait un voilier.
Robert ne rêvait pas. Il sagissait bien dun voilier des temps anciens, reconnaissable à sa proue surélevée et à ses trois mâts. Ses contours restaient imprécis car il naviguait dans une brume qui lentourait et le suivait comme accrochée à lui. Une impression bizarre, surréaliste se dégageait de cette vision. Il était maintenant proche de nous.
- Une chose mintrigue, fit Mario.
- Ah ! Parcequil ny a quune chose qui tintrigue, ironisa Robert.
- Disons que, parmi les choses qui mintriguent il y en a une qui mintrigue encore plus. Il ny a pas de vent et il a les voiles pleines.
Face à nous, il évita pour virer, sans procéder à aucun changement de bord des voiles. Il arrivait maintenant le long du rivage, voiles toujours gonflées.
- Il est fou ! Il va séchouer sur le bord, fit Jeanne.
Elle se leva et tendit les bras en criant : Ohé ! Ohé ! Il passa tout près du bord, continua sa route sans montrer âme qui vive. Il ny avait personne sur le bateau. Personne de visible.
Moi, je me creusais la tête, cette scène me rappelait quelque chose. Eh oui ! Ca me revenait : Le Bateau Fantôme, le bateau du commandant Van der Decken qui inspira Wagner.
- Que dis-tu Anaïs ? De quel bateau parles-tu ? me demanda Mario.
- Lhistoire remonte aux années 1680, lhistoire ou la légende, moi jen sais rien. Ce capitaine Hollandais, grand navigateur ne parvenait pas à franchir le Cap de Bonne Espérance à cause des vents contraires. Il est devenu fou furieux et a injurié et provoqué Dieu. Le ciel en punition la condamné à errer jusquau jugement dernier sans sarrêter dans un port. On le voit parfois apparaître et disparaître. De nombreux témoins attestent lavoir rencontré. En général, il annonce des catastrophes.
Je crois que jai manqué de tact en prononçant ma dernière phrase qui jeta un froid.
- Excusez-moi, de vous interrompre dans vos histoires à dormir debout, coupa Mario. Mais je crois quon a de la visite. Jespère quelle nentre pas dans le cadre des catastrophes annoncées par Anaïs.
Je tournais la tête et aperçus, cette fois sur la grève, une autre masse sombre, qui savançait vers nous. Je les distinguais mal. On aurait dit des hommes, une masse compacte venant droit dans notre direction. Ils approchaient. A nen pas douter, cétaient des hommes et pas des animaux à leur façon de se déplacer mais quelque chose clochait dans cette forme sombre qui sapprochait. Maintenant, ils étaient suffisamment près pour que je comprenne enfin ce qui mintriguait depuis quelques minutes. Cétait leur taille. De petits hommes. Non, pas des enfants, mais bel et bien des nains. Je savais quautrefois des nains peuplaient nos forêts, mais depuis belle lurette on nen avait plus ni vu, ni entendu parler.
- Quest-ce quon fait ? demanda Pierrot.
- A mon avis, il vaut mieux rester assis pour leur montrer que nous navons pas dintentions belliqueuses, dautant plus quils sont nombreux, répondit le sage Robert.
- Et ils sont armés ! fit remarquer Mario.
En effet notre comité daccueil portait lances, arcs et épées. Ils firent cercle autour de nous. Pointèrent leurs lances menaçantes sur nous.
- Jespère que tu as un bon avocat, me murmura Robert à loreille en se penchant sur moi.
- Faudra quon leur explique quon est pas comestible, dit Mario à Pierrot.
Ils semblaient intrigués par la passivité de notre comportement, mais laissaient leurs lances pointées sur nous.
Cétaient bel et bien des nains denviron 1 mètre de haut, la tête ronde, rose, de grandes oreilles pointues un petit nez rond et des yeux très noirs. Les uns portaient une casquette dautres un bonnet. Ils étaient vêtus dun pantalon qui leur arrivait à mi jambes et de justaucorps bariolés.
- Que faites vous ici ? demanda celui qui paraissait être le chef.
- On vous répondra quand vous baisserez vos lances, répondit Robert dun ton ferme. Ce nest pas très poli daccueillir ainsi des visiteurs.
Lhomme fit signe à ses compagnons de baisser leurs lances.
- Vous répondez maintenant !
- Eh bien voilà ! Avec mes compagnons, on se promenait et on sest perdus. Nous avons atterris ici.
- Menteur ! Vous êtes des menteurs, comme toute cette race dhommes à laquelle vous appartenez. Vous étiez équipés pour explorer les souterrains donc vous aviez dès le départ lintention de venir ici.
- Je crois que vous vous méprenez. Effectivement nous pensions quil y avait un souterrain qui partait dIzeaux et atterrissait à Parménie. Cétait là le but de nos recherches. Si nous avons atterri ici, cest bien parce que nous nous sommes égarés. Parménie ? vous connaissez ?
- Bien sûr que nous connaissons. Maintenant, suivez nous ! Nous allons tirer tout ça au clair.
- Il nen est pas question. Notre visite est terminée, nous devons faire demi-tour, répliqua toujours sur un ton ferme Robert.
- Certainement pas ! Pour ensuite envoyer des hordes humaines nous massacrer. Vous ne repartirez pas dici vivants. Suivez nous ! Cest un ordre.
Il fit un geste et aussitôt une vingtaine de nains pointèrent leurs lances sur nous alors que dautres armaient leurs arcs. Une forêt de lances dans le dos, force nous fut de les suivre.
Nous sommes partis en oblique en nous éloignant du rivage vers des rochers dont la barrière commençait à se dessiner. Nous marchions en silence. Jétais terrorisée par les paroles du chef qui nous avait clairement dit que nous ne repartirions plus dici. Nous marchions en silence et déjà je pouvais apercevoir une trouée dans les rochers vers laquelle nous nous dirigions. Ny tenant plus, je madressai au chef.
- Pourquoi prétendez-vous que nous enverrions des hordes pour vous massacrer ? Ce nest nullement notre intention. Nous navons aucun sentiment hostile envers vous.
- Ah ! Oui. Peut-être est-ce vrai, au départ, mais nous connaissons trop les humains. Autrefois, nous vivions heureux dans les forêts à la surface, jusquau jour où les hommes ont décidé de nous exterminer. Comme ils ne parvenaient pas à nous atteindre dans la forêt, ils ont mis le feu. Heureusement, nous avons réussi à nous enfuir par des souterrains secrets que nous connaissions. Il nous a fallu des siècles pour nous adapter ici et nous ne voulons pas tenter une autre expérience avec les humains. Notre seule solution est de vous retenir prisonniers ou de vous supprimer. Cest notre roi qui en décidera avec laccord des fées. Croyez-moi, jamais vous ne repartirez vivants dici.
A côté de moi, Robert grimaçait en écoutant le chef.
- Si jai bien compris, cest nous qui allons payer les conneries de nos ancêtres.
- Eh ! Oui ! acquiesça Pierrot, comme nos enfants payeront les nôtres.
- Moi, je crois quon est mal partis pour avoir des enfants, lâcha Mario en grimaçant à son tour.